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ce monde qui bouge ces danseurs séduits par la «harga»

  • CE MONDE QUI BOUGE Ces danseurs séduits par la «harga»



    Par Hassane Zerrouky
    Il y a une dizaine de jours, l’affaire des six danseurs du Ballet national ayant demandé l’asile politique au Canada, plus exactement le statut de réfugiés politiques, faisait la Une de nombreux médias !
    Et pour cause, cette affaire, qui ne manque pas de piquant, rappelle ces artistes et sportifs soviétiques, allemands de l’Est, polonais, roumains qui choisissaient de fuir leurs pays, alors dirigés par des partis communistes, pour le «paradis capitaliste», comme l’appelait feu Nikita Kroutchev, l’ancien président de l’URSS ! Une chose est sûre, la fuite de ces danseurs est un coup rude pour un régime qui se targue d’avoir revalorisé l’image de l’Algérie à l’extérieur, voire de lui avoir permis de retrouver du crédit sur la scène internationale. Et qui répète à l’envi que les libertés sont respectées, qu’il n’y a pas de prisonniers politiques ni de journalistes emprisonnés en Algérie. On veut bien, mais allez l’expliquer aux Canadiens et autres Occidentaux témoins, via leurs médias, de ces «fugitifs» venus d’Algérie ayant choisi de rester au Canada. D’autant que, à en croire certains quotidiens nationaux, ce sont les 16 membres de la troupe qui devaient prendre la clé des champs une fois achevée la tournée du Ballet national dans ce pays. Ces danseurs, dont deux jeunes femmes, ne sont donc ni de simples haraga ni des voyous, mais des artistes, membres d’un Ballet national, sélectionnés parmi les meilleurs. S’ils en sont arrivés à cette extrême limite, demander l’asile politique, sous-entendant par leur geste qu’ils fuient un pays de dictature, c’est que quelque chose ne va pas dans ce pays qui s’appelle l’Algérie. Dès lors, au lieu donc de les blâmer, de les accuser de «trahison», d’avoir fait «honte» à l’Algérie, pays de leurs parents et de leurs ancêtres, le mieux serait de s’interroger froidement sur les raisons ou les motifs les ayant poussé à choisir un exil définitif. Voilà une troupe nationale qui a refait surface à l’occasion d’«Alger capitale de la culture arabe 2007», grâce au soutien des pouvoirs publics, troupe qui depuis lors a effectué plusieurs tournées à l’étranger. Sans incident notable. Alors que s’est-il passé ? Selon le peu d’informations rapportées par la presse, ces danseurs n’auraient même pas de logements. Comparés à leurs homologues des ballets nationaux européens, et même arabes, on ne peut donc pas dire qu’ils jouissaient d’un statut privilégié autre que celui de se produire sur des scènes étrangères et, partant, d’avoir la chance de voyager. Comparés aux footballeurs, par exemple, les danseurs du Ballet national font figure de parents pauvres. Ils n’ont ni les salaires de ces derniers ni leur notoriété. Les premiers font quotidiennement la Une des médias, les danseurs, personne ne les connaît ! Et puis, redisons-le encore, danseur, c’est mal vu en Algérie, surtout pour les hommes. Surtout dans un pays où le religieux, encouragé de surcroît par le discours politique, a fait un retour remarqué pour s’installer dans la durée, allant jusqu’à régenter les moindres faits et gestes de la société. Cette affaire de fugue à l’étranger est donc symptomatique de la situation prévalant dans le pays, de la situation d’une jeunesse en manque de perspectives et de loisirs. Pour les jeunes, comme en témoigne le nombre de diplômés qui partent s’installer à l’étranger, l’horizon est plus que bouché en Algérie. D’autant qu’on ne leur offre rien, sinon des interdits de toutes sortes au nom d’une identité réduite à sa dimension religieuse étroite. Quand on traque des jeunes couples, quand on limite au maximum la mixité, quand on pourchasse des non-jeûneurs alors que la Constitution garantit la liberté de conscience, quand sur les médias lourds ne s’expriment que les tenants de la religiosité à la sauce salafiste, en bref quand le conservatisme religieux étend sa toile sur la société sans que l’on puisse lui opposer la contradiction sur les mêmes médias, et ce, du fait des limitations des libertés d’expression, de pensée et de réunion, les jeunes, dans leur immense majorité, ont l’impression d’être étouffés et ont envie de respirer. Et que font-ils ? Ils choisissent la harga !
    H. Z.