Sur les conseils d’un ami écrivain, invité au Salon international du livre d’Alger (SIla), je m’y suis rendu. Il faut préciser que la lecture de la presse incitait à y aller. Jeudi, un taxi me dépose à Chevaley. Pour les non-algérois, le Sila (plusieurs chapiteaux) a été installé sur le parking du stade du 5 juillet. Du Chevaley au stade olympique, il faut compter un bon quart de marche à marche soutenue. Ce jeudi, il pleuvait sur Alger. Ce qui n’a pas découragé des centaines de filles, majoritairement en hidjab et autant des barbus, plus nombreux que les sans barbes dont je faisais partie. A un moment je me suis demandé si je ne faisais pas fausse route. Toutes ces voilées et ces barbus m’ont rappelé ce fameux meeting du FIS, un certain mois de novembre 1991 où un certain Mohamedi Saïd, ex-colonel de la wilaya III, avait pris la parole devant des dizaines de milliers de barbus déclarant en arabe que pour « assainir ce pays, il faut liquider deux millions de personnes » ! Je n’invente rien, nous l’avons rapporté à l’époque dans le Matin, avec un dessin de Dilem (à l’époque, il était chez nous) intitulé « Beau temps, pelouse en bon état, foule nombreuse, un journaliste du Matin expulsé » ! Les temps ont changé. Par ces temps de réconciliation nationale, la petite foule, dont je faisais partie, qui se dirigeait vers le Sila, était bon enfant. Les jeunes femmes voilées bavardaient, certaines répondaient au portable à leurs petits copains, les barbus souriaient, d’autres commentaient les écrits d’El Hadaf (le journal sportif) sur les chances du Mouloudia d’Alger face à l’Itihad de Tripoli en coupe d’Afrique du nord de football ! Non, je ne rêvais pas. Tout ce beau monde allait au Sila. L’ensemble était pas mal : un grand chapiteau abritant les exposants. A côté des petits restos, des toilettes, et juste à côté de l’entrée principale un chapiteau abritant un lieu convivial, mais réservé aux invités, les masses dont je faisais partie étant priées d’aller à côté ! Une fois sur les lieux, j’ai compris pourquoi il y avait tant de barbus. Le contraste était saisissant. Sur les 400 exposants présents, près de 80%, j’exagère à peine, exposaient des livres religieux. Dar el Moassara ( Maison de la contemplation), Dar el Mohsen, et j’en passe, le livre islamique, sans compter les vidéos de prédicateurs célèbres, était dominant. Amr Khaled, par exemple, le prédicateur égyptien « soft », qui a compris que la violence armée était contre-productive, et qui officie sur une chaine de télé arabe, dont les portraits ornaient un stand, tenait la vedette. Il n’était pas le seul, il y en avait d’autres. Dans la plupart des stands, des écrans de télé diffusaient des prêches, d’autres des documentaires religieux. Mieux les livres religieux étaient soldés. Certains stands proposaient 50% de remise ! De fait, le Sila s’apparentait à une véritable foire religieuse. Un véritable raz-de-marée comme au « bon vieux temps » du début des années 90. D’où la présence de ces milliers de visiteurs majoritairement islamistes. Le livre islamique et les vidéos proposés, bénéficient-t-ils d’un traitement de faveur ? Une chose est sûre, majoritaires parmi les visiteurs, les barbus semblaient ravis, ils étaient entre eux, et se pliaient en quatre pour faire plaisir au visiteur, dont j’étais ! Dans l’ordre, le livre islamique omniprésent, était suivi par les livres universitaires, la littérature enfantine, et les livres de cuisine et de pâtisserie orientale. C’est dire ! Les éditeurs algériens – Barzakh, Chihab, Casbah – semblaient noyés dans cet océan religieux. Les étrangers – Gallimard, Hachette, l’Harmattan - faisaient pâle figure. Essais et romans se comptaient sur les doigts d’une main. Les maisons d’édition française proposaient de la littérature classique française. Censure oblige, Boualem Sansal, certains romans de Selim Bachi ne figuraient pas. Même Djamila Benhabib, dont le livre « A contre-Coran » est pourtant vendu en librairie, n’y était pas. De fait, les conférences-débat animés par Benjamin Stora, le suisse Jean Ziegler, Poivre d’Arvor, et d’autres, heureusement très médiatisés, auxquelles a participé un nombreux public, semblaient être l’arbre qui cache la forêt. Il faut aller à l’exposition de l’art et la culture turque de la ville d’Adara, au Palais de la culture, boudée pas les barbus, pour rencontrer l’Algérie moderne. Ici, peu ou pas de barbus ou de femmes en hidjab, mais un nombreux public qui semble plus intéressé par Istanbul que par Riadh ou le Caire ! H.Z