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Tartarin d’Egypte ou comment s’offrir une dignité en toc au pays de Bouteflika


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L’incident du bus d’Al-Ahly vient nous rappeler qu’ici et là-bas on entretient la haine comme on entretiendrait le plus puissant des opiums populaires et qu’en politique, pour reprendre Tocqueville, la communauté des haines fait presque toujours le fond des amitiés. J’entends les récents alliés du régime égyptien, ceux qui, il y a à peine cinq ans, défendaient Orascom de Sawiris contre les journalistes algériens, les journalistes de leur pays, j’entends ceux qui menaçaient Le Matin de poursuites judiciaires pour s’être attaqué à l’empire égyptien protégé par Bouteflika, j’entends les voix ancillaires qui protégeaient l’Egypte de Sawiris pour un plat de lentilles, je les entends, à Alger, appeler à « la chasse à l’Egyptien ».
A quoi jouaient-ils, la ministre de la Culture, Khalida Toumi et Smaïn Ameziane, patron de Casbah Editions, dirigeant du syndicat des éditeurs algériens et commissaire du Salon international du livre d’Alger, à raviver le chauvinisme, neuf mois après les évènements du Caire, à le transposer du football vers la culture ?
On les entend encore, l’accent ronflant et le menton napoléonien, annoncer leur nouvelle campagne d’Egypte et le bannissement du pays de Naguib Mahfouz du prochain Salon du livre d’Alger.
«  Non, je ne veux pas des Egyptiens ! Ils ont agressé nos joueurs et nos joueurs à l’étranger, c’est notre porte-drapeau, on a touché à un drapeau…»
Etait-ce le rôle d’une ministre de la Culture et d’un éditeur réputé de s’abandonner à une tartarinade populiste, d’abuser de la flatterie des bas instincts et, au final, de semer la haine, pour je ne sais combien de temps, la haine là où ne devrait pousser que la passion, la curiosité, le savoir : dans le monde des livres ?
Il résonne encore, ce discours guerrier, cette gouaille et ces quolibets qu’ils distribuaient au mépris du seul devoir qui était attendu d’eux, le devoir d’éclairer et non de plaire, d’imposer l’humanité et non la médiocrité.
Oui, à quoi jouaient-ils alors, l’ami Ameziane et Mme Toumi, lui plastronnant devant les journalistes – « Je suis le commissaire du Salon du livre et je décide souverainement !  » -  et elle, avec une belle adresse, se chargeant le lendemain de le relayer avec cette voix affectée qu’on lui connait désormais : « C’est vrai, il est souverain ! Il a tout mon soutien » ?
Mesuraient-ils l’ampleur de leur impair, que dis-je, de leur forfait ?
« Ma conscience ne me permet pas d’inviter les Egyptiens…Quand on n’est pas le bienvenu, on ne s’impose pas ! »
Les « Egyptiens » ? Est-ce ainsi qu’on désigne une confrérie littéraire égyptienne dont il omet de dire qu’elle est au cœur d’un combat décisif contre l’obscurantisme ? Lui plus que d’autres, devrait savoir ce que signifierait pour notre pays de censurer Al Ghitani, Sonalah Ibrahim, Alaa Al Aswani, Nabil Naoum, Adel Iskander ou Mahmoud Amine al-Alem, monstres de la littérature arabe moderne, infatigables chercheurs de lumière dans un pays menacé par l’intégrisme ? Alger devient-elle l’incinérateur des œuvres de Naguib Mahfouz ? Il ne suffisait pas à Idris Ali d’être arrêté en pleine Foire internationale du livre du Caire sur plainte du président Mouammar Kadhafi, après son livre "Le Guide se coupe les cheveux », il lui faut aussi être exclu du Salon d’Alger ! Il ne suffisait pas à Nawal Saadaoui d’être malmenée par le gouvernement et le Conseil supérieur des affaires islamiques, ses livres interdits, elle forcée à l’exil, Nawal Saadaoui qui tenait la main de notre ministre de la Culture du temps où elle répondait au nom de Khalida Messaoudi…
Cette façon de traiter par la morgue le Syndicat des écrivains égyptiens qui lutte, seul, contre les bastions de l’islamisme pour sauver de la censure le chef-d'œuvre de la littérature arabe, Les Mille et Une Nuits, considéré comme obscènes par les islamistes, qui fait face aux lobbies intégristes et pro-israéliens, cette arrogance de la 25è heure est factice, emprunté, simulé et, pour tout dire, hypocrite.
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Elle ressemble fort à une diatribe conçue en haut lieu, s’intégrant parfaitement dans cette politique du pouvoir algérien  qui, depuis 10 ans, consiste à trahir les créateurs et les démocrates pour leur préférer les derviches et les coquins. Quand Ameziane dit : « Ma conscience ne me permet pas d’inviter les Egyptiens », il oublie de préciser qu’elle ne permet pas, non plus, d’inviter les Algériens, Sansal, Bachi, Benchicou ou Mehdi El-Djazairi. Et il était cocasse de l’entendre « regretter » le silence du Syndicat des écrivains égyptiens devant « la campagne anti-algérienne », quand lui-même a beaucoup à se justifier sur ses propres silences, les silences sur les livres brûlés, sur les écrivains interdits, sur Adonis calomnié et Sansal excommunié, sur le maccarthysme qui frappe les éditeurs  mal aimés, sur le dépôt légal transformé en « autorisation d’éditer », sur les descentes policières dans les imprimeries, sur les auteurs interdits de sortie du territoire national. Et que d’autres silences encore…
On aurait presque envie de donner raison à l’écrivain polonais Stanislaw Jerzy Lec : « Quand aucun vent ne souffle, même les girouettes ont du caractère. »   
Oui, tout ceci ressemble à diatribe conçue en haut lieu, s’intégrant parfaitement dans cette politique du pouvoir algérien  qui, depuis 10 ans, consiste à à s’afficher avec l’Egypte de la censure et de l’intrigue, l’Egypte des dignitaires, de Sawiris des fatwas et des inquisiteurs cléricaux de l'Université d'Al-Azhar et  du Conseil supérieur des affaires islamiques, une politique au nom de laquelle une femme comme Siham Bensedrine est interdite de séjour en Algérie quand les chefs intégristes des quatre coins de la planète y sont accueillis avec ferveur.
C’est ainsi : on commence par interdire un livre, puis son auteur, et on finit par accueillir les assassins de Djaout et Naguib Mafouz.
C’est en totale cohérence avec la politique de « réconciliation nationale ».
Rappelons-nous. Il y a trois ans de cela,  alors qu’il venait d’interdire aux journalistes algériens de se réunir à Tizi- Ouzou et aux associations de victimes du terrorisme de se rencontrer à Alger, le gouvernement algérien ouvrait les bras à quinze mouvements islamistes, dont les Frères musulmans égyptiens, venus débattre, à Sidi- Fredj d’un thème d'actualité : “Les islamistes et la participation au pouvoir.” Comme par un funeste hasard, c’était aussi le jour où un des plus anciens chefs patriotes, un certain Gharbi Mohamed, était condamné à vie pour avoir riposté aux provocations d'un terroriste repenti.

Gharbi ou Sawiris, il faut choisir

Aussi, quand le commissaire du Salon international du livre d’Alger clame tout haut : « Ma conscience ne me permet pas d’inviter les Egyptiens… », il ne parle pas de l’Egypte d’Ibrahim Nafaâ, accueilli en grandes pompes, l’homme qui avait fait de l’Union des journalistes arabes une honorable confrérie des trois singes, n’ayant rien entendu quand Abdel-Méguid et Naguib Mahfouz protestaient, en solitaires, contre le sort fait à Nawal Sâadaoui, n’ayant rien vu quand l’on menaçait de retirer à Naguib Mahfouz la qualité d’écrivain, n’ayant rien dit lorsque le directeur du quotidien cairote Saout El Ouma, Issam Fahmi était condamné à six mois de prison pour s'être attaqué à l'empire puissant des Sawiris.  Quand Ameziane clame tout haut : « Ma conscience ne me permet pas d’inviter les Egyptiens… », il ne parle pas de l’Egypte du vénérable cheikh Sayed Mohamed Tantaoui que le lexique officiel verse au fichier des islamistes modérés, autrement dit, ironise un confrère, ceux qui remplissent les chargeurs mais ne pressent pas sur la gâchette. Le cheikh Tantaoui devenu la fréquentation favorite du président Bouteflika à l’époque où, s’irritant des libertés que la presse indépendante d’Egypte prenait avec certains sujets délicats comme la santé du président Moubarak, il préconisait 80 coups de fouet contre tout journaliste qui écrirait des mensonges, étant entendu qu’est considéré comme mensonge tout écrit non conforme à la versions officielle.
Cette Egypte-là, ils s’en sont toujours accommodés.
Diable, il n’est pas si loin, ce temps où, à Alger, le monde de la culture algéroise se mettait au service de Sawiris, Sawiris l’Egyptien, sa pub, ses cadeaux, ses voyages. Il n’est pas si loin, ce temps où l’on trahissait ce drapeau pour l’obole de Sawiris ! Rappelez-vous, Khalida Toumi alors ministre de la communication, défendant les intérêts égyptiens contre les journalistes de son pays, menaçant le Matin de poursuites judiciaires pour avoir révélé les dessous de l’affaire Sawiris, allant jusqu’à diffuser des « contre-enquêtes » dans des chaînes de radio publiques, signant un éditorial sur la chaîne III, réhabilitant Orascom. Ah, l’obole Sawiris ! Rappelons-nous, le petit cercle de l’édition algéroise, conduit par l’ami Smaïl Ameziane, déroulant un tapis rouge sous les pieds du responsable de la communication de Djezzy promu écrivain distingué, Djezzy de Sawiris, Djezzy l’égyptienne ! J’ignore si les talents littéraires de cet illustre confrère – à qui on souhaite bien du succès - le disposaient à disputer le Prix des libraires à Rachid Boudjedra, mais je crains fort que le gratin de l’édition ait moins voulu distinguer l’écrivain que l’employé de Sawiris l’Egyptien, Sawiris, sa pub et ses cadeaux, ses oboles, Sawiris l’ami de Bouteflika, Seigneur Sawiris, avant qu’il ne soit maudit à l’issue d’un match de football.
De cette Egypte-là, ils s’en accommoderont toujours. Après l’orage, ils se jetteront dans ses bras. La communauté des haines fait presque toujours le fond des amitiés.
Gharbi ou Sawiris. Eux, ils ont choisi.

M.B.

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