Il paraît que la déclaration du ministre de la Communication sur l’incompétence des journalistes de l’ENTV, déclaration sur laquelle Mehal serait revenu depuis, aurait suscité la colère des concernés.
Il ne devrait d’ailleurs pas être difficile de consoler nos confrères de l’Unique ; il suffit de rappeler que pour l’heure, et pour des raisons “systémiques”, la compétence n’est pas à l’ordre du jour. Ni à la télévision ni dans la presse en général, ni dans aucune autre institution.
Si la compétence constituait un souci pour nos décideurs, ils auraient mis en place le seul système qui lui permettrait d’émerger : le système de compétition, c’est-à-dire le système démocratique, au sens large. Mais alors le régime serait contraint de s’imposer un minimum de cohérence dans les nominations aux postes de responsabilité, de concevoir des grilles de sélection et d’organiser des concours pour pourvoir accéder aux fonctions publiques. Mais que faire des cousins et des copains ?
Les journalistes de l’ENTV, avant d’exiger la reconnaissance de leur compétence, se sont-ils posé la question : dans un système de télévision unique, de quelle compétence a-t-on besoin ? Quelle autonomie intellectuelle et quelle marge d’initiative a-t-on dans le processus de sélection, de production, de formalisation et de diffusion de l’information pour que la compétence d’un journaliste de type ENTV puisse être mise à l’épreuve ?
Dans un contexte autoritaire de production du discours unique et où la création intellectuelle est sous surveillance, la compétence, quand elle existe dans les structures officielles est une anomalie, un mal nécessaire… pour le système. Elle peut être tolérée pour ses seuls avantages pratiques et dans la seule mesure où elle ne confère aucune légitimité décisionnelle à son détenteur.
Sinon, c’est la compétence qui doit laisser place à la raison du pouvoir. D’où ce qu’on appelle la “fuite des cerveaux” qui, en fait, n’affecte pas que les génies, mais touche les qualifications les plus élémentaires. L’ironie est, dans ce fait, que le pouvoir fait de l’appel au retour des compétences qu’il a fait fuir ; un thème de propagande politique ! Le système de rémunération qui privilégie les instances de pouvoir à celles qui font appel à la technicité exprime ouvertement le choix politique pour la filiation politique contre l’utilité sociale. La répression continue des luttes sociales dans les secteurs de la santé et de l’enseignement rappelle que le critère de promotion statutaire renvoie à des considérations d’équilibre du pouvoir et non à des préoccupations de développement.
Quand ce n’est pas l’exil, c’est la révocation qui sanctionne la compétence insoumise. C’est ce qui est arrivé à feu Mentouri quand le Cnes, sous sa présidence, poursuivait sa mission d’évaluation de l’état économique et social du pays en faisant prévaloir la rationalité scientifique sur la raison politique.
On ne peut pas avoir le confort d’un monopole qui nous dispense de l’épreuve de la concurrence, et la reconnaissance qui, elle, ne peut être consacrée que par le pluralisme. Au lieu de réclamer le mérite décerné, peut-être vaut-il mieux revendiquer les conditions d’une reconnaissance méritée.
La compétence, ce n’est pas le système de cooptation ; c’est la démocratie.