Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

collectif des journalistes de la chaîne amazighe

  • Collectif des journalistes de la chaîne amazighe

     

    «Nous sommes victimes d’un tyran»

    Taille du texte normaleAgrandir la taille du texte

    Nous nous sommes tus trop longtemps. Aujourd’hui, nous avons décidé de briser le mur du silence et de la peur.» Dixit les membres du collectif des journalistes de la Chaîne IV.


    A vrai dire, rien ne va plus dans cette chaîne berbère qui en est à sa troisième année d’existence. La raison, il ne faut pas la chercher bien loin. C’est la personne de son directeur général, Saïd Lamrani, 75 ans, accusé d’abus de pouvoir, de censure arbitraire, de chantage, de passe-droit, de clientélisme, de harcèlement moral et, plus grave encore, de harcèlement sexuel, qui stigmatise toutes les rancœurs. «Cet homme a touché à notre honneur et à notre dignité. Nous vivons un enfer à huis clos», disent encore ces journalistes, que nous avons rencontrés hier. Après avoir épuisé tous les recours qu’offre la voie hiérarchique, ils ont décidé d’alerter l’opinion publique.


    Briser le mur du silence


    «Nous avons saisi notre tutelle à onze reprises, entre autres pour des demandes d’audience au DG de l’EPTV. Il n’a pas voulu nous recevoir mais nous a demandé de lui faire des rapports individuels. Ce qui a été fait. Par la suite, il a délégué le DG adjoint, à qui nous avons exposé les faits.» « ‘C’est vraiment très grave. Je ferai tout pour que le DG vous reçoive’, nous a-t-il dit. Après cela, nous avons vu le DRH puis le directeur de l’information avant de saisir le conseil syndical des journalistes de l’EPTV. Après le soutien de nos collègues du syndicat, notre tutelle ne nous a manifesté aucun intérêt, aucune sympathie», disent-ils en chœur. Les maux décrits sont graves et les mots très forts.


    Chantage et harcèlement

     

    Les journalistes parlent d’injures, de brimades, d’humiliations publiques, de provocations, de menaces et d’agressions verbales. Les témoignages décrivent un personnage brutal, grossier et humiliant, qui s’entoure de femmes et qui règne en tyran dans la salle de rédaction, dressant les uns contre les autres, ne récompensant les uns que pour mieux rabaisser les autres. Ils décrivent également un homme arrogant qui se prévaut publiquement d’être sous la protection personnelle du président de la République lui-même. «Cet homme a les mains baladeuses. A la cafétéria, à la salle de rédaction ou au restaurant, il ne peut s’empêcher de s’adonner à des attouchements, embrassant l’une, caressant l’autre, sans se soucier de quiconque», dit une journaliste. «Depuis que nous avons décidé de dénoncer de manière collégiale ces affaires de harcèlement, les représailles pleuvent sur nous : avertissements, ponctions sur salaire, PV d’irrégularité gratuits et injustifiés, provocations, insultes, injures…», témoigne un autre journaliste. De manière unanime, les journalistes de la Chaîne IV soutiennent que cela fait trois ans que cette situation dure et ne fait qu’empirer. Les responsables de la télévision, qui ont reçu des rapports détaillés, décrivant par le menu les exactions subies par les journalistes, ont adopté une attitude de silence troublant, si ce n’est complice.


    Même les journalistes femmes qui ont subi des harcèlements sexuels humiliants n’ont reçu aucun soutien moral. «Leur santé physique et morale est atteinte», témoigne un responsable de la rédaction. «Je ne fais que consoler et soutenir mes journalistes, dont le rendement a baissé de manière hallucinante», dit-il. Une journaliste témoigne : «J’étais en contact direct avec lui de par mon travail. Il a commencé à dépasser les limites de la bienséance peu à peu avant d’en arriver aux attouchements. J’essayais de le repousser. J’étais intimidée, je ne savais plus quoi faire. Chaque jour, je venais au travail avec une boule d’angoisse à l’estomac. Un jour, il m’a demandé textuellement d’avoir une relation sexuelle avec lui. J’ai refusé lui disant que cela n’était pas dans mes principes. Depuis, je subis toutes sortes de représailles.» Les journalistes décrivent une technique bien rodée : il donne une émission à une journaliste et l’arrête au bout d’un moment pour mieux exercer son chantage. Le passage à l’antenne est vu comme la principale carte entre ses mains. «C’est un défilé permanent de présentateurs et de présentatrices indigne d’une chaîne de télévision. Il gère la Chaîne IV comme un kiosque à tabac», dit un des journalistes rencontrés. C’est M. Lamrani qui superviserait les moindres détails, ne laissant aucune responsabilité à ses rédacteurs en chef. La censure est monnaie courante.


    A titre d’exemple, les journalistes parlent d’une liste de plus de 70 personnalités artistiques et culturelles dont même l’évocation du nom est interdite à l’antenne. Kamel Hamadi, Idir, Abderrahmane Bouguermouh, les Amrouche, les responsables du HCA, Kateb Yacine et tant d’autres sont bannis de la télévision berbère, quand bien même ils passent sur les autres chaînes nationales. Déterminés à aller jusqu’au bout, les journalistes de la Chaîne IV n’entendent pas baisser les bras : «Notre honneur et notre dignité ne sont pas négociables. Il faut que les pouvoirs publics prennent leurs responsabilités et assainissent cette chaîne, qui est le fruit de longues années de lutte et de sacrifices.»
    Contacté par téléphone au sujet de cette avalanche d’accusations, M. Lamrani n’a pas souhaité réagir. Voici sa réponse : «Je n’ai aucune réaction à faire à ce sujet. Je laisse tout cela à l’appréciation de notre direction générale.»
     

    Djamel Alilat