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Un témoignage de Djilali Hadjadj : « Ma guerre contre la République du bakchich » PARTIE 1

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Quand le 25 février 1995, le quotidien El Watan publia mon enquête sur ce qui allait devenir « l'affaire des scanners », j'étais loin d'imaginer que j'allais être poursuivi à ce sujet devant les tribunaux pendant huit longues années, et acquitté en dernier ressort, après avoir été condamné à plusieurs reprises et mis sous contrôle judiciaire de longs mois durant. Médecin, je m'étais naturellement intéressé à un scandale qui interférait avec mes préoccupations professionnelles. Les retombées médiatiques, judiciaires et politiques de mon enquête m'ont fait comprendre que la corruption est un enjeu central de la vie politique algérienne. Et, du coup, j'ai entrepris, depuis, d'explorer les diverses formes de corruption qui sévissent en Algérie. Beaucoup de proches et d'amis ont essayé de m'en dissuader : trop dangereux ! D'autres plus pessimistes encore posaient la sempiternelle question : « as-tu des preuves ? » Des preuves, il en a toujours existé suffisamment. Et la première, c'est l'état du pays. Comment l’Algérie, qui possède un potentiel humain magnifique, un territoire gigantesque, une histoire millénaire et de fantastiques ressources naturelles, peut-elle, 60 ans après son indépendance, compter d’un côté plus du tiers de sa population en dessous du seuil de pauvreté et de l’autre une caste de nouveaux riches issus du cercle du pouvoir ? Comment, s’il n’existait une corruption généralisée, tentaculaire, féroce, et une caste prête à tout sacrifier à ses intérêts mafieux ? Des preuves ? Il nous en a été donné chaque fois que les circonstances ou le travail de la presse ont percé la chape de silence que les institutions, le pouvoir et les puissants ont posé sur la corruption ; chaque fois qu'une affaire a émergé ; chaque fois qu'une procédure a été esquissée. Et puis des preuves pour quoi faire ? Identifier les corrompus ?

Mon but, en publiant sur la corruption, n'était pas  tant d'en appeler à la justice  - et quelle justice ! -, et d'aligner des affaires, de donner des noms – encore qu'on y trouvera quantité d'affaires et de noms – que de désigner et d'analyser l'une des principales sources de souffrance du peuple algérien. Quant au remède, je n'en ai jamais vu d'autre que la démocratie.
Autre prétention qui m'a toujours guidé : essayer de mettre à nu les mécanismes de la corruption «  à l'algérienne » - pas si différente de celle qu'on rencontre dans de très nombreux autres pays, si l'on excepte son très vaste champ d'action, les effets dévastateurs qu'elle produit sur le destin de tout un peuple et le fait qu'elle ne cesse de se développer, depuis de trop nombreuses années, dans un contexte d'horrible violence.
De 1995 à ce jour, il me faut compter par dizaines les convocations et « rencontres » chez les juges d'instruction, les mises sous contrôle judiciaire, parfois particulièrement astreignants, les procès à répétition. « C'est l'histoire du voleur qui crie au voleur ! » Combien de fois ai-je entendu cette réflexion de citoyens anonymes dans les prétoires des tribunaux ? Beaucoup d'algériens sont en effet scandalisés par les poursuites judiciaires, le plus souvent abusives, à l'encontre des journalistes.

Pourquoi écrire sur la corruption ? Tout avait commencé au début des années 90. État prédateur et déliquescent, violences de toutes sortes, économie en faillite, pauvreté de masse, fuite des capitaux…
Beaucoup l’ont payé de leur vie, qu’ils aient été militants de la décolonisation de l’Algérie ou défenseurs de la démocratie après l’indépendance, ou de courageux journalistes qui ont tout donné pour la liberté de la presse. Rien de surprenant que le combat de ceux qui luttent contre la corruption aujourd’hui s’inscrive dans la continuité des luttes pour la libération, l’émancipation et le développement de l’Algérie. C'est qu'il y avait tant d'écrits sur l'Algérie, mais si peu évoquaient – et encore à peine ! -, la corruption. Le manque de données pouvait expliquer partiellement cette lacune, et les difficultés d'investigation en décourageaient plus d'un. Car à l’époque, dans le contexte de violences et de terrorisme sans pareil que nous connaissions, s'aventurer à explorer un tel sujet, c'était – et malheureusement ça l'est resté -,  s'exposer à des représailles.
Mais fallait-il continuer à se taire ?
Après l'écriture, tentatives d'action sur le terrain
L'association algérienne de lutte contre la corruption ( AACC) – dont je suis un des membres fondateurs et le porte parole  -a été créée en 1999 par des citoyens issus de différents secteurs d’activité à l’effet, dans une première étape, de contribuer à casser le tabou de la corruption, à en parler ouvertement et publiquement , à essayer d’en quantifier l’ampleur et d’en connaître les mécanismes, de mener des actions d’information, et d’élargir son champ d’action, notamment sur le terrain auprès de toutes celles et de tous ceux qui se sentent concernés par ce combat et qui veulent passer à l’action. Nous avons toujours eu le courage de nos déclarations, de nos écrits  et de nos prises de position quant à l’étendue de la corruption, et nous avons maintes fois dénoncé les ravages que cause ce fléau. Malgré le refus de la reconnaître, signifié par le ministère de l'intérieur, les fondateurs  de l'association sont décidés à ne pas lâcher prise.
Comme d’autres associations autonomes et indépendantes, et comme les syndicats libres, notre association ne cesse de rencontrer énormément de difficultés et toutes sortes d’obstacles de la part des pouvoirs publics et de ses officines issues principalement des divers services de sécurité (tous corps et tous secteurs confondus). Alors qu’elle agit dans la totale légalité, conformément à la loi de décembre 1990 relative aux associations en particulier, et aux lois de la République en général. C’est ce pouvoir - et ses exécutants,  qui agissent en dehors des lois du pays, lois dont ce pouvoir est pourtant l’auteur. Ces obstacles et problèmes vont du harcèlement quotidien que subissent un nombre important de ses adhérents, aux représailles systématiques (licenciements, interpellations par les services de sécurité, surveillances et intimidations, emprisonnements arbitraires, justice expéditive, etc.) dont sont victimes les dénonciateurs de la corruption et les donneurs d’alerte. La police politique sous différents « habits » a toujours été très fortement mobilisée contre les citoyens qui veulent s’impliquer dans les luttes sociales.
Répression, menaces, risques, pressions, intimidations, etc.

D. H.

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