Le sort de Mellouk sera connu le 15 mars Pour la énième fois, Benyoucef Mellouk a comparu, hier, devant la cour d’Alger, pour diffamation, en absence des deux anciens ministres de l’Intérieur, Mostefa Mohammedi, et des Moudjahidine, Mohamed Djeraba, partie plaignante ainsi que leurs avocats.
Dans la salle, les mêmes personnes toujours solidaires du combat de Mellouk pour la vérité et ce, depuis… 18 ans. L’ancienne combattante de la Révolution, Fattouma Ouzegane, Abdelkader Souhabi, un ancien cadre des douanes par qui le scandale du transit de marchandises entre les pays frontaliers, plus connu sous l’affaire D15 a éclaté, et quelques anonymes. Très serein, Mellouk, entouré de ses enfants, veut à tout prix en finir avec ce procès « usant ». Selon la défense, la plainte non datée a été déposée en 1992, alors que le prévenu n’a été entendu que 8 ans après sur un procès-verbal non signé ni par le juge ni par le greffe.
La présidente l’appelle. Il se lève, prend son inséparable cartable et se dirige tout droit vers la barre suivi de ses deux avocats, maîtres Mokrane Aït Larbi et Omar Mazouzi. « Vous êtes poursuivi pour diffamation, qu’avez-vous à dire », lui lance la magistrate. Mellouk tire quelques dossiers de son cartable. « L’affaire n’a rien d’une diffamation. C’est la même que je traîne depuis 1992 et je veux parler en présence du peuple parce qu’elle est devenue politique (….) On m’a confié une mission alors que j’étais responsable d’un service au ministère de la Justice. On m’a demandé d’assainir les rangs de l’appareil judiciaire. J’ai confectionné des dossiers remis à mes responsables… », dit-il avant d’être interrompu par la magistrate.
« Vous avez été chargé de faire des enquêtes pour les remettre à qui de droit et non d’en faire part à la presse », souligne la présidente. Mellouk se ressaisit. Il revient au tout début du scandale. C’était en 1992, avec la venue du président feu Mohamed Boudiaf. « Il voulait un autre 1er novembre 54, dans les rangs de la justice. Il a convoqué le Conseil supérieur de la magistrature, puis j’ai été saisi en tant que directeur des affaires juridiques et du contentieux, par le ministre de l’époque, M. Kherroubi, pour l’ouverture d’une enquête sur les fausses attestations d’anciens moudjahidine que beaucoup de magistrats avaient déposées dans leurs dossiers », explique Mellouk.
La présidente : « Mais on ne vous a pas demandé d’en faire état publiquement. » Le prévenu : « C’était mon devoir de dénoncer. Si je ne l’avais pas fait, j’aurais trahi ma patrie. Il s’agit de dossier de magistrats, et à l’époque Kaddour Berradja, actuel président de la Cour suprême était cadre au ministère et avait participé à ce travail. J’ai découvert de nombreuses fausses attestations d’anciens moudjahidine », révèle Mellouk, et la présidente lui rétorque avec ironie : « Ouache adak (qu’est-ce qui vous a amené à faire cela) ? »
Mellouk répond : « Ils sont tous complices de cette situation. Les deux syndicats des magistrats de Tayeb Louh et de Berrim ont déposé une plainte contre moi au lieu de poursuivre ceux qui ont trahi. » La magistrate lui demande pourquoi n’a-t-il pas remis les procès-verbaux ou les dossiers aux autorités concernées. « Je l’ai fait et j’ai là toutes les preuves qui le démontrent », précise le prévenu. La présidente l’interroge sur la diffamation, et lui, crie : « Je n’ai diffamé personne. Il se trouve que Djeraba, Mohammedi et les syndicats ont voulu étouffer cette affaire qui a fait boule de neige parce qu’il est question de 800 dossiers de faussaires prouvés. » La présidente insiste notamment sur le fait que les propos publiés dans les journaux relèvent de la diffamation. « Les faits ont été relatés en 1992 devant le juge d’instruction et devant le tribunal. Les journalistes n’ont fait que rapporter ce qu’ils ont entendu… », dit-il. Le procureur général intervient : « Je demande acte des propos diffamatoires à l’encontre des magistrats… » Mellouk : « Je n’ai pas dit qu’ils sont des traîtres, mais juste qu’ils m’ont poursuivi en justice pour protéger ceux qui ont falsifié l’histoire de la Révolution. »
Cette vérité qui fait peur
Mais pour le représentant du ministère public, Mellouk a diffamé les deux anciens ministres absents, et réaffirmé ses propos, ajoute-t-il, au cours de l’audience. « Il y a des institutions chargées de ces enquêtes dont la direction des affaires sociales. Le prévenu aurait dû transmettre ses conclusions à celles-ci. Pour cela, je demande que la peine soit aggravée », conclut le procureur. Magistral et succinct, Me Aït Larbi n’y va pas avec le dos de la cuillère pour plaider la prescription de l’affaire et l’innocence de Mellouk. Pour lui, ce dernier occupait un poste de directeur des affaires juridiques et sociales au sein du ministère et qu’à ce titre, il a été chargé de l’étude des dossiers des magistrats, avec Kaddour Berradja.
« Il a d’abord découvert 50 fausses attestations, avant d’atteindre les 300. Il y a même un magistrat qui avait ramené une attestation de greffier au Maroc, et celle d’ancien moudjahid durant la même période. Toutes les institutions étaient au courant. Ses propos, objets de la plainte, ont été tenus en audience souveraine devant un tribunal en 1992. Où sont les plaignants pour nous expliquer comment ils ont été diffamés ? », déclare Me Aït Larbi. Il précise que la plainte non datée a été déposée en 1992, alors que le prévenu n’a été entendu que 8 ans après, sur un procès-verbal non signé ni par le juge, ni par le greffe, ni par Mellouk.
Le juge a, selon lui, fini par prononcer l’extinction de la poursuite et c’est le parquet qui fait appel, pour faire revenir l’affaire, et arrêter le prévenu, chez lui, au mois de Ramadan, en vertu d’un mandat d’amener non précédé par des convocations comme le stipule la loi. « Cela fait 18 ans que Mellouk subit la machine judiciaire. Pour avoir dit la vérité, cette vérité qui fait peur, il s’est retrouvé isolé, sans salaire, malade et lourdement affecté. Lui, qui, dans un autre pays, aurait été mis à la retraite avec tous les honneurs et toutes les médailles du mérite… », souligne Me Aït Larbi, avant de plaider la prescription et l’innocence de Mellouk. La présidente annonce que le verdict sera connu le 15 mars prochain. Très ému, mais aussi las des va-et-vient devant les tribunaux, depuis 18 ans, Mellouk finit par éclater en sanglots. Lui, l’ancien moudjahid, qui a toujours montré un courage exceptionnel dans son combat. Un combat qui lui a coûté une peine de 4 mois de prison ferme. Condamnation objet d’une cassation.
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