Le déclin de la loi
Ainsi relèvent de la compétence du Parlement, les lois relatives par exemple, aux droits et devoirs des personnes, à la Fonction publique, aux élections, à la fiscalité, au commerce, à la santé publique ; à l’environnement...
Cette compétence couvre l’ensemble des activités citoyennes et institutionnelles de l’Etat (art. 122). Par ailleurs, elle obéit à une procédure qui est, elle aussi, déterminée par la Constitution de 1996. Ainsi, l’initiative des lois appartient concurremment au chef du gouvernement et aux députés —au moins 20 députés — (art. 119 de la Constitution 1996 qui a reconduit les dispositions de l’article 113 de celle de 1989 et l’art. 119 de celle de 1976). C’est ainsi que les propositions de loi sont présentées en conseil des ministres après avis du conseil d’Etat, puis déposées sur le bureau de l’APN (art. 119-3). Les Constitutions algériennes, depuis celle de 1963, en passant par celle de 1976 et 1989 et, en aboutissant à celle de 1996, donnent au président de la République la faculté de légiférer par la voie d’ordonnance. Cependant, depuis l’investiture de l’actuel président de la République, le recours à ce mode de législature a pris des proportions qui méritent réflexion. La loi n’apparaît plus comme le mode normal de législation, elle est de plus en plus remplacée par des ordonnances. Leur multiplication est un signe de changement, même de dérèglement juridique et politique. Elles entraînent une modification du système dans lequel elles s’insèrent. De la lecture du Journal officiel de 2000 à nos jours, on constate que tous les domaines — qui sont de la compétence du Parlement — ont fait l’objet d’ordonnancement présidentiel. A titre d’exemple, en 2000 et en se référant à un avis du conseil constitutionnel, le président de la République abrogea l’ordonnance instituant le gouvernorat d’Alger. L’année suivante, 4 ordonnances furent signées, qui légiférèrent dans les domaines de la monnaie et crédit, du tarif douanier, de l’investissement et de la privatisation des entreprises publiques économiques. En 2002, c’est au tour de la loi de finances complémentaire, du tarif douanier (encore une fois), des circonscriptions électorales et du nombre des sièges à pourvoir au Parlement ; ainsi que des disparus des inondations d’Alger. L’année 2003 connut 11 ordonnances présidentielles, qui portèrent sur le mouvement des changes et capitaux de et vers l’étranger, l’import-export, les droits d’auteur, les brevets d’invention, les circuits intégrés, l’éducation et la formation, l’aviation civile, la monnaie et le crédit (encore une fois) et les assurances. La cadence est freinée en 2004 par les préparatifs de l’élection présidentielle ; une seule ordonnance fut publiée dans le Journal officiel portant sur le code des pensions militaires. Une relance de la cadence fut observée en 2005 avec la publication de 7 ordonnances (code de la nationalité, de la famille, de la commune et de la wilaya, loi de finances complémentaire, contrebande et enseignement privé). En 2006, 3 ordonnances furent publiées dans le Journal officiel, relatives à la réconciliation nationale, au statut des militaires et à la religion. Le premier semestre de 2007 n’échappe pas à cette pratique ; ainsi 2 ordonnances sont publiées dans le Journal officiel, la première relative aux incompatibilités et obligations particulières attachées à certains emplois et fonctions et la deuxième portant sur la loi minière. II n’est pas le seul. Tous ses prédécesseurs en ont fait autant. Les ordonnances présidentielles ne sont donc pas en elles-mêmes une nouveauté. Elles seront suivies d’autres, tant que les dispositions constitutionnelles qui ont servi de fondement sont toujours en vigueur. Ainsi, sans même remonter aux ordonnances de 1963 qui ont entraîné la dissolution de l’Assemblée nationale de 1963, on trouve des ordonnances dans les années 1960 (M. Ben Bella), 1970 (M. Boumediène), 1980 (M. Chadli) et 1990 (M. Zeroual). Par leur nombre et la diversité des domaines qu’elles couvrent, elles soulignent le déclin de la loi. Il ne s’agit plus seulement d’une législation par ordonnance, le mécanisme de ratification, à peine moins sommaire lorsqu’il est explicite que lorsqu’il est implicite, n’arrive pas à restaurer le rôle de la loi. Il s’agit peut-être d’une nécessité. Des droits étrangers connaissent aussi la législation par ordonnances. Durant les deux derniers mandats présidentiels, le Parlement n’a pas voté un seul texte proposé par ses députés, par contre aucune ordonnance présidentielle n’a été rejetée. Cependant, certains projets de lois présentés par l’actuel gouvernement ont essuyé un refus partiel de la part des députés, ce qui a amené (sans doute) l’actuel président de la République à enjoindre son chef du gouvernement publiquement, lors de la dernière conférence annuelle, des cadres de la nation, à faire passer le texte par la voie exceptionnelle. Quant au fond, il y a sûrement des réformes à entreprendre dont la procédure parlementaire et les obstructions qu’elle comporte ne permettant pas la réalisation en temps utile. L’encombrement de l’ordre du jour parlementaire fait obstacle à la réalisation, dans les délais raisonnables, du programme du gouvernement tendant à simplifier le droit et à poursuivre sa codification. L’argument peut être fallacieux car le gouvernement a la maîtrise de l’ordre du jour et il lui est loisible de désencombrer pour faire passer ce qui lui paraît essentiel. Il serait plus juste de parler de la lenteur de la procédure parlementaire. La restitution au Parlement de son rôle législatif passe sans doute par la rénovation de sa procédure. Il passe aussi par une meilleure délimitation du domaine de la loi et de celui du règlement. Des voix de tous bords appellent à un changement de régime. Les ordonnances présidentielles révèlent, entre autres aspects, qu’il a déjà changé par rapport à la période d’avant 2000. Le taux d’abstention aux dernières législatives et la reconduction de la majorité des membres du gouvernement ne sont que des symptômes de cet état de fait accompli. La révision constitutionnelle prévue cette année gagnerait à être complétée par une dissolution de l’APN.
L’auteur est Doctorant en droit
Par Khadir Abdelkader