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l'enjeu said bouteflika : 1. l’algérie devient monarchie privée

  • L'enjeu Said Bouteflika : 1. L’Algérie devient monarchie privée

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    Tout n'était donc pas faux dans les rumeurs qui circulaient : le président Abdelaziz Bouteflika veut régner sur l'Algérie même après sa mort ! Cela peut paraître incroyable, mais c'est ainsi que fonctionnent les créatures du despotisme arabe : elles considèrent le pouvoir comme un butin de guerre acquis à jamais, incessible même après la mort, transmissible aux seuls membres de la "famille" qui seront chargés d'immortaliser la dynastie pour les décennies à venir. La dynastie, ses idées, son prestige et son chef !

    Les plus lucides diront que ce n’est qu’une rumeur. Les plus xx soutiendront qu’entre la peste et le choléra, le choix n’est jamais facile, et qu’après tout, entre Saïd Bouteflika et Ouyahia, seule la couleur change. C’est vrai. La société n’a pas encore créé les conditions d’une alternative démocratique et les mandarins qui peuplent les bunkers du pouvoir donnent à penser qu’ils tiennent tous de Machiavel.

    Pourtant, avec cette perspective de succession d’Abdelaziz Bouteflika par son frère cadet Saïd, nous sortons du machiavélisme pour entrer dans la damnation.

    Saïd Bouteflika  au pouvoir, ce serait l’Algérie qui serait définitivement alignée sur les dictatures arabes. Pouvoir à vie, « tawrith es-soulta », hégémonisme d’une famille et d’une obsession, le bouteflikisme… Propriété privée de nouveaux rois. Des nouveaux rois, que rien n’autorisait à s’ériger en dynastie régnante sur une terre libérée par le sang d’un million et demi d’Algériens. Des rois sans ascendance  et qui, faute de pouvoir léguer un royaume, vont léguer une «  république. » On appelle même cela «  tawrîth al sulta », l’héritage du pouvoir. Transmission héréditaire, au fils, au frère ou, dans le cas extrême, transmission au sein du même clan. L’important est qu’il reste concentré entre les mêmes mains. Peu importe que l’héritier soit du renseignement ou de la caste militaire, l’essentiel est que le peuple soit exclu de la compétition. 

    Il y a eu le nassérisme, l'assadisme, la khadafisme... Il y aura le bouteflikisme !

    Bouteflika tient en otage un pays, maquillé en fausse république, et ne compte pas le lâcher.

    Pourquoi ?

    Pour deux raisons liées à la conception que se fait Bouteflika du pouvoir.

    La première est que le pouvoir est un butin de guerre.

    Il appartient aux plus forts. A un clan. Son clan. Le clan des vainqueurs.

    Le pouvoir est un butin de guerre que l’on a conquis en mettant sa tête sur le billot.  Le billot ? C’est la guerre de libération, celle que Bouteflika dit avoir menée contre l’occupant français puis, à l’indépendance, au sein du groupe de militaires qui ont confisqué le pouvoir au peuple pour ne plus jamais le rendre : le clan d’Oujda formé autour de l’état-major général de l’ALN, dirigé alors par le colonel Houari Boumediene et qui avait écarté, à la dernière minute, et par la force, le Gouvernement provisoire de Benyoucef Benkhedda, le GPRA, pour s’emparer des rênes de commande en Algérie.

    Le pouvoir ne se restitue pas. Il se transmet Ainsi ont toujours pensé tous les autocrates arabes Hafez El Assad, de Bourguiba, de Kadhafi, de Saddam ou de leurs copies médiocres comme Ben Ali, rois-roturiers et monarques absolus.

    Il fera alors ce que fait Moubarak en Égypte, qui en est à sa nième modification de la constitution, Kadhafi en Libye, Hafez El Assad en Syrie, Ben Ali en Tunisie : paver le chemin à l’héritier disponible, le frère, puisqu’il n’y a pas de fils, le frère qu’il compte fortement impliquer dans l’exercice du pouvoir.

    Ainsi a fait Moubarak avec son fils Gamal, ainsi a fait Ben Ali qui viola deux fois la constitution, ainsi procédait Saddam avec son fils aîné, le tristement célèbre Oddei qui lui aurait succédé s’il n’y avait eu l’invasion américaine ; ainsi fit Hafez El Assad avec son rejeton Bashar ; ainsi s’apprêtait à faire Kadhafi avec son fils Seif-El-Islam…

     Le pouvoir appartient aux triomphateurs, aux conquérants. Pas au peuple. Mais à ceux qui « se sont battus au nom du peuple »

    Le pouvoir ne s’obtient pas par les élections, mais s’arrache par la force. Le peuple ? Il n’a aucun mérite dans l’avènement de la liberté.

    Il a appris, lui, que le pouvoir appartient aux triomphateurs, aux conquérants. Pas au peuple. Mais à ceux qui « se sont battus au nom du peuple »

    Dans la tête de l’ex-commandant Bouteflika, le peuple ne fait pas partie des triomphateurs et des conquérants. Ce n’est qu’une foule à qui une élite a offert l’indépendance. Pourquoi exigerait-elle aujourd’hui le droit de donner son avis ?

     Bouteflika avait déjà dévoilé le vrai fond de sa pensée lors d'une interview donnée, en 1999, à une télévision libanaise. Il avait déclamé sur un ton méprisant: «l'indépendance de l'Algérie n'a pas été gagnée par le peuple. C'est une élite qui l'a arrachée et la lui a offerte.»  Bouteflika, impénitent mandarin qui n’a évolué qu’au sein des états-majors et des cercles de l’intrigue, une créature du clan putschiste, ne croit pas au pouvoir du peuple, seulement au pouvoir des armes.      La seconde raison pour laquelle il ne rendra pas le pouvoir est qu’il récupérait « son dû ».

    Ce 15 avril 1999, Bouteflika s’installait à vie, parce que ce pouvoir, c’est le sien, celui de la « famille ».

    Aussi, quand Bouteflika dit sur Europe 1 devant Jean-Pierre Elkabach.[1] : « J’aurais pu prétendre au pouvoir à la mort de Boumediene, mais la réalité est qu’il y a eu un coup d’Etat à blanc et l’armée à imposé un candidat », il parlait de la succession dans le cadre du clan.  

    « Boumediene m’a désigné comme son successeur par une lettre-testament qu’il a laissée avant sa mort. Cette lettre se trouvait à un moment donné aux mains d’Abdelmadjid Allahoum [2]. Qu’est devenue cette lettre ? Je voudrais bien le savoir, car je l’ai vue cette lettre ! »

    Quand il posa, avec détermination, en octobre 1999, cette question à Khaled Nezzar, le général en restera stupéfait. « J’ai exprimé ma surprise. Je n’ai jamais entendu parler d’un tel testament », raconte le général [3]. Aucun dirigeant politique algérien n’a jamais entendu parler de cette lettre-testament.

    Mais l’anecdote est significative de l’état d’esprit qui habitait l’homme à son intronisation : il revenait au pouvoir non pas en tant qu’élu de la nation mais en tant qu’héritier, monarque rétabli dans son « droit » à la succession.

    Et qui va léguer la République à son tour. M.B. Prochains articles : L’enjeu Saïd Bouteflika : 2. La fin des ambitions démocratiquesL’enjeu Saïd Bouteflika : 3. Le retour des islamistesL’enjeu Saïd Bouteflika : 4. Comment tromper la société civile ? L’enjeu Saïd Bouteflika : 5. Le règne des kleptocrates


    [1] Europe 1, le 8 juillet 1999.

    [2] Directeur du protocole de Boumediene, décédé en 1996.

    [3] Khaled Nezzar, Bouteflika, un homme, un bilan, éditions Apic, septembre 2003.