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Sahel : Abou Zeid, l’irrésistible ascension

 

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Al Jazeera a diffusé hier une photo des sept otages enlevés dans la nuit du 15 au 16 septembre au Niger, dont cinq Français. Les otages sont entourés par des hommes armés, aux visages cachés. Sauf un, le chef, sans arme. L’instigateur de ce rapt audacieux. Abdelhamid Abou Zeid, ancien contrebandier versé depuis dans le combat salafiste et qui n’arrête pas d’étendre dans le Sahel sa zone d’action… et d’influence. Portrait d’un djihadiste pas tout à fait comme les autres.

Un visage long, au front marqué par des rides profondes, surmonté d’un chèche et portant une barbe éparse et grisonnante… Il n’existe que très peu d’images de Abdelhamid Abou Zeid, de rares photos et des vidéos de mauvaise qualité. C’est sans doute pour cette raison que l’homme responsable de l’enlèvement de cinq Français, un Togolais et un Malgache, le 16 septembre dernier au Niger, nourrit tant de mythes. Le nouvel ennemi numéro 1 de la France n’est pas un Ben Laden : discret, il n’aimerait pas se montrer. Comble de l’histoire : depuis dix jours, le monde n’aura jamais autant parlé de lui. Mais qui est Abou Zeid, de son vrai nom Abid Hammadou, 45 ans ? Est-il vraiment le terroriste froid et sanguinaire, décrit par les médias français, qui aurait tué de ses propres mains le Britannique Edwin Dyer et Michel Germaneau ? Un salafiste comme l’Algérie n’en a jamais connu ? Ou un simple contrebandier à la solde d’Al Qaîda ?

Flash-back. «Nous sommes en 1998, à Takhoukht, en Kabylie, lors de la réunion constitutive du GSPC qui marque la scission avec le GIA, sous le leadership de Abdelmadjid Dichou, alias Abou Mossaâb», raconte un expert algérien du terrorisme. Quatre groupes principaux assistent à cet événement : ceux qu’on appelle «les Arabes» avec, parmi eux, Abdelmalek Droukdel, «les Kabyles», avec à leur tête Hassan Hattab, «les anciens militaires», sous la direction de Okacha et «les gens du Sud» (axe est-sud), à cette époque, pas très importants. Parmi ces derniers : Mokhtar Belmokhtar et… Abou Zeid.

Imaginer une Oumma

L’homme n’est pas nouveau dans le paysage. «Connu des services libyens et algériens depuis les années 1980, il fait plusieurs séjours en prison, où il est d’ailleurs maltraité», précise un autre spécialiste du dossier. Mais il ne fait alors que dans la contrebande. Selon le magazine Paris Match qui a publié hier une enquête sur le personnage, c’est en 1989, à la mort de son père, qu’il se serait mis à fréquenter les islamistes. Puis en 1992, il aurait basculé dans le trafic pour des réseaux de soutien aux groupes armés. «En 1993, on sait qu’il était chargé de recruter pour le GIA, poursuit-on du côté de la lutte antiterroriste à Alger. Proche de Kamareddine Kherbane, à l’époque responsable des relations extérieures du GIA, il est même devenu en 1995 un des bras droits de l’émir Belabdi Derradji.»

Son ascension commence et ne va pas s’arrêter. En 1996, il monte au maquis en Kabylie, où il aurait brièvement été chargé de la logistique et aurait échappé à une tentative d’assassinat de la part d’autres terroristes. Puis il rejoint la zone est-sud. Très vite, son chef, Abderrezak El Para, en fait son homme de confiance. Dès 1997, il achemine des armes au Nord-Mali pour préparer la base arrière du GSPC. Pourquoi ? «En se ralliant à Al Qaîda, le GSPC reprend la vision stratégique de la plupart des groupes salafistes dans le Sahel, explique un spécialiste à Alger. Le Maghreb islamique s’étend de l’Atlantique avec une profondeur africaine jusqu’au Sinaï. Ce qui explique pourquoi le centre ‘‘Droukdel’’ est descendu vers le Sahel.

C’est une façon de se démarquer du Maghreb arabe traditionnel en tant que frontière, zone géographique et entité politique. Et puis en Afrique, poursuit-il, la circulation des armes et le travail des groupes armés en général sont favorisés par le contexte : une région de coups d’Etat, d’instabilité politique, de pauvreté avec un système social et décisionnel tribal. Enfin, descendre vers le Sud permet d’imaginer une Oumma, de briser l’héritage des frontières, colonialiste et impie.

Homme fort du terrain

Les orientations d’Al Qaîda, d’Afghanistan et du Pakistan ont toujours insisté sur le Sahel, identifié comme région instable et tribale. La stratégie d’Al Qaîda était de faire migrer ses actions du Moyen-Orient vers le Maghreb islamique.»
Ce n’est qu’en 2000 que le nom d’Abou Zeid apparaitrait pour la première fois en tant que terroriste en activité dans la zone 5 du GSPC (Tébessa, Khenchela, Batna). En 2001, il fut chargé de préparer un convoi de fourgons pour un déplacement vers le Tassili qui finalement partira pour le Mali. «El Para a su dès 2002 qu’Al Qaîda ne pouvait plus compter sur Hattab et qu’il fallait un nouveau chef, poursuit une source proche du dossier. Le Sahel, zone grise, était l’endroit idéal pour créer une cellule. Voilà comment est née la katiba Tareq Ibn Zyad. El Para voulait devenir le chef et placer Abou Zeid comme l’homme fort sur le terrain. C’est d’ailleurs pour cette raison que ce dernier est entouré d’anciens chefs de la zone 5.»

Le tournant dans le parcours d’Abou Zeid survient en février 2003, lors de l’enlèvement des 14 touristes européens (9 Allemands, 4 Suisses et 1 Néerlandais) en vacances dans le Sahara algérien. «Abou Zeid faisait partie des négociateurs, aux côtés du gouverneur de Gao, d’Ag Bahanga et d’Iyad ag Ghaly», précise-t-on du côté algérien.

Rivalités

Il a alors 38 ans, mais, contrairement à d’autres djihadistes, il n’a pas «fait l’Afghanistan». L’enfant de la zaouïa El Abidia, près de Touggourt, doit se forger une autre légitimité. Celle du terrain. Son principal rival : Mokhtar Belmokhtar (MBM), d’environ sept ans son cadet. A l’exception de leur mariage avec des femmes de la tribu des Beni Omrane, les deux hommes ne se ressemblent en rien. MBM, lui, est revenu des camps de référence de l’Afghanistan. «Il connaît de nombreux chefs terroristes et s’appuie sur un réseau de contrebande très solide», poursuit un spécialiste des salafistes.

Comme le souligne Dominique Thomas, spécialiste d’Al Qaîda à l’Ecole des hautes études en sciences sociales à Paris, «dans ce type d’organisation, il y a toujours eu des rivalités – rappelons-nous comment est né le GSPC, ou des purges à l’intérieur du GIA puis après du GSPC. Qui plus est dans un territoire géographique aussi grand. MBM a sans doute été très déçu de ne pas avoir gagné le leadership total après la mort de Nabil Sahraoui, émir du GSPC». Pour l’anecdote, après l’attaque de la caserne de Lemgheity en Mauritanie, Mokhtar Belmokhtar avait donné une interview dans le journal du GSPC, El Jamaa, où il ne cachait pas ses ambitions de devenir l’émir de la région.

Filmer et... parler d’argent

Bien sûr, l’histoire officielle du mouvement n’en laisse rien paraître. «Si on s’en tient au compte rendu du conseil des chefs de 2009, c’est MBM lui-même qui aurait laissé le chemin libre à Abou Zeid, note Mathieu Guidère, professeur à l’université de Genève, spécialiste d’Al Qaîda au Maghreb islamique. Le groupe voulait assainir les modes de financement du djihad. La contrebande sur laquelle s’appuyait Mokhtar Belmokhtar dans le Sahel ne pouvait plus être une solution. Mais comment trouver de l’argent sans trafic ? Leur responsable juridique a alors proposé de recourir aux prisonniers de guerre. Selon le droit de la guerre en Islam, rien ne s’y opposait. S’est ensuite posée la question de qui pouvait prendre cette nouvelle responsabilité. Mokhtar Belmokhtar, reconnaissant que ce n’était pas son domaine, le nom d’Abou Zeid est alors venu naturellement. Il était bien vu et participait déjà activement à la guérilla. Il connaît aussi très bien Droukdel depuis les années 1990.»

Son premier contact avec Al Qaîda remonterait en tout cas à 2004 : il aurait reçu un message d’éloges d’Abou Moussab Zerkaoui. «Il faut comprendre qu’Abou Zeid est dans une logique beaucoup plus doctrinale que MBM», poursuit un expert. «Il a interdit les anachide à ses combattants pour les remplacer par des récitations du Coran !, ajoute un spécialiste de la lutte antiterroriste. Il reproche d’ailleurs à MBM de trop verser dans le business, d’être devenu un notable et d’être trop infiltré par tous les services de la région.» Mais sur ce point, les versions divergent.

«Abou Zeid est tout sauf un fanatique religieux, assure un autre expert du dossier. C’est le Rockfeller du Sahel ! Rien qu’entre 2008 et 2009, le nombre d’affrontements armés enregistré entre contrebandiers et services de sécurité algériens dans la région est passé de 4 à 15 ! Soit trois fois plus. Il a créé une telle dynamique de richesse qu’il est désormais le seul avec qui veulent discuter ceux qui vendent des armes ou de la drogue. Bref, c’est un businessman. Il n’est pas comme Abou Moussab Zerkaoui qui filme ses otages et les égorge ensuite. Abou Zeid les filme et après… parle argent. Quant au message politique de ses actions, il le laisse à Droukdel.» Qui s’est retrouvé dans la même situation que Ben Laden une fois encerclé en Afghanistan.

Yémen et Arabie Saoudite

Il a demandé aux autres cellules de prendre l’initiative. Droukdel a fait la même chose : sa marge de manœuvre limitée en Kabylie, il s’est retrouvé obligé de demander aux combattants du Sud de prendre l’initiative. En clair : il fixe les grande orientations d’AQMI, mais ce sont les djihadistes sur le terrain qui décident des options.
Pour Dominique Thomas, il serait tout de même «réducteur de ramener Abou Zeid à un simple contrebandier. A la fin des années 1990, il était vital pour le GSPC d’être adoubé par Al Qaîda, cela a permis de donner à ses opérations une résonance internationale et d’éviter de tomber dans un combat localisé.

Le prolongement dans le Sud était également vital pour l’organisation, dont l’extension au Maghreb avait échoué. Et pour cela, il fallait effectivement des armes, de l’essence, du matériel informatique, analyse-t-il. Donc, on peut penser que l’aspect économique a toujours été déterminant. De là à dire que l’appât du gain est leur seule motivation… La guerre de communication des gouvernements pour «délabelliser» ces mouvements de leur cachet religieux et les ramener à de simples groupes mafieux est une stratégie classique. C’est exactement la même chose au Yémen et en Arabie Saoudite.»

Filière au Burkina Faso

En 2007, Abou Zeid aurait poursuivi ses contacts avec Al Qaîda et rencontré un émissaire libyen de Ben Laden, arrêté par la suite, à qui il aurait exprimé son vœu de partir en Afghanistan. Son ambition : devenir chef. Pour cela, il recruterait pour monter son propre groupe, en Mauritanie jusqu’… au sein même de la fraction de MBM. «Abou Zeid aurait entendu dire que MBM était en train de négocier sa reddition, explique le spécialiste de la lutte antiterroriste. Al Qaîda lui a demandé de devenir le chef, dans un message intercepté par les services libyens et algériens. Il aurait encore rencontré un émissaire de l’organisation, probablement au Tchad. Et il exhiberait même un document selon lequel Ben Laden le chargerait officiellement de restructurer le mouvement en vue d’une nouvelle organisation. Il serait en relation avec une filière au Burkina Faso.» Ce qui correspondrait aux inquiétudes de Said Djinnit, représentant spécial du secrétaire général de l’ONU. Hier à Dakar, il évoquait les «risques de propagation de la menace terroriste en Afrique de l’Ouest». Crédible ? Oui. Faisable ? C’est discutable.

Coup d’État

Pour un proche du dossier, MBM et Abou Zeid ont réussi «une sorte de coup d’Etat contre le Nord. Ils sont devenus autonomes. Maintenant, c’est en bas que ça se joue». La grande réussite d’AQMI dans le Sahel est d’avoir noué des alliances avec le réseau social. Mais ces liens seront-ils assez forts pour éviter les trahisons ? «L’histoire montre que la durée de vie d’un émir dans une zone comme le Sahel, où les pays sont suffisamment bien équipés pour terminer une guerre rapidement, est assez limitée, analyse Dominique Tomas. Et la comparaison avec l’Afghanistan ne tient pas : c’est une autre géographie et une autre sociologie. Les relations entre les talibans et les zones tribales pakistanaises reposent sur des bases sociales bien mieux ancrées qu’elles ne le sont au Sahel. Le ratio des combattants n’est par ailleurs en rien comparable. A en croire les documents, chaque katiba comprend une trentaine de personnes. En Afghanistan ou au Pakistan, les cellules fédèrent plusieurs milliers de combattants. Le jour où AQMI montrera des vidéos avec des centaines de combattants, on verra. S’ils continuent à recruter en Mauritanie, comme ils réussissent à le faire actuellement, les choses peuvent changer. D’autant que jusqu’à maintenant, l’organisation a échoué à maintenir un foyer de tensions suffisamment actif au Nord, faute de recrues au Maroc et en Tunisie, qui font, jusqu’à preuve du contraire, aussi partie du Maghreb islamique.»

Mélanie Matarese

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