Par le Docteur Abderrahmane MEBTOUL Expert International (1)
Après les nouvelles mesures gouvernementales d’encadrement de l’investissement étranger, et au vu de l’ouverture d’autres pays, notamment en Afrique et Amérique latine, de la crise mondiale qui a entraîné une baisse de la demande, accrue par les économies d’énergie, de la modification de la loi des hydrocarbures limitant à moins de 49% l’apport étranger tant à l’amont qu’à l’aval, que dans le transport par canalisation, il y a eu une nette diminution des investissements étrangers alors que le secteur requiert des technologies de pointe. C’est que ces mesures pouvaient se justifier en partie pour l’amont (l’essentiel de la rente actuelle), mais pas pour l’aval et les canalisations dont les coûts sont élevés et la rentabilité financière beaucoup plus faible. Les produits semi finis et finis pétrochimiques étant soumis à une rude concurrence et les segments contrôlés au niveau mondial par quelques firmes, l’Algérie n’ayant pas, par ailleurs, investi à temps dans ces filières, contrairement à bon nombre de pays du Golfe.
Aussi les parts de marché au niveau mondial sont déjà prises, sans compter que l’amortissement a été largement effectué, réduisant substantiellement leurs coûts, contrairement à l’Algérie qui aura fort à faire pour avoir un prix compétitif du fait de la lourdeur des coûts d’amortissements de départ.
Questions stratégiques
Aussi la question stratégique qui se pose est la suivante : avec l’hémorragie de ses cadres, Sonatrach a-t-elle les capacités de faire des découvertes intéressantes, rentables financièrement ? Sonatrach a-t-elle les capacités d’investir seule, sans un bon partenariat, sans le partage des risques à l’aval, sans être assurée de la commercialisation ? Quelle est la rentabilité financière réelle des investissements de Sonatrach à l’étranger tant dans sa participation que dans des fonds d’investissement qu’elle aurait réalisés ? Quelle est la rentabilité, Sonatrach, s’étant fortement éloigné de ses métiers de base, dans l’aviation, dans la construction, dans les unités de dessalement d’eau de mer ?
Selon les dernières estimations l’Algérie a produit 86,5 milliards de m3/an en 2008 contre 49 milliards en 1990 et avec les nouveaux projets elle devrait atteindre 100 milliards de mètres cubes gazeux. Les exportations prévues entre 2014/2016 seraient de 85 de milliards de mètres cubes gazeux et 40 pour la consommation intérieure selon les dernières estimations d’août 2010 dont le CREG a revu à la baisse la consommation par rapport à son précédent rapport.
Pour l’horizon 2020, les prévisions d’exportations seront de 100 milliards de mètres cubes gazeux, ceci dans une perspective dynamique de développement allant vers 60 milliards de mètres cubes gazeux de consommation intérieure, toujours selon les estimations révisées à la baisse. Ce qui donnera un déficit de 60 milliards de mètres cubes gazeux soit l’urgence d’une découverte additionnelle durant cette période d’un volume plus élevé, soit plus de 70% de la production actuelle. En cas d’un développement plus intensif pour l’Algérie, ce qui est souhaitable, l’écart serait encore plus grand.
Par ailleurs, et en prenant par hypothèse une stabilisation des coûts, toute augmentation des coûts réduisant également la durée de vie des réserves en termes de rentabilisé financière compte tenu de l’évolution du Vecteur prix au niveau international, le prix devrait être entre 14/15 dollars le million de BTU pour le gaz naturel liquéfié – GNL- (coût et transport) et 10/11 dollars pour le gaz naturel par canalisation – GN- ( Medgaz- Galsi) pour l’exploitation de 4300 milliards de mètres cubes gazeux ( 10% de gisements marginaux étant non rentables à soustraire) donnant entre 25/30 ans de durée de vie ( exportation plus consommation ).
Si le vecteur prix est de 6/7 dollars le million de BTU, la durée de vie est à diviser par deux soit environ 15/16 ans. Si le prix est de 4/5 dollars, comme cela se passe sur le marché spot, la durée de vie serait entre 10/12 ans c’est à dire en 2020. Ainsi, l’'Algérie pourrait faire face à une grave crise interne de gaz dans les huit prochaines années, si le prix international se maintient à son niveau actuel, ainsi que les actuelles prévisions d’exportation, étant dangereux de sacrifier la consommation intérieure et d’annuler certains projets inducteurs.
Les perspectives incertaines d’exportation du gaz au rythme prévu
Cette inquiétude est d’autant plus justifiée que les exportations de gaz algérien représentent en 2009 un tiers des recettes de Sonatrach et n’ont pas dépassé 54,5 milliards de m3 en 2009, fort loin de l’objectif de 85 milliards de m3 pour 2012. La concurrence du marché spot et des retards dans certains projets dont celui Gassi Touil, qui devait entrer en production justement en 2009, expliqueraient le recul de 2009 selon le site www.maghrebemergent.com, citant le site de Sonatrach et des responsables du secteur, alors que le rythme des exportations annuelles de gaz naturel tournait autour des 64 milliards de m3 par an, depuis 3 ans, en attendant l’entrée en production de nouveaux gisements gaziers. L’objectif pour 2009 était d’exporter 65 milliards de m3. Par ailleurs, les acheteurs, principalement les Italiens, les Espagnols et les Français - plus de 60% des quantités engagées- n’ont recouru qu’à l’enlèvement minimal des volumes contractuels à un prix moyen indexé sur le prix du brut, situé entre 7 et 10 dollars le million de BTU durant l’année. Le reste des approvisionnements a été réalisé par les clients de Sonatrach sur les marchés spot ou le gaz naturel – cargaisons GNL – étaient cédées à moins de 5 dollars le million de Btu en moyenne sur le second semestre 2009, la crise mondiale ayant entrainé une baisse des enlèvements de gaz naturel par les Italiens, les Espagnols et les Français, de plus de 60% des quantités engagées contractuellement.
Donc, il existe des incertitudes sur le niveau des réserves des hydrocarbures rentables en Algérie à l’horizon 2020 dont une baisse des recettes en 2009 de plus de 40% par rapport à 2008, ce qui ne pourra qu’influencer le financement futur de l’économie nationale. Sans compter que Sonatrach absorbe une grande partie de ses recettes dans son autofinancement amplifié par les nouvelles dispositions qui l’oblige à investir sur ses fonds propres avec une baisse de ses recettes entre 2008/2009. Pour preuve, selon Sonatrach dans son rapport financier 2009, les réalisations de l’année 2009 en matière d’investissement ont atteint 1080 milliards de dinars (14 milliards de dollars) contre 598 milliards de dinars pour 2008, marquant une augmentation de 81%. Et les produits de l’année 2009 ont été de 4239 milliards de dinars contre 9095 milliards de dinars en 2008, marquant une baisse de 53%.
Et selon les prévisions du MEM, l’investissement serait de 63 milliards de dollars en 2010/2014, montant auquel il faut ajouter plus de 15 milliards de dollars pour Sonelgaz soit plus de 35% des recettes de Sonatrach au cours de 75 dollars le baril. L’Algérie devra inéluctablement, si les cours du gaz et du pétrole se maintiennent au niveau actuel, au vu des programmes d’investissements, et sans afflux substantiel de l’investissement étranger, conduire à puiser dans les réserves de change. A moins que l’on freine le rythme de la dépense publique, option peu envisageable avec les risques de tensions sociales de plus en plus vives et en l’absence d’une véritable politique salariale mais des distributions de rente pour une paix sociale fictive.
Se pose alors la question : quelle place de Sonatrach dans cet échiquier stratégique mondial et de la rentabilité des installations ? Ce d’autant plus que les contrats à moyen terme expirent dans leur majorité entre 2012/2013. Mais, il est utile de préciser que la politique économique a été constante, sans changements notables des différents gouvernements depuis 1974 à 2010 : intensifier les exportations des hydrocarbures à l’état brut ou semi brut, certes avec des finalités différentes, industries ou infrastructures clefs en main, solution de facilité, sans s’attaquer à la gouvernance et à la valorisation du savoir, fondement véritable du développement, l’économie algérienne qui est une économie fondamentalement rentière.
Et la problématique centrale est : comment passer d’une économie de rente à une économie hors hydrocarbures, les principaux indicateurs macro-économiques, macro-financiers et macro sociaux positifs, étant biaisés car ne relevant pas du génie créateur, c’est à dire du travail et de l’intelligence.
Et si ces prévisions savèrent fondées que deviendront les générations futures, dans moins de 20 ans, sans que l’on ait préparé l’après hydrocarbures ? Il y va de la responsabilité des gouvernants, car posant le problème de la sécurité nationale.
In Les Afriques
L’auteur
Docteur Abderrahmane MEBTOUL, docteur d’Etat en sciences économiques (1974)
Professeur d’Université en management stratégique et directeur d’études des Ministères industries et énergie 1974/1980, 1990/1996, 2000/2006. Auteur de nombreux ouvrages et interventions dans des revues internationales sur le secteur des hydrocarbures en Algérie face aux mutations mondiales