Les pratiques des consulats de France en Algérie, en matière de délivrance des visas, ont fait l’objet d’une enquête de la Cimade, service œcuménique d'entraide, qui a travaillé pendant plusieurs mois sur le sujet, dans le cadre d’une investigation couvrant six pays (Algérie, Sénégal, Mali, Turquie, Ukraine et Maroc).
Et le rapport, publié jeudi 8 juillet, est accablant pour les Algériens autant que pour les ressortissants des cinq autres pays. L'association d'aide aux étrangers dresse un tableau "kafkaïen" de la façon dont la France accueille et "traite" les étrangers souhaitant pénétrer sur son sol.
Ainsi apprend-on qu’Alger et Annaba viennent en tête des consulats français ayant notifié le plus de refus de visa de par le monde.
En 2009, les Algériens ne sont plus que la quatrième nationalité pour le nombre de visa court séjour délivrés par les autorités françaises (130.013) derrière les Russes (253.112), les Chinois (170.188), et les Marocains (151.509)
« Le visa pour la France, c'est comme acheter un ticket de loto. C'est payant, mais on ne gagne pas à tous les coups. » Parole de demandeur de visa algérien. « Le constat est accablant », affirme Mickaël Garreau. Pour solliciter un visa, il faut déjà accéder au consulat. Un lieu transformé en « bunker ». Dans certains pays, il faut acheter une carte spéciale pour joindre un centre d'appel qui fixe les rendez-vous dans des délais parfois longs. Des consulats sous-traitent aussi une partie du travail. « Où est la confidentialité quand ce sont des ressortissants du pays qui enregistrent les demandes ? », interroge la Cimade.
L'association pointe aussi « l'argent qu'il faut verser et qui n'est pas remboursé, même si la demande est refusée, et le flou complet des documents à produire dont la liste ne cesse de changer » : justificatifs de ressources, photo avec l'ami qui vous accueille en France, facture prouvant des communications fréquentes vers Paris... En fonction de la nationalité du demandeur et de son statut, certains obtiennent un visa en 48 h, d'autres attendent une réponse durant des mois.
"Entre l’impossibilité d’accéder au consulat, le flou complet des documents à produire dont la liste inexistante ne cesse de changer selon l’interlocuteur, l’argent qu’il faut verser et qui n’est pas remboursée même si la demande est refusée, les délais d’instruction extrêmement variables, les refus oraux sans explications, ni motivation, les informations erronées sur les voies de recours quand le demandeur a la chance d’obtenir une information, on ne sait plus à la fin ce qui apparaît comme le plus choquant", constate la Cimade.
Les coûts des visas sont aussi critiqués. Un visa de long séjour coûte 99 euros et il faut débourser 60 euros pour un visa court séjour dans l'espace Schengen (au lieu de 30 euros avant 2007). Une somme qui n'est pas remboursée en cas de refus, et à laquelle peuvent s'ajouter des frais d'externalisation. Certains consulats, notamment à Alger et Istanbul, ont en effet opté pour la sous-traitance de l'instruction des dossiers à des entreprises privées. Si les conditions d'accueil et les délais de réponse se sont nettement améliorés, il faut tout de même débourser de 20 à 30 euros supplémentaires. Sans compter les frais d'assurance médicale et de rapatriement. Avec la généralisation de la biométrie, qui permettra de ficher chaque personne faisant une demande de visa pour l'espace Schengen, les tarifs pourraient être encore relevés.
Procédure "opaque", décisions non motivées, information déficiente, questions intrusives, sentiment d'humiliation, "passe-droits érigés au rang d'arguments diplomatiques", corruption... La situation des visas est certes très contrastée selon les zones géographiques. Dans tous les pays où il existe un « risque migratoire », c’est-à-dire principalement au Maghreb et en Afrique subsaharienne, le constat est « accablant » soulignent les auteurs du rapport, qui ont effectué six missions sur le terrain. Au Sénégal, au Mali, en Algérie, au Maroc, mais aussi en Turquie et en Ukraine.
La première critique concerne l’opacité et la lenteur des procédures. Concernant les pièces à fournir, « les consulats établissent eux-mêmes les listes sans aucun encadrement législatif », relève le rapport. Par exemple, l’ambassade du Mali exige des justificatifs relatifs aux ressources ou au logement d’un conjoint vivant en France. De plus, alors que le délai moyen d’obtention du document est de 12 jours, certains candidats au départ doivent attendre des mois sans que l’administration n’encoure la moindre sanction.
Ces pratiques ont engendré, selon elle, des "dégâts" pour l’image de la France et favorisé la création de filières d’immigration illégale.
L.M.
A lire ou télécharger sur le site de la CIMADE :
Première partie du rapport, Analyse des politiques publiques et des pratiques consulaires
Deuxième partie, Rapports de mission (Mali, Maroc, Sénégal, Ukraine, Turquie, Algérie).