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L’emploi précaire se généralise : Les chiffres alarmants de l’ONS





El Watan, 28 juillet 2010

Le recul des emplois permanents dans le privé, la frilosité des patrons à déclarer leurs employés à la Sécurité sociale et le problème récurrent du chômage sont autant de facteurs qui accroissent l’instabilité du monde du travail en Algérie. L’Office national des statistiques (Ons) a souligné l’ampleur du phénomène dans une enquête sur l’emploi réalisée auprès des ménages au dernier semestre de l’année 2009. Premier constat : les salariés permanents représentent 80% du secteur public et seulement 8,8% dans le privé. Il n’y aurait ainsi que 33,1% de travailleurs permanents. Les femmes sont à peine plus nombreuses à jouir d’un emploi stable.

L’ONS a comptabilisé 39,2% de salariées permanentes (68,9% dans le public et 8,9% dans le privé) contre 32% d’employés masculins. Les contrats à durée déterminée sont couramment utilisés dans le BTP (35,1%), les services (29,2%) et l’agriculture (12,2%). Dans la liste des salariés non permanents et apprentis figurent 5000 directeurs et gérants, 123 000 intellectuels et scientifiques, 589 000 personnels de services et 571 000 artisans et professionnels de l’industrie. Même les travailleurs permanents ne semblent pas satisfaits de leur situation : 27,2% d’entre eux admettent l’exercice d’une activité secondaire, dont 4,7% d’employeurs.

Le rapport de l’ONS laisse percer le blues chez les fonctionnaires algériens. Sans préciser le nombre de travailleurs prêts à occuper un autre emploi, l’ONS précise que 38% de la population occupée qui souhaite changer de métier s’estiment « mal rémunérés » et que 44,1% considèrent occuper « un emploi provisoire ». En tout et pour tout, le secteur public emploie 3,2 millions de travailleurs, dont une majorité d’hommes (77,4%). Le secteur privé dispose d’un effectif de 6,2 millions de travailleurs. Les secteurs pourvoyeurs d’emploi sont généralement les services (39,6%), le bâtiment (18,1%) et le commerce (16,6%). Les femmes ont tendance à s’intéresser aux services (61,3%), à l’industrie (23,9%) et, dans une moindre mesure, à l’agriculture (7,7%). Après la fermeture de la majorité des anciens fleurons de l’industrie algérienne, cette filière est aux mains du privé à hauteur de 68,8%. L’Etat garde le monopole sur les services avec 72,6%. Le privé et les sociétés mixtes contrôlent le secteur du BTP (94,7%), le commerce (98,8%) et l’agriculture (97,4%). Les services sont généralement concentrés dans les milieux urbains (43%) ainsi que l’industrie (14,3%) et le commerce (19,7). Selon l’enquête de l’ONS, les directeurs, cadres de direction et gérants représentent 3% de la population occupée.

Les employés administratifs en constituent 5,9% et les professions intellectuelles et scientifiques près de 8,7%. La catégorie des employeurs représente à peine 4,1%, dont une faible part de femmes (1,6%). Les patrons sont plus nombreux dans les secteurs du commerce (33,4%), des services (20%) et du BTP (20%). La question de l’éducation est l’une des failles du patronat algérien. L’enquête de l’ONS révèle que 19,3% des employeurs et indépendants n’ont aucune instruction et seulement 5,7% ont un niveau supérieur. Près de 9% des employeurs du secteur de l’agriculture n’ont aucune instruction. 23,6% des patrons de l’industrie ont un niveau primaire, 29,7% des employeurs des services ont un niveau secondaire et 15,2 % des commerçants ont un niveau supérieur. Les travailleurs indépendants sont plus nombreux dans le commerce et l’agriculture. Les travailleuses indépendantes se focalisent sur l’industrie (57,3%). Les salariés sont un peu mieux lotis. Mais alors que près de 25% des salariés du secteur public ont fait des études universitaires, cette catégorie ne dépasse pas les 12% dans le privé. Par ailleurs, l’âge moyen au premier travail est généralement 18 ans pour les personnes sans instruction ou ayant un niveau primaire, 19 ans pour ceux qui ont un niveau moyen, 20 ans pour ceux qui ont un niveau secondaire et 23 ans pour les personnes ayant suivi des études supérieures.

Par Amel Blidi
Conditions de travail dans les entreprises privées en Algérie : Les victimes de l’esclavage moderne

Pas de contrat de travail définissant le statut ni la relation de travail entre l’employé et son employeur, pas de sécurité sociale qui est pourtant un droit consacré par la loi algérienne.

Telle est la triste réalité du monde du travail en Algérie. De nombreux salariés travaillant notamment dans des entreprises privées en souffrent. En dépit du « contrôle » exercé par les agents de l’Inspection du travail, de nombreux employés, qui travaillent parfois dans des secteurs à risque, continuent à « trimer » dans des conditions lamentables. L’application de la loi du travail exigeant des employeurs de déclarer les travailleurs demeure utopique. Les travailleurs, eux, sont soumis à un régime d’exploitation renforcé par certains employeurs avides d’un enrichissement rapide. Nous avons rencontré certaines victimes de cet esclavage moderne. Le témoignage d’un jeune père de famille, que nous nommerons Kaci pour le protéger, est édifiant. Père de trois enfants, Kaci subit de véritables supplices depuis une année. Employé en tant que chauffeur dans une entreprise privée implantée dans un quartier populaire de la banlieue d’Alger, cet homme ne bénéficie d’aucune couverture sociale. « Je connais mes droits et je suis conscient du risque que j’encours chaque jour. Mais, je suis contraint d’accepter ce travail. Je n’ai pas le choix. Je dois nourrir mes enfants », déplore-t-il.

Il n’est pas le seul à subir ce traitement. Notre interlocuteur nous cite les cas de ses collègues. Dans cette entreprise d’importation et de distribution de produits cosmétiques où il travaille, une vingtaine d’employés évoluent dans des conditions déplorables et sans aucune couverture sociale. « On est trois chauffeurs. Aucun de nous n’est assuré. On parcourt des milliers de kilomètres. On travaille de jour comme de nuit. Avec tous les risques qu’engendre ce métier, notre employeur ne se soucie guère de notre situation », dénonce ce chauffeur obligé d’accepter cette tâche, d’autant que le phénomène du chômage est de plus en plus important en Algérie. Selon lui, le manque d’emplois permet aux employeurs de piétiner les lois en vigueur auxquelles ils substituent leurs propres règlements. « Cela fait une année que je suis dans cette Eurl. Mon employeur nous a promis de nos déclarer à la Sécurité sociale. Nous avons même déposé des dossiers d’assurance. Mais jusqu’à présent, rien n’a été fait », lance-t-il. Côté salaire, c’est la catastrophe également.

Selon lui, les employés de cette entreprise perçoivent des salaires misérables qui n’atteignent même pas le SMIG. « Certains travailleurs ayant plus de sept ans d’ancienneté sont payés 14 000 DA le mois. Mais ils acceptent sans rien dire. Ils ne peuvent pas réclamer de peur de se retrouver de nouveau au chômage », raconte notre interlocuteur. L’autre drame de cette catégorie de travailleurs est la prise en charge des soins de leurs familles. N’ayant pas d’assurance sociale et pas d’allocations familiales, ces pères de famille sont toujours dans l’embarras quand ils doivent soigner l’un de leurs proches. Ce sont toujours des dépenses supplémentaires que leur maigre revenu ne peut supporter. Le témoignage de notre interlocuteur est encore plus choquant. Pour fuir la déclaration de ses employés à la CNAS, son patron recrute même des retraités en quête d’un second revenu. Malgré leurs conditions précaires, les 20 travailleurs en question ne comptent pas dénoncer leur employeur. « On ne peut rien faire. S’il (le patron) ose recourir à ce genre de pratiques, c’est parce qu’il y a quelque part des personnes qui le couvrent », estime-t-il.

Par Djedjiga Rahmani
Drame des tailleurs de pierre de Tkout : Silence de pierre

C’est sans doute l’un des cas les plus dramatiques que le monde du travail ait connu en Algérie depuis l’indépendance du pays.

Il est dramatique en ce sens que depuis des années, des travailleurs meurent sans que l’on sache vraiment ni pourquoi ni comment. Il est dramatique car, enfin, cela se passe dans l’indifférence criminelle des pouvoirs publics qui ne se sentent nullement interpellés par la cadence infernale que la grande faucheuse impose à une catégorie de travailleurs en particulier. Il s’agit de la corporation des tailleurs de pierre de Tkout. Tkout, un lieudit perdu dans le grand Aurès, entre Batna et Biskra, au pied du mont Zalatou. Dans cette petite ville sans relief, nichée dans une vallée désolée au-dessus d’Ighzer Amellal, le corps des tailleurs de pierre ne cesse d’enterrer ses membres les uns après les autres. Officiellement, il s’agit de silicose, cette maladie pernicieuse qui agit comme un tueur silencieux lorsque la silice, poussière de roche mortelle, s’accumule dans les poumons.

La silicose est une pneumopathie professionnelle qui entraîne une inflammation chronique et une fibrose pulmonaire progressive. Elle se traduit par une réduction progressive et irréversible de la capacité respiratoire, même après l’arrêt de l’exposition aux poussières et peut se compliquer quelquefois en tuberculose. D’ailleurs, pendant longtemps, les médecins ont cru avoir à faire à la tuberculose et ont donc prescrit des traitements inefficaces. Dans un long cortège funèbre, les morts n’ont cessé de se suivre les uns après les autres, faisant de Tkout le village des veuves éplorées et des orphelins inconsolables. Tkout est un village pauvre mais digne, comme la plupart des localités des Aurès du Sud. Faute de mieux, les jeunes du village ont embrassé en grand nombre cette vocation de tailleur de pierre qui leur permet de survivre quelques années. A un moment donné, Tkout comptait jusqu’à 1200 tailleurs de pierre exerçant à travers toute l’Algérie. Au-delà du drame humain qui endeuille les familles par dizaines, la quasi-totalité des tailleurs de pierre de Tkout ont toujours travaillé à leur compte et ne sont donc pas déclarés au niveau de la sécurité sociale. Lorsqu’ils tombent malades, ils doivent se prendre en charge pour des soins longs et coûteux. Alités et mourants, ils ne peuvent plus compter que sur la solidarité villageoise ou celle du mouvement associatif même pour le remplissage de leur bouteille d’oxygène.

Morts et enterrés, leurs veuves et leurs enfants ne dépendent plus que de la charité des âmes sensibles, en l’absence d’une couverture sociale protectrice. C’est le cas de Ouahab, que nous avons rencontré chez lui quelques jours avant sa mort. Il avait 31 ans et 13 ans de métier à travers plusieurs villes d’Algérie. Lorsque sa maladie s’est déclarée, comme beaucoup de ses camarades, il est rentré mourir à Tkout, au milieu des siens. Dans la froide indifférence et mortelle de l’Etat, Ouahab savait qu’il ne lui restait que la chaleur des siens pour l’accompagner dans son dernier voyage.

Par Djamel Alilat
Non-affiliation à la Sécurité sociale : Les travailleurs sans instruction plus touchés

La non-déclaration à la Sécurité sociale est un souci majeur dans le secteur de l’emploi. L’enquête de l’ONS a révélé que la moitié de la population occupée n’était pas affiliée à la CNAS.

En cette matière, les hommes et les femmes sont logés à la même enseigne. 47,8% de travailleurs masculins et 59% des femmes sont inscrits à la Cnas. Les salariés non permanents représentent la majorité de la frange des non-assurés sociaux avec un taux de 69,1%. Les petite et moyenne entreprises ont la fâcheuse tendance à ignorer la sécurité sociale. 82% des sociétés ayant 5 à 9 salariés ne déclarent pas leurs employés. Au total, 25,5% des travailleurs des chantiers, 22,3% des employés des exploitations agricoles ne sont pas inscrits à la sécurité sociale. Fait curieux : 34% des employeurs ne sont pas couverts par la sécurité sociale. La majorité des travailleurs indépendants (80%) ne prennent pas la peine de s’inscrire aux organismes de sécurité sociale. La culture de l’affiliation à la sécurité sociale est parfois liée au niveau d’instruction.

Preuve en est que 62,2% des travailleurs indépendants ayant un niveau supérieur sont déclarés à la sécu, 36% ont un niveau secondaire, 22% ont un niveau moyen et 18% n’ont aucune instruction. Il est à relever que la plus grande partie des travailleurs non affiliés à la Sécurité sociale dispose d’un niveau d’instruction moyen (41,9%) ou primaire (23,5%). Les travailleurs ayant un niveau d’instruction supérieur sont moins touchés ; seuls 3,1% de ceux de cette catégorie ne sont pas déclarés à la sécu.

Par Amel Blidi

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