112.000 hectares menacés de détournement
L'Expression, 25 Août 2010
Le coup de grâce sera-t-il porté à un secteur dont la superficie se réduit inexorablement?
C’est ce que révèle un rapport du ministère de l’Agriculture et du Développement rural qui précise que la superficie des terres déviées de leur vocation originelle a atteint 50.000 hectares en 2005.
Main basse sur le foncier agricole! L’information qui vient d’être relayée par le journal One line TSA, qui affirme détenir une copie de ce rapport du département de l’agriculture, fait mention de plus de 110.000 hectares de terres qui seront amputées du patrimoine agricole dans à peine une dizaine d’années. D’ici l’horizon 2020, ils prendront une autre destination.
Un coup de grâce à un secteur dont la superficie des terres cultivables est déjà réduite en peau de chagrin. Selon des chiffres officiels, les terres agricoles du domaine privé de l’Etat occupent une superficie de l’ordre de 2,8 millions d’hectares, soit 35% de la surface agricole utile. Il faut rappeler qu’en 1954, le secteur agricole disposait de quelque 118.000 km², soit 56% de la surface brute du nord du pays. Qui veut la mort du secteur agricole? La question doit être posée, comme on aurait pu introduire une plainte en référé. La réponse doit tomber rapidement.
Il serait même criminel que les pouvoirs publics et les autorités directement concernées ne réagissent pas en temps voulu. Que restera-t-il en héritage aux générations futures? Une question récurrente dans les discours du président de la République. Du pétrole? Les experts prévoient une stagnation notoire de la production mondiale de l’or noir dès 2030.
Cette ressource assure depuis plusieurs décennies plus de 98% des recettes en devises dont a besoin l’économie nationale ainsi que les salaires de plus d’un million et demi de fonctionnaires. Le salut, et la fin de la dépendance par rapport aux hydrocarbures, ne peut provenir que du développement d’autres secteurs, essentiellement de celui de l’agriculture. Comment ce défi, qui semble déjà bien compliqué, peut-il être relevé si les moyens de production et notamment la disponibilité de la surface de cette «matière» première, la terre, sont détournés de cet objectif? Au lendemain de l’Indépendance, les terres et les domaines agricoles ont fait l’objet de convoitises qui ont donné naissance à une «mafia du foncier» dont les seuls objectifs n’ont servi qu’à mettre le feu au prix du mètre carré (plus de 300.000 dinars dans certaines banlieues d’Alger) des terrains agricoles qui se sont transformés en terrain à bâtir. Une aubaine pour la spéculation immobilière. Il fallait mettre un terme à la saignée.
Lors d’un Conseil des ministres présidé par le chef de l’Etat, le 11 mai 2010, il a été procédé à l’examen et à l’approbation d’un projet de loi fixant les modalités et les conditions d’exploitation des terres agricoles du domaine privé de l’Etat. «La terre est un patrimoine avec lequel la nation entretient un rapport exceptionnel pour en avoir été dépossédée durant la colonisation», avait tenu à rappeler, à cette occasion, le premier magistrat du pays qui a insisté quant à l’intérêt stratégique de ce projet à partir du moment où il s’agissait avant tout de la sécurité alimentaire des Algériens.
«Voilà pourquoi, il importe de préserver la propriété de l’Etat sur les terres agricoles publiques, de les valoriser et de sanctionner sévèrement toute tentative de les détourner de leur vocation», avait souligné Abdelaziz Bouteflika.
Il faut signaler que l’intervention du président de la république est tombée au moment où l’Algérie, qui s’est taillé la peu reluisante réputation de grand pays importateur de céréales dans le monde, s’apprêtait à exporter de l’orge pour la première fois depuis plus de quarante ans. Qui veut faire barrage à ce léger frémissement de l’agriculture algérienne qui doit encore importer à tour de bras pour satisfaire une demande nationale de plus en plus croissante? La preuve est donnée en ce mois sacré de Ramadhan où on a dû recourir à l’importation (4000 tonnes de viandes rouges...) pour tenter de juguler la spéculation.
Le document du département de Rachid Benaïssa n’apporte pas de réponse à cette question. Pour expliquer, par contre, le détournement des terres agricoles, il indique que «les prélèvements sont essentiellement le fait de décisions prises par des autorités administratives (commune, daïra, wilaya) sur la base de projets d’utilité publique. Les plans directeurs d’aménagement urbain (Pdau), élaborés au niveau des wilayas sous la poussée de la tendance vers l’extension des villes, ont contribué à rogner sur les superficies agricoles». L’indice est sérieux et intéressant à cogiter: il dit tout bas ce que le citoyen algérien pense tout haut.
Mohamed TOUATI