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leurs ossements gisent dans de vulgaires boÎtes dans un musÉe no

  • LEURS OSSEMENTS GISENT DANS DE VULGAIRES BOÎTES DANS UN MUSÉE Nos héros abandonnés en France


    08 Mai 2011 - Page : 2

    Le Muséum national d’histoire naturelle de Paris

    Le crâne de Chérif Boubaghla a été retrouvé à Paris ainsi que ceux de cheikh Bouziane, de Mokhtar Ben Kouider Al-Titraoui et de Moussa Al-Darkaoui des Zaâtchas.
    On n’a pas entendu le ministère des Moudjahidine et l’Organisation nationale des moudjahidine revendiquer la restitution de ces crânes.

    Le Muséum national d’histoire naturelle de Paris (Mnhn), établi à deux pas de la Grande Mosquée de Paris, renferme au sein de ses collections dites «ethniques», des morceaux de corps de résistants algériens à la colonisation: crânes, têtes, parfois une simple oreille ou une touffe de cheveux. Parmi eux figurent le crâne de Chérif Boubaghla ainsi que ceux des chefs de la résistance des Zaâtchas.
    La tête momifiée (la vraie tête desséchée) d’Al-Hamadi, qui fut le lieutenant du Chérif Boubaghla, git dans un simple bocal. La base de données du Mnhn ne fournit aucun renseignement sur les donateurs (Vital, Flourens, Weisgerber etc.), ni sur les collections (Guyon, Hamy et J.E de la Croix etc.). L’origine, la date d’entrée au musée, l’identité des sujets algériens, sont inscrites dans les registres du Mnhn sous la forme: «Don du Dr Cailliot, 1881-37 Yaya Ben Saïd, 6872, crâne a.m.i» ou encore en ce qui concerne le crâne de Boubaghla: «Don de M.Vital, de Constantine, 1880-24, Bou Barla, dit Le Borgne. 5940, crâne s.m.i.»

    «L’homme à la mule»
    Les crânes de Boubaghla, de Bouziane, de Moussa Al-Darkaoui etc. qui portent chacun un numéro d’ordre inscrit à même l’os, sont calfeutrés dans de vulgaires boîtes cartonnées, qui évoquent les emballages des magasins de chaussures. Ces boîtes sont rangées dans les rayons de volumineuses armoires métalliques dont les portes coulissantes, sont fermées à double-clé. Aïssa Al Hammadi, le compagnon d’armes de Boubaghla a les dents blanches et saines, elles sont soigneusement alignées entre ses deux lèvres à demi entrouvertes sur un fugace rictus, il semble avoir rendu l’âme à la fleur de l’âge, contrairement à ses compagnons d’infortune du Mnhn de Paris, qui ont pour la plupart perdu leurs dents post mortem.
    Boubaghla présente une grande entaille sur le crâne, qui semble avoir été occasionnée par un objet contondant.
    La description du Colonel Robin est exacte concernant la dentition de Boubaghla, il lui manque la dent incisive droite supérieure. La mandibule (mâchoire) est manquante, le médecin-militaire Vital, chef de l’hôpital de Constantine, qui détenait ce morceau du corps de Boubaghla, l’a égarée.
    Le but de cette chronique n’est pas de faire un exposé nécrologique sur la découverte émouvante, de restes mortuaires algériens gardés dans le formol ou dans des boîtes cartonnées dans un musée parisien. Il s’agit de sensibiliser les responsables algériens sur ces restes privés de sépultures, qui appartiennent à l’histoire contemporaine tourmentée de l’Algérie.
    Mohammed Lamjad ben Abdelmalek, dit Chérif Boubaghla, «l’homme à la mule», représentait les valeurs de justice et de liberté universellement reconnus à notre époque.
    Voici en termes rugueux, l’histoire de la décapitation du Chérif Boubaghla telle qu’elle figure dans les livres et des rapports de l’époque, en 1856. Signalons que dans le cas présent, la tête de Boubaghla est perçue comme un trophée par les Al-Mokrani, sur instigation des autorités coloniales elle sera exposée publiquement dans plusieurs localités du fief des Al Mokrani, une fête avec fantasia aura lieu en présence des autorités coloniales.
    Son forfait impitoyable accompli, Lakhdar Al Mokrani, le jeune frère du Bachagha Mohamed Al Mokrani écrit, dans une lettre adressée à un officier français:
    «Vous m’avez fait des compliments sur ma conduite. J’ai prié le colonel Dargent de vous assurer qu’il ne passerait pas un mois sans que le Chérif Boubaghla soit tué ou soumis. C’est plus fort que moi, je n’en ferai pas un mérite, mais cet homme m’agaçait. Il fallait que lui ou moi, disparaissions. S’il ne venait pas me chercher, je voulais aller le tuer dans sa maison. Dieu me l’a mis entre les mains (sic) mardi soir (...). Je vous remercie des conseils que vous m’aviez donnés, car c’est à eux que je dois d’avoir pu satisfaire le besoin qui me tourmentait de me trouver face à face avec ce méchant homme. Dieu m’a récompensé en le mettant au bout de mon fusil».
    Boumezrag Al-Mokrani et le futur Bachagha Mohamed Al Mokrani ont participé à la curée. D’autres archives françaises de l’époque donnent plus de détails sur l’événement: «L’alerte a été donnée à Tazmalt et le goum qui s’y trouvait sous les ordres de Lakhdar Mokrani était monté précipitamment à cheval et était accouru sur les lieux.
    Boubaghla cherche à regagner à toute vitesse les Béni Melikech. Mais le chemin qu’il a pris dans la plaine de Tablat est détrempé par les irrigations qu’on a faites la veille. Son cheval Djiouad, qu’il montait ce jour-là, ne peut plus avancer et déjà les cavaliers de Lakhdar arrivent sur lui et lui envoient des coups de fusil. Il met alors pied à terre et gagne rapidement un ravin boisé où on ne pouvait pas le suivre à cheval et où il espérait rejoindre ses hommes des Béni Melikèch (...) Le caïd Lakhdar Al-Mokrani n’avait avec lui à cet endroit que son frère Boumezrag AI-Mokrani et trois cavaliers. Il leur fait mettre pied à terre et tous se lancent à la poursuite du Chérif Boubaghla qui demande la vie sauve, disant qu’on aura plus de profit à le livrer vivant que mort. Mais de nouveaux coups de feu partent sur le Chérif et malgré sa blessure, et lui coupe la tête avec un couteau sans attendre qu’il eut cessé de vivre». Nous disposons de la description du visage de Boubaghla dans des chroniques de l’époque. Il est donc tout à fait possible de restituer le visage de Boubaghla et de ses infortunés compagnons du Mnhn de Paris, à l’aide d’images numériques de synthèse. Les visages ainsi restitués, de ces tutélaires de la révolution, iront rejoindre dans nos musées les photogrammes des héros de l’Indépendance. Pour cela, il suffit de recomposer en silicone le visage évoqué par ces crânes, après la création d’une empreinte faciale en fibre de verre. Les exemples ne manquent pas, le visage de Cléopâtre ou celui de Toutankhamon ont été reproduits. Celui de Bouziane, de Boubaghla et de Moussa Al-Darkaoui peuvent l’être. Un examen réalisé à l’aide d’un simple tomodensitomètre, permettra la «reconstruction» des traits du visage, le plus près possible de la réalité, avec une approximation faciale acceptable. Les Algériens ne manquent ni de cerveau, ni d’imagination.
    Le Mnhn de Paris détient une copie intégrale de la tête de Mohammed Ben-Allal ben-Sidi-Mbarek, le lieutenant et alter égo de l’Emir Abdelkader, qui fut réalisée «à chaud», peu de temps après le décès de Ben Allal. La Bibliothèque nationale d’Alger garde un simple masque mortuaire de Ben Allal, qui est moins exhaustif et d’un rendu approximatif.
    La fin de Ben Allal est évoquée ainsi par la plupart des auteurs de l’époque: «Le 11 novembre de la même année, le colonel Tempoure, suivi de 500 hommes d’infanterie et de 500 chevaux, attaque, sur l’oued El-Khechba, près de Sidi-Bel Abbès, le Khalifa Mohammed ben-Allal, qui, rejeté hors de l’Ouarsenis, cherchait, à la tête de deux bataillons de Réguliers et d’une nombreuse cavalerie, à faire sa jonction avec l’Émir Abdelkader (...) L’intrépide Khalifa Ben-Allal, isolé de sa troupe, et reconnu à sa taie sur l’oeil gauche, est chaudement poursuivi par le capitaine Cassaignolles et quatre de nos cavaliers; il leur fait subitement tête, décidé à mourir les armes à la main. Dans cette lutte désespérée, Ben-Allal tue un.brigadier de Chasseurs, démonte le capitaine Cassaignolles, et blesse un maréchal-des-logis. Une balle, en lui traversant la poitrine, vient mettre fin à ce combat inégal; il tombe de cheval, et un spahi lui coupe la tête. C’est ainsi que finit le plus actif et le plus brave des lieutenants de l’Emir».

    «Objets»
    Les crânes identifiés et retrouvés au Mnhn appartiennent à (un certain) Si Saïd, marabout kabyle. Bou Amar Ben Kedida.
    Si Mokhtar Ben Si Kouider Al-Titraoui dénommé «Bou Hmara». Cheikh Bouziane des Zaâtchas.
    Si Moussa, compagnon du Cheikh Bouziane. Un chef kabyle, sans autre précision. Un certain Yahya Bensaïd, sans autre précision. Celui d’un Saïd Hamoud. Celui de Messaoud Ben Alla. Celui d’Ali Khalifa Ben Mohamed. Celui d’Amar Bensliman. Celui de Belkacem Ben Mohamed. Un autre appartenant à Belkacem Ben Mohamed Al Djennadi, etc. La tête du résistant Aïssa Al-Hamadi, qui fut le lieutenant du Chérif Boubaghla, est entière, elle est momifiée et séjourne depuis le milieu du XIX° siècle dans un banal bocal. Le fils du cheikh Bouziane des Zaâtchas, est rentré sous un autre nom au Mnhn, il n’a pas été possible de l’identifier. Il avait été décapité en même temps que son père et de Moussa Al-Darkaoui et de Mokhtar Ben Si Kouider Al-Titraoui dit «Bou Hmara». Des bribes de corps d’autres personnages algériens, nous en avons dénombré une quarantaine, sont enfermées dans les combles du Mnhn de Paris.
    Les régions d’origine d’une grande quantité de crânes ne sont pas précisées, des études ultérieures permettront éventuellement, par supputation, de leur allouer leur localité originaire, selon les correspondances échangées à leur sujet entre les donateurs et les collectionneurs français. Par exemple, le collectionneur Guyon adressait régulièrement des lettres à son homologue Flourens. Le samedi 13 janvier 1838, il lui parle de «deux têtes dans l’alcool (celles d’un Arabe et d’un Kabyle)».
    Le mercredi 1er mai 1839 d’Alger il envoie une lettre à propos de «cinq têtes d’indigènes, où il est également question d’un crâne de Biskra envoyé auparavant».
    Le samedi 11 avril 1840, Guyon envoie d’Alger une lettre à Flourens dans laquelle il lui rappelle son précédent envoi de «deux têtes de nègres, Messaoud et Selim» au Muséum. Le mardi 10 octobre 1843, Guyon établit le «duplicata de l’envoi d’un grand nombre d’objets à Flourens». Tout cela est déconcertant, nous ne baignons pas dans le siècle des lumières, mais dans une obscurité barbare à découper au couteau. Le mot «Objets», est le fruste synonyme du terme: «choses», formule lapidaire passe-partout qui évite à Guyon de se placer du mauvais côté de l’humain. Dans le jargon de ces anthropologues de l’horreur, le mot «objets» ne désigne pas spécifiquement les Algériens, mais tous les restes humains détenus par les musées, toutes origines confondues. Même les petits enfants algériens n’y échappent pas, le mercredi 10 décembre 1845, le même Guyon envoie, toujours d’Alger où il réside: «un foetus et une tête de petite fille et d’autres objets» à son ami Flourens.
    Où s’arrête la barbarie? Quelles sont les limites de la férocité?
    Au Mnhn de Paris, il y a aussi les restes d’indigènes, militaires morts pour la France, au temps des colonnes françaises, que nous n’étudions pas, pour ne pas mêler les genres, mais aussi parce que depuis toujours nous sommes du côté des opprimés.
    J’ai adressé une lettre au Président Abdelaziz Bouteflika au début du mois de mars dernier, restée sans réponse à ce jour. Ma lettre au Président, concernant ces fragments de corps algériens, disait ceci: «Comme vous le savez, Monsieur le Président, il n’est pas de mon ressort en tant que simple chercheur, de rapatrier les restes mortuaires de ces illustres compatriotes. C’est à l’Etat algérien de faire les démarches officielles auprès des autorités françaises, à défaut, il appartient aux familles des intéressés de se manifester. Ces découvertes, chargées pour moi d’une émotion considérable, méritent en ces temps de déréliction idéologique, un hommage national parfait (...)».
    Espérons qu’un homme politique estimable ou quelque député exemplaire, cela existe, se manifesteront dignement, à titre officiel, afin que les morceaux du corps de ces héros nationaux authentiques soient rapatriés pour être enterrés au Carré des Martyrs du cimetière d’El-Alia, aux côtés de Fatma N’Soumeur et de l’Emir Abdelkader Ben Mohiédine, dont la dépouille fut rapatriée de Damas à Alger après l’ Indépendance.
    En guise de conclusion, nous sommes disposés personnellement, à apporter notre aide en vue du dénombrement de tous les restes mortuaires algériens qui sont détenus dans les musées de France.

    (*) Chercheur Histoire & Épigraphie
    Alifbelkadi@aol.com

    Ali-Farid BELKADI (*)