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les silences pesants du président de la république a. bouteflika

  • Les silences pesants du président de la République A. Bouteflika

    Par Ahmed ROUADJIA

    Chercheur, Maître de Conférences

    Université de Msila

    D’ordinaire volubile et communicatif, le président Bouteflika se fait bizarrement, depuis quelques temps fort discret, silencieux, taciturne, et presque absent  de la scène du monde politique. A quoi est-il dû son refus de « parler » directement, comme il le faisait avec enthousiasme durant son premier mandat ? La réponse tient de la conjecture. On en est réduit à jouer aux devinettes sur les motifs que sous-tendent ses silences pesants et ses apparitions furtives sur les écrans de notre chaine de télévision aux programmes répétitifs, aux invités toujours triés sur le volet et dont les débats sont presque toujours ternes, aux propos desséchés et sans rapport  aucun avec le vécu et les attentes multiples des citoyens épris de justice et de démocratie.

    Alors qu’une lame de fond sans précédent traverse le monde arabe depuis l’océan indien en passant par le Proche-Orient jusqu’au Maghreb, notre président n’en pas soufflé un seul traître mot. Il demeure obstinément silencieux, comme si  ces évènements graves, ne concernaient pas notre pays, et comme si l’Algérie politique devait rester pour je ne sais quelles raisons obscures en retrait par rapport aux autres nations dont les chefs d’Etat se sont empressés de dire leur mot et de réaffirmer leurs positions sur la scène Internationale non pas comme spectateurs, mais comme acteurs actifs et agissants. Les présidents américains, français, italien, britannique, etc., ont tous parlé et dit à leurs peuples et à ceux du monde ce qu’ils pensent de ces évènements qui secouent en profondeur le monde arabe, et répété à leur manière qu’ils n’ y sont guère indifférents, notre président et son ministre des Affaires étrangères, Medlci, n’ont au contraire guère jugé opportun d’exprimer la position officielle du pays à ce sujet.

     

    Un président qui se confie facilement aux autres, mais pas à son peuple inquiet et agité

    Que pense notre président des révolutions populaires en Tunisie et en Egypte, des révoltes en cours au Yémen et à Bahreïn, et surtout du quasi génocide qu’orchestre à présent le colonel Ghddafi à l’encontre de son peuple ? Nul ne le sait. Les citoyens algériens en sont réduits à des supputations. Ils s‘efforcent en vain de décrypter les intentions « secrètes » de leur président et se demandent ce qui motive ses silences inexpliqués face à des évènements aussi graves que ceux de la Lybie, évènements dont les retombées pourraient avoir des conséquences dangereuses sur la sécurité nationale. Le vide que laisserait le dictateur colonel zaïm El Ghaddafi en Lybie ne manquerait pas de tenter les puissances étrangères  de le combler en intervenant directement pour faire main basse sur les richesses pétrolières que recèle ce pays en proie à l’anarchie. Sous le motif fallacieux de protéger le peuple libyen du génocide, des puissances étrangères comme les Etats-Unis  et certains pays de l’Europe de l’Ouest, la Grande Bretagne, la France et l’Italie, par exemple, n’hésiteraient pas à investir « pacifiquement » la Lybie au nom de la défense des « droits de l’homme », de la « démocratie » et du droit  à « l’ingérence humanitaire ».Se taire dans ces conditions, comme le fait notre président, équivaut à se dessaisir de la parole  et des actes au profit des acteurs politiques étrangers, c’est leur donner l’occasion et la possibilité de parler et d’intervenir directement dans une région qui nous concerne au premier chef.

     

    Naguère loquace, volubile et éloquent, et sachant s’adresser directement à son peuple avec la clarté qui est la sienne, notre président se fait de plus en plus étrangement avare en paroles, et publiquement discret comme si ses forces l’avaient abandonné sous l’effet de l’usure du pouvoir ou de l’accumulation écrasante de ses charges politiques. On ne sait. Mais des indices indiquent que ses forces  s’épuisent mais non la conviction qui l’anime. Aussi se confie-t-il à

    Jean-Pierre Raffarin en ces termes «J’ai plus de conviction que de force» lui dit-il. Il réserve ainsi la primeur de ses états d’âme non pas à son peuple en attente d’être  instruit et informé des intentions  et de la santé de leur président, et de ce pourquoi ses « forces » l’abandonnent, mais il réserve ses secrètes pensées « en exclusivité » à des hôtes étrangers par l’entremise desquels le peuple apprend le déclin de la « force » du président. Par absence de « force », qu’entend-t-il ? Faiblesse physique ou faiblesse « morale » face aux résistances qui s’opposeraient à ses « convictions » présumées encore intactes ? Mais de quelle type de conviction le président se trouve-t-il encore armé ? La question reste suspendue à une indétermination absolue, à la manière d’une équation mathématique.

    Si les officiels étrangers qui se succèdent à Alger savent tout ce que pense notre président de tous les problèmes auxquels sont confrontés les algériens, et des motifs qui ont poussé les jeunes à se révolter en janvier dernier dans de nombreuses villes du pays, les algériens, eux, ne connaissent de la pensée de leur  président que ce que leur rapportent, via les médias, ses interlocuteurs étrangers auxquels il accorde le privilège de ses révélations.

     

    Quel rang  l’Algérie occupe-t-elle dans l’échiquier politique mondial ?

    Outre le silence observé sur les massacres dont fait l’objet le peuple libyen de la part d’un dictateur repris de plus belle par une folie meurtrière qui équivaut à un manquement  manifeste au devoir de solidarité et d’ « ingérence humanitaire » qui incombe à notre pays, il y a aussi ce renoncement  de l’Algérie à son rang de puissance régionale et qui s’abstient curieusement à dire son mot sur ce qui se passe sur le flancs sud-est de ses frontières ; au lieu de hausser le ton afin de marquer à la fois une borne à ne pas dépasser de la part  du dictateur libyen  dans son entreprise génocidaire, et à tous de ceux qui seraient tenter de transformer la Lybie en chasse gardée, elle préfère s’enfermer dans un silence épais. Sur toutes ces questions sensibles, notre président  ne s’est point prononcé comme s’il voulait laisser le soin au président Barak Obama et à ses consorts occidentaux d’éteindre à notre place l’incendie déclarée en Lybie et qui menace d’embraser de vastes régions du Maghreb encore épargnée par la colère des peuples sevrés de liberté de manifestations et  de revendications légitimes.

    Quel rang occupe l’Algérie dans l’échiquier politique régional et international ? A-t-elle une stratégie politique clairement affirmée en la matière ? Au vu de l’absence des débats à ce sujet, de l’indigence de la communication politique non encore affranchie des non-dits et de la langue de bois héritée du parti unique, et en raison aussi de l’opacité qui conditionne les réflexes de notre système politique, il est difficile de savoir exactement le rang occupé par notre pays dans le concert des nations. Ce qui est certain, c’est que notre pays rempli de plus en plus un rôle effacé dans la dynamique des relations internationales, et en dehors de la lutte anti-terroriste qui lui confère un rôle positif, notamment aux yeux des Américains, il demeure un pays presque marginal en ce qui concerne la gestion des crises internationale et régionale. Aux yeux de l’Occident,  le « poids politique » de l’Algérie réside non pas dans son rôle de puissance « moyenne », voire de « première puissance » régionale, mais dans  son poids économique  et de sa position géo- stratégique qui prolonge et complète les efforts entrepris par l’Occident pour « pacifier » les régions investies ou « contaminées » par le virus intégriste. L’Algérie qui s’est fait reconnaître comme le champion de la lutte anti-terroriste, et qui en tire une grande fierté politique, possède  en outre des réserves pétrolières notables qui la rendent acceptable et politiquement « fréquentable » par tous les Etats nantis, assoiffés de pétrole et de vengeance contre l’hydre intégriste.

     

    L’Algérie comme débouché pour les industries occidentales

    En d’autres termes, notre pays n’est courtisé, sollicité et flatté dans son ego par les Occidentaux qu’en fonction des intérêts qu’il représente pour eux : le pétrole et la lutte anti-terroriste. Les fréquentes visites des envoyés américains et européens ces dernières années auprès d’Alger, et les éloges qu’ils en ont font, témoigne de la confiance et de l’espoir qu’ils placent dans nos dirigeants pour persévérer dans leurs efforts de lutte contre le terrorisme islamiste d’El Qaïda et d’ « ouverture économique » aux capitaux occidentaux. Quant à « l’ouverture  politique » du régime sur la société civile, elle n’est réclamée par eux qu’au bout des lèvres. Lorsque Jean-Pierre Raffarin, l’envoyé spécial de Nicolas Sarkozy,  est reçu à Alger par le président Bouteflika, il ne lui fait pas part d’ouverture politique, mais d’ouverture de l’économie algérienne aux capitaux français. Il aurait même reçu la promesse du président Bouteflika que les entreprises françaises seraient les bienvenues en Algérie.[1] Se faisant le publiciste de l’industrie française, Raffarin s’est empressé de rappeler que la France est bien placée dans certains secteurs pour contribuer à répondre aux aspirations « sociales » des Algériens: «On a du gaz et du pétrole en Algérie, dit-il. Mais on n’a pas d’industrie pétrochimique. Dans la construction d’un pays, le ciment est fondamental » et les Algériens  l’importent. «  Ils n’ont pas d’industrie pharmaceutique » digne de ce nom. Mais  «  Avec Total, Lafarge et Sanofi, on est en train de répondre à l’aspiration sociale des Algériens.»[5] En parfait accord avec ses hôtes algériens, Raffarin pense comme eux que la crise morale que traverse l’Algérie depuis des lustres relève plus du « social » que du politique, comme si les Algériens étaient seulement en manque d’emploi et du pain, et non en manque cruel de liberté, de justice et d’équité. Avocat des intérêts capitalistes français avides de surprofits, Raffarin passe sous silence les attentes des algériens qui ne sont pas seulement d’ordre « social », et économique, mais surtout d’ordre politique dans la mesure où les libertés se trouvent rétrécies  et où les manifestations revendicatives subordonnées à une autorisation spéciale auprès du ministère de l’Intérieur. Même émise, cette autorisation n’est pas toujours agrée, comme en témoignent les refus essuyés par  la Coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNCD) d’organiser des manifestations pacifiques dans la capitale. A l’instar des dirigeants algériens qui pensent en termes « économistes » pour résoudre « le social », Raffarin est d’avis pour les aider en ce sens : «Nous allons répondre, dit-il, à l’aspiration populaire, et nous ne pouvons pas être indifférents à la crise sociale. La France est prête à apporter son concours pour cette réponse sociale à l’aspiration du peuple algérien».[6]

     

    La démocratie, produit de luxe inaccessible pour l’Algérie ?

    Les Occidentaux le pensent profondément en leur for intérieur, même si par ailleurs ils affectent quelquefois de militer en faveur des réformes démocratiques, et d’en appeler à la levée des contraintes qui pèsent sur les libertés individuelles et collectives. Ainsi en est-il de Philip Crowley, porte-parole du département d’Etat américain qui feint de saluer comme positive l’annonce faite  par le Conseil des ministres algérien de lever l’Etat d’urgence décrété il y a dix neuf ans : «La décision du gouvernement algérien de lever l’état d’urgence est positive, dit Crowley,  mais elle doit se traduire par une extension des libertés et un véritable changement». Et la visite que vient d’effectuer à Alger l’américain  William J. Burns, sous secrétaire d’Etat aux affaires politiques, s’inscrit justement dans une démarche politique calculée et visant à éviter au régime algérien de connaître le même sort que les régimes tunisien, égyptien et libyen. C’est pourquoi ils demandent encore au régime algérien de faire plus de concessions à la population qu’il n’a fait jusqu’à présent afin de lui épargner des surprises, et de lui éviter d’être pris au dépourvu par des évènements qu’il ne saura contrôler. Les précédents tunisien et égyptien hantent encore la mémoire des Occidentaux, et le soulèvement incroyable qui secoue en ce moment la Lybie, et qui a déjoué toutes les prévisions de leurs experts « en géopolitique »,  les incite désormais à la prudence consistant à ménager la chèvre et le choux en affectant d’être à la fois compréhensifs envers les revendications « sociales » algériennes et envers la politique du régime qu’ils trouvent « acceptable », voire plus que conforme à leurs visions de l’ordre et de la « sécurité régionale ». Le régime algérien dont il ménage les susceptibilités leur apparaît  en effet comme étant le mieux indiqué pour jouer au gardien de la sécurité de l’ordre régional.

    En fait, l’Occident  n’a que faire de la démocratie, des droits de l’homme et de l’ouverture du champ politique algérien, tant que ses intérêts économiques, mais aussi politiques, sont garantis. On peut s’accommoder avec des régimes dictatoriaux, autoritaires et corrompus, comme cela a été le cas avec Hosni Moubarak, Zine El Abidine Ben Ali et El Ghaddafi, dont on flattait hypocritement le « libéralisme économique », mais guère avec un régime  réellement démocratique issu du « Tiers Monde » et se trouvant en phase avec son peuple. Pour eux, la démocratie  est « un produit de  luxe » destiné aux peuples « civilisés » ayant atteint une certaine maturité intellectuelle et politique, et non à des peuples, comme le nôtre, encore englué dans les ornières de l’esprit patriarcal et tribal. Certes l’Algérie n’est pas la Lybie, ni le Yamen, où l’esprit tribal imprègne profondément les imaginaires sociaux et politique locaux, mais il n’en reste pas moins que notre pays reste largement tributaire d’une certaine représentation patriarcale de l’autorité qui trouve son point d’application dans l’ordre politique.

     

    L’Occident face au réveil des peuples « endormis »

    Ces Occidentaux pensaient pareillement à propos de la Tunisie et l’Egypte avant que ne se produisent les deux révolutions en leur sein. Ils misaient plus sur les régimes en place pour préserver leurs intérêts que sur les peuples dont ils faisaient fi de leurs revendications « sociales » et politiques. Ce n’est qu’après s’être définitivement assurés que ces peuples étaient résolus à en finir avec leurs régimes honnis que les Occidentaux s’étaient mis à l’évidence qu’il fallait se rattraper en déclarant in extremis reconnaître le caractère légitime de ces soulèvements qui ont mis à bas ces régimes corrompus et inféodés depuis des lustres à leur volonté de domination et de puissance. Comme l’écrit  à juste titre l’universitaire Kaddour Chouicha, il convient de remonter dans le temps pour saisir l’ambigüité et la complicité de l’Occident avec ce type de régimes complètement « exogènes » à leurs peuples « on doit revenir en arrière, écrit Chouicha, et tenir compte du fait que pendant très longtemps, ils étaient complices, et l’indice le plus criant est la déclaration de la ministre des Affaires étrangères française, qui a proposé à Ben Ali d’aider l’appareil répressif. Il ne faut pas oublier ce qui se passe en Irak, en Afghanistan où aucune solution n’a été trouvée malgré les sommes colossales englouties et où, au contraire, on va vers le chaos. Aujourd’hui, les intérêts de ces pays commandent qu’il y ait une autre approche. Il n’est plus question d’intervenir directement, donc il faut composer avec les populations.
    L’exemple de la Tunisie est frappant. Au début, il y avait de l’hésitation, mais au fur et à mesure que la population exprimait son désir de ne plus revenir en arrière, les puissances occidentales ont fini par s’y accommoder. Il fallait accompagner pour que cela n’aille pas en leur défaveur, notamment en Egypte. C’est aussi ce qui explique les récentes déclarations des chefs d’Etat de ces puissances pour le cas de l’Algérie. ».[7]

     

    L’ « autre approche » justement que les Occidentaux cherchent à trouver pour ne pas être pris au dépourvu par des évènements qu’ils ne peuvent prévoir, n’est pas une « rupture » totale comme le suggère Kaddour Chouicha, avec les méthodes qui ont de tout temps fondé leurs intentions essentielles, mais seulement une tentative de leur part de s’ adapter aux circonstances suscitées par l’éveil des peuples que l’on croyait à jamais « endormis ». Faute de pouvoir aller à l’encontre de la volonté irrésistible de ces peuples de bouleverser de fonds en comble les ordres et les valeurs politiques imposés d’en haut, les Occidentaux sont désormais contraints de jouer « aux équilibristes » en essayant de composer ou de trouver un compromis politique « médian » qui puissent satisfaire aux attentes des contraires : les régimes politiques autoritaires encore « en place » et leurs peuples encore également « endormis » ou hésitant sur l’action à entreprendre…