«Nous sommes en prison depuis bientôt six années pour quelque chose qu’on n’a pas fait. Notre condamnation a eu lieu sur la base de faux témoignages. Ce sont des témoignages qui ne sont pas crédibles. Croyez-moi, Monsieur le président, j’ai passé six années en prison en train de lire l’arrêt de renvoi, mais je n’ai point trouvé de chefs d’inculpation à l’origine de notre condamnation à quinze années de prison ferme.» L’ex-Pdg de la Cnan, Ali Koudil, a tenu en haleine l’assistance durant deux heures. Son passage à la barre a replongé l’assistance dans la nuit du 13 au 14 novembre 2004.
Abder Bettache - Alger (Le Soir) - Très attendu par l’opinion publique nationale, le procès, après cassation auprès de la Cour suprême, des ex- cadres de la Cnan poursuivis dans l’affaire du naufrage des navires le Bécharet l’échouage de Batnaa été ouvert hier au niveau de la cour d’Alger. Le procès n’a débuté, véritablement, que vers 15h30. Dans la matinée, a eu lieu la lecture de l’arrêt de renvoi qui a duré plus de deux heures. Dans une salle exiguë, peu aérée et en l’absence de sonorisation, le greffier a passé plus de 120 minutes à faire lecture du volumineux arrêt de renvoi. Ainsi, durant toute la matinée, prévenus, représentant du ministère public, défense et membres du jury du tribunal criminel étaient suspendus aux lèvres du greffier. Ce dernier ne termine sa lecture qu’après 13h45. Cette «étape» franchie, le président du tribunal criminel suspend la séance et fixe rendez-vous à l’assistance pour 14h. L’ex-P-dg de la Cnan, Ali Koudil, était le premier prévenu appelé à la barre. Le magistrat lui rappelle les chefs d’inculpation tout en l’invitant à donner des explications sur le contenu des griefs retenus contre lui. Dans la salle, un silence religieux s’y instauré. La famille du prévenu écoutent attentivement l’intervention de l’ex- patron de la Cnan. En parfait bilingue, Ali Koudil tente d’expliquer au président du tribunal criminel son rôle en sa qualité de Pdg de la compagnie Cnan. L’intervention dure depuis quinze minutes, quand soudain, le président du tribunal, et sur un ton ferme, invite l’un des avocats du prévenu à s’éloigner de son client. Le magistrat reproche à la défense d’avoir soufflé des réponses à son client. Clash ! L’altercation s’installe. Miloud Brahimi monte au créneau et engage un bras de fer avec le magistrat. Le ton est monté d’un cran. La polémique s’installe. Premier mesure : le président du tribunal suspend la séance. Les travaux ne reprendront qu’une heure après.
«Des gens ont témoigné contre nous par esprit de vengeance»
A la reprise, Ali Koudil poursuit son témoignage. Il explique au président du tribunal le fonctionnement de la façade maritime et le rôle de chaque intervenant dans l’enceinte portuaire. Il relate des faits jusque-là inconnus de la justice. Le rôle des gardes-côtes en qualité «de police du port et de la mer» et de l’Entreprise portuaire d’Alger (EPAL) en sa qualité de «propriétaire des lieux (enceinte portuaire)». Il cite, également, le rôle du comandant de bord du Béchar qui avait toute latitude, conformément au code maritime, de prendre toutes les décisions, allant dans le sens de la sécurité de son équipage. Enfin, il relate les derniers moments vécus avec l’ex-ministre des Transports, le défunt Mohamed Maghlaoui, avant que le Béchar ne sombre. «J’ai dit au ministre où sont les hélicoptères, qu’il faut sauver ces gens. Que me répond le ministre ? Les hélicoptères ne peuvent pas décoller», assène Ali Koudil. L’assistance est tenue en haleine. Les avocats de la défense suspendus au témoignage de leur client ne posent point de question. Le prévenu assure parfaitement sa défense et poursuit : «Quel intérêt a-t-on à laisser seize de nos collègues mourir et à se retrouver ensuite durant six années en prison ? Nous sommes en prison pour quelque chose qu’on n’a pas fait. Des personnes ont témoigné contre nous par simple esprit de vengeance.» Et en guise d’argument, l’ex-pdg de la Cnan cite les témoignages qui ont «pesé» dans sa condamnation et celle de ses collègues ici présents. Il nomme le commandant de bord Laker, un ex-syndicaliste affilié au syndicat Snomar. «Ce personnage a été licencié par l’entreprise après avoir été traduit devant la commission de discipline pour manquement à la discipline. Son témoignage n’est basé sur aucune preuve tangible. Je vous cite également le cas des gardes-côtes. Ces derniers ont une grande responsabilité dans cette affaire. Puisqu’ils considèrent que le Béchar était en danger, pourquoi n’ont-ils pas alors pris la décision de le faire entrer avant qu’il y ait catastrophe ? Ne sont-ils pas les policiers de la mer ? Dans le cas échéant, l’article 942 du code maritime auquel ils ont fait référence est clair. Rien ne peut se faire sans l’aval des gardes-côtes», martèle Ali Koudil. Poursuivant son témoignage, l’ex- patron de la Cnan porte à la connaissance de la composante du tribunal criminel que trois facteurs ont précipité le drame. Il s’agit de la «force de la tempête, qui a empêché les remorqueurs de sortir du point du mouillage du navire le Béchar et de la réaction tardive de l’équipage». Hier, en ce premier jour du procès de l’affaire des ex-cadres de la Cnan, les zones d’ombre qui ont jusque-là caractérisé cette affaire commençaient à s’éclaircir. Le passage à la barre de Ali Koudil a donné au procès sa véritable dimension.
A. B.