Les militaires obéissent aux civils. En Algérie. C’est du moins ce que WikiLeaks a dû rapporter dans une de ses livraisons, cette semaine, sur une assertion de Bouteflika aux diplomates américains à Alger. La chose est d’autant plus intéressante de prime abord qu’elle a déjà fait les choux gras de la presse locale pendant des mois et à des périodes différentes de la vie politique nationale. Ainsi, WikiLeaks serait dans le cas de nous avoir apporté la preuve de ce que nous aurions bien pu supposer, soupçonner ou même tout simplement déduire de certaines lectures avisées des événements. Jusqu’à avant cette fuite d’informations, les observateurs comme les commentateurs politiques algérois se sont déjà posé la question de savoir quels seraient, à l’heure actuelle, la qualité et le niveau des rapports entre le pouvoir des militaires et celui des dirigeants civils.
L’opinion a donc eu droit à moult spéculations aussi superfétatoires les unes que les autres. Mais en réalité, est-il possible que toute la situation soit telle qu’elle est rapportée par le site web qui défraie la chronique mondiale en ce moment ? Est-il ainsi à ce point vrai que «toute vérité est dans ce qu’on cache», comme pourrait bien nous le suggérer le fait de mettre en ligne les câbles top secrets des ambassades de l’oncle Sam ?
En tout cas, en ce qui concerne l’Algérie, l’équation militaire-civil semble mal posée dès le départ puisque nous ne sommes même pas dans le théorème de démocratie. La primauté de civil sur le militaire n’aurait de sens, en effet, que si le pouvoir civil, fruit d’un mandat électif, était seulement l’expression de la volonté des suffrages librement exprimés. A ce titre, il serait judicieux que le militaire soit aux ordres du civil dont le pouvoir constitue un mandat du peuple qui peut le lui reprendre à la première consultation électorale. Mais force est de reconnaître que nous en sommes bien loin tant que la chose publique continue d’être traitée en affaire privée par le cénacle de politiciens qui sont de plus en plus enclins à poser pour une photo de famille et de moins en moins prêts à accepter l’ouverture de l’espace public pour le débat franc et contradictoire.
Que de scandales et d’affaires scabreuses n’ont-ils pas secoué le microcosme politico-militaire algérois ! Le rôle peu flatteur de l’APN, les pouvoirs de plus en plus limités des mandats électifs face à ceux de plus en plus importants de l’administration, le fer de l’état d’urgence qui reprend nombre de prérogatives aux civils, l’intrusion du sacro-saint délire sur une succession dynastique, l’infâmante exclusion des partis de toute vie politique saine, l’absence de débat sur les questions sécuritaires, économiques et sociales qui engagent le destin de tout un peuple, tout cela est là pour nous rappeler que les termes du débat sont spécieux et biaisés. Car dans cette équation d’imbrications des pouvoirs pourrait se cacher un projet sournois qui vise à porter le statut actuel du «despotisme éclairé» vers les eaux glacées d’une dictature où civils et militaires peuvent se confondre.