En dépit d’un relogement massif dans la capitale
La protesta des mal-logés fait tache d’huile
Par : ALI FARES, Liberté, 18 mars 2010
Bien que le phénomène de protestation remonte à plusieurs années, la colère des mal-logés à Alger est montée d’un cran ces derniers jours. Violemment exprimée en octobre dernier par les habitants de Diar Es-Chems, cette colère reprise par Zaâtcha, il y a quelques jours, puis par d’autres quartiers vivant dans les mêmes conditions de précarité met mal à l’aise les autorités locales, qui ne savent plus où donner de la tête face à la fronde sans cesse croissante. Le sujet étant sensible, les pouvoirs publics tentent de juguler tant bien que mal les racines du “mal”.
Lors de la session ordinaire de l’APN tenue le 10 mars, le wali d’Alger a même occulté l’ordre du jour, consacré à la formation professionnelle, pour annoncer l’opération relogement concernant, dans un premier temps, près de 300 familles de Diar Es-Chems. Mais voilà que le relogement de ces premières familles, loin pourtant d’être une mince affaire pour les autorités compétentes, a soulevé une autre colère, celle du bidonville de Tixeraïne dans la commune de Birkhadem, où sont implantés les logements. Une opération qui s’est tout de suite transformée en émeute. On reloge tout en essayant de minimiser les dégâts. La semaine dernière, c’était au tour de Zaâtcha de monter au créneau. La raison en est que les services de la wilaya avaient “priorisé” Diar Es-Chems, alors que les conditions du premier quartier cité sont plus pénibles à tous points de vue. D’autres quartiers ont pris le relais pour manifester leur ras-le-bol, mettant du coup les autorités dans une situation délicate. En somme, l’alerte est donnée. Tous les bidonvilles d’Alger sont au diapason de la protesta et chaque site espère que “crier plus fort” finira par avoir raison. De son côté, Addou Mohamed Kebir avertit que cette méthode est déconseillée car “celui qui aura recours à la violence trouvera l’Etat en face de lui”. Les citoyens ne croyant comme saint Thomas, qu’à ce qu'ils “touchent” pensent que la méthode est plutôt payante à l’image de Diar Es-Chems. Pour le wali, le relogement est une opération planifiée plusieurs mois à l’avance. Elle est basée avant tout “sur un recensement du site pour éviter toute intrusion de dernière minute”. Autrement dit, tous les bidonvilles de la métropole, dont le nombre avoisine 50 000 baraques, seront éradiqués dans les prochaines années. Le programme du président de la République relatif à la résorption de l’habitat précaire prévoit la construction de 50 000 logements. 10 000 seront livrés entre mars et octobre de cette année. Parallèlement, plus de 4 000 logements LSP viendront en appoint dans le même délai. Ce ne sera pas suffisant pour répondre à la forte demande. Et ce qui reste encore plus enquiquinant pour les autorités, c’est de quelle manière faire face à la vox populi sachant que, pour l’instant, on ne peut donner que ce qu’on a. Cependant, l’on ne peut s’empêcher une interrogation de planer : où étaient les collectivités locales lorsque des milliers de familles occupaient le terrain ? Plus de 14 000 taudis pour la seule commune de Gué-de-Constantine.
Et quand les citoyens sortent pour bloquer la rue, il n’y a que les forces de l’ordre pour contenir la rage humaine. C’est cette question qui a d’ailleurs fait sortir le wali d’Alger de ses gonds. “Où étaient les élus du peuple ?”
En attendant une réponse peu probable mais surtout peu convaincante, une crainte pointe du nez pour les futurs acquéreurs de la formule LSP, dont les logements “promis” risqueraient de changer de vocation. Car, il faut savoir que les services de la wilaya ne pourront pas, dans l’état actuel des choses, satisfaire toutes les demandes estimées pour Alger à 200 000. De quoi donner le tournis aux responsables désemparés par plusieurs programmes à la fois. Et si des quartiers connaissent la grogne, dans d’autres, comme Climat-de-France, PLM à El-Harrach pour ne citer que ceux-là, la colère est en état de latence.
Contestation de la liste de logements sociaux et démolition de bidonvilles à Oran
Des heurts et plus de 25 personnes arrêtées
Par : K. REGUIEG-YSSAAD
La localité de Gdyel, située à une vingtaine de kilomètres à l’est d’Oran, vit au rythme de la contestation populaire qui s’est amplifiée suite à l’accroissement des protestataires qui récusent la liste de 173 bénéficiaires de logements sociaux locatifs (LSL). Hier, ils étaient plus de 300 familles à se masser devant le siège de la wilaya d’Oran. Parmi elles, des familles dont des proches auraient été arrêtés par les services de sécurité. Selon les déclarations des uns et des autres, une vingtaine de personnes ont été appréhendées pour leur participation au blocage de la RN11. Craignant un débordement, les autorités locales ont procédé au renforcement des forces de sécurité. Plusieurs quartiers aux alentours du siège de la wilaya ont été discrètement mais solidement quadrillés par les services de l’ordre. Le mécontentement général est spontanément né à la suite de l’affichage de la liste de 173 bénéficiaires à Gdyel. Les habitants de cette localité déshéritée, située à proximité de la prospère ville pétrochimique d’Arzew, ne décolèrent pas. Ils dénoncent à qui veut les entendre les “anomalies relevées dans la confection de la liste des attributaires”. Selon eux, de nombreuses personnes figurant dans la liste ne remplissent pas les critères en matière d’attribution. Ils exigent à présent l’ouverture d’une enquête officielle pour “déterminer les responsabilités”. “Il ne faut pas être devin pour comprendre que les noms des bénéficiaires ont des accointances familiales avec un responsable local”, affirment-ils. “Nous avons 3 191 demandes alors que nous ne disposons que de 173 LSL. Comment faire pour contenter la demande grandissante de la population ?” déclare un responsable local. Jusqu’en début d’après-midi d’hier, d’autres familles victimes du terrorisme gonflaient les rangs des manifestants qui menaçaient de durcir le mouvement de contestation. Les autorités locales ont renforcé le dispositif de sécurité pour éviter une réédition des émeutes de 2008. Des dizaines d’arrestations et plusieurs personnes avaient été blessées dans des affrontements entre les riverains et les services de sécurité. Cette situation a été vécue par d’autres familles occupant de nombreuses “favelas” dans la ville d’Oran. Là aussi, de graves incidents ont éclaté au niveau du bidonville “Coca”. Ce sont pas moins de 60 constructions illicites qui ont été démolies dans cette agglomération misérable et fortement occupée par des familles provenant de diverses régions du pays. Après les violents heurts entre les forces de l’ordre et les occupants, la tension est toujours palpable. Des sources concordantes font état de cinq personnes arrêtées alors que deux éléments des forces de sécurité ont été blessés. Dans le même contexte, il est fait également état de plusieurs personnes blessées du côté des protestataires. Les contestataires ont bloqué les issues menant à leur bidonville à l’aide de pneus brûlés et de troncs d’arbre. Des familles ont érigé des baraques de fortune pour fuir les affres du terrorisme. “Nous sommes plusieurs familles victimes du terrorisme. Nous avons élu provisoirement domicile dans cette partie de la périphérie dans l’attente de notre régularisation par les pouvoirs publics”, se plaignent des familles dont les demeures de fortune ont été démolies. Pas moins de 13 000 bidonvilles ceinturent la ville d’est en ouest alors que 55 000 habitations individuelles ont été classées en zone rouge. “Nous sommes confrontés au problème épineux des subterfuges tissés par des indus individus pour obtenir un logement par des moyens peu honnêtes. Cette situation pénalise les véritables personnes qui sont dans le besoin”, a affirmé un haut responsable au niveau de la wilaya d’Oran. Plus de 500 constructions illicites ont été démolies à travers les forêts de la wilaya, donnant lieu à des chocs violents. Dix bidonvilles ont été détruits au mois de janvier au niveau de “Coca”. Une autre opération identique a été opérée au lieu-dit “Le Rocher” qui s’est soldée par des manifestations d’une rare violence. Là aussi, onze habitations ont été rasées sous les yeux de leurs occupants. “Les autorités locales nous proposent de nous emmener dans nos villages qui ont été ravagés par le terrorisme. Cela fait douze ans que nous habitons ici avec nos familles. Nos enfants sont nés ici et vont à l’école ici”, s’offusquent des occupants originaires d’une wilaya limitrophe. S’il est vrai que des espaces de nombreuses forêts sont occupés par des familles pauvres et par des victimes du terrorisme, il n’en reste pas moins que le véritable problème est maintenant posé.
Lancement mouvementé de l’opération de relogement à Alger
Emeutier cherche logement !
Par : A. B.
Tous ceux qui attendent d’être recasés disent la même chose : “On a commencé par reloger les habitants de Diar Echems, parce que les habitants de ce quartier ont fait des émeutes, barré la route et brûlé des pneus.”
Le lancement, dimanche dernier, de l’opération de relogement de 10 000 familles algéroises ne s’est pas fait dans le calme. Dans les bidonvilles, chalets et autres quartiers vulnérables, la tension est toujours vive et des émeutes vite étouffées ont éclaté dans quelques quartiers comme Djenane Sfari à Birkhadem ou à la ferme Gregory, près de Kouba. Une semaine avant le lancement de cette opération, qui devrait s’étaler jusqu’au mois d’octobre prochain, les habitants du quartier Zaâtcha avaient manifesté leur colère.
Point commun de toutes ces manifestations de mécontentement qui font tache d’huile : tous ceux qui attendent d’être recasés disent la même chose : “On a commencé par reloger les habitants de Diar Echems, parce que les habitants de ce quartier ont fait des émeutes, barré la route et brûlé des pneus.” D’ailleurs, les habitants de Djenane Sfari sont sortis protester contre le relogement des habitants de Diar Echems dans leur commune, alors qu’eux attendent toujours.
Ailleurs, dans la wilaya d’Oran, la force publique a été réquisitionnée pour démolir un bidonville, provoquant une émeute des occupants et rappelant de vieux souvenirs du quartier des Planteurs avec son lot d’émeutes qui ont fini par un relogement des habitants.
Faut-il recourir systématiquement à l’émeute pour prétendre à un logement social ? La question n’a plus besoin d’être posée chez ceux qui habitent les bidonvilles, les chalets et les vieilles bâtisses.
Mais est-ce la solution ? Assurément pas, d’autant plus que ce genre de situations profitent généralement à la maffia des bidonvilles, ces spécialistes des opérations de recasement qui arrivent toujours à faire des affaires sur le dos des nécessiteux.
La wilaya d’Alger a réalisé
10 000 logements pour cette opération. Un lot faisant partie du programme présidentiel estimé à 50 000 unités pour la résorption de l’habitat précaire. A première vue, c’est énorme comme programme. Beaucoup de pays, plus aisés que le nôtre, ne font pas pareilles opérations. Mais parce que le logement est sujet de toutes les tensions en Algérie et parce que le pays a accusé un retard terrible en la matière, et parce que le terrorisme est venu accentuer l’exode rural, la construction de 10 000 ou de 100 000 logements ne résoudra pas le problème, tout comme le programme du million de logements paraît comme une goutte dans l’océan des demandes en attente.
C’est que la donne en Algérie est complètement faussée et les responsables du secteur ont l’impression d’irriguer une dune de sable ! Lorsqu’on a plus de 80% de la population qui habite dans 10% de la superficie totale du territoire national, on mesure les énormes défis auxquels sont confrontés les responsables chargés de planifier les programmes de logements.
Mais au-delà de ces difficultés pratiques, le plus inquiétant reste le rôle des élus locaux dans la gestion de cet épineux problème. Les APC ne délivrent, certes, plus de logements. Mais ce sont elles qui se chargent de l’établissement des listes de bénéficiaires, avec tous les avantages et les trafics que cela suppose. Ce sont les APC qui ferment généralement l’œil sur l’édification de nouveaux bidonvilles, et ce sont des APC qui encouragent, parfois ouvertement, leurs citoyens à recourir aux émeutes pour se faire entendre. Les élus adoptent le même langage : “Ce n’est pas nous qui délivrons les logements, nous avons établi des listes, nous les avons transmises à la wilaya, il faut aller voir avec elle.” Cette façon de s’en laver les mains n’absout aucunement les élus locaux de leurs responsabilités.
On aurait pu éviter ces situations et ces tensions si, d’abord, au niveau local, la transparence était de mise. Si les élus locaux communiquaient avec leurs citoyens, s’ils les informaient des programmes de recasement, ils auraient pu éviter toutes les mauvaises interprétations et auraient pu gagner en crédibilité.
Lors de l’éclatement des émeutes de Diar Echems, le ministre de l’Intérieur, qui s’est déplacé sur les lieux, avait déclaré que l’Etat allait résoudre le problème des habitants dans le calme, et avait averti que ce n’est pas à travers les émeutes qu’on fera pression sur le gouvernement.
Le wali d’Alger l’a relayé, la semaine dernière, pour affirmer que les émeutes ne sont pas un critère pour recaser les gens. Mais, sur le terrain, ceux qui attendent leur logement depuis des lustres, comme ceux qui se sont spécialisés dans le business des bidonvilles, sont persuadés, jusqu’à preuve du contraire, que le chantage par les émeutes demeure le seul moyen de “se faire respecter”.