Par : Mustapha Hammouche
)
Cela fait bien une décennie que le pays vit au rythme des émeutes, quartier après quartier, village après village, région après région. Ce qui a changé, depuis quelques jours, c’est que, pour la première fois, l’on assiste à une révolte nationale simultanée.
Alors que les signes de malaise et de désespérance s’accumulaient depuis son avènement, le régime, verrouillant l’une après l’autre toutes les voies d’expression contestataire structurée, il concevait ses propres formules de légitimité : taux record de participation électorale, plébiscites brejnéviens…
La technique des “quotas” et l’arme de l’agrément réduisaient l’opposition politique à un rôle de figuration choisie. La vie sociale était contrainte au monopole de l’UGTA, syndicat officiel et la vie associative réduite à un réseau de comités de soutien. La société civile, choisie elle aussi, et faite de syndicats et d’associations maison, répondait, comme la classe politique, à une logique d’arrangement “rente contre soutien”. Toutes les expressions structurées et autonomes sont vouées à la répression. De l’article 144 bis du code pénal dont la presse a fait les frais à l’interdiction de fait des syndicats autonomes et au matraquage des médecins, des instituteurs et des professeurs, jusqu’à la révision de la Constitution qui réduisait le gouvernement à une collection de ministères, le régime n’a fait que traquer l’initiative, y compris dans les institutions.
L’état d’urgence est, depuis bientôt deux décennies, résolument maintenu comme ultime recours contre l’expression politique ou sociale. Pendant qu’il cultivait l’intolérance contre les formes des revendications démocratiques, le pouvoir s’employait à éteindre dans la précipitation, les foyers de protestation spontanée qui s’allumaient chaque jour quelque part, cédant, ici, le goudronnage d’une route, consentant, là, à livrer un quota de logements sociaux, ou arrêtant et jugeant, là-bas, les émeutiers. Le gouvernement avait bien conscience de n’écouter plus que les violences quand, après avoir répondu aux émeutes de Diar Echems par des relogements, il avertissait, après coup, que ce n’est pas par la violence qu’on obtiendrait des avantages ! La politique de réconciliation nationale, vécue pour ce qu’elle est, une concession à la capacité de nuisance islamiste, avait entre-temps, produit son effet pédagogique. Alors que les “repentis” jouissaient du blanchiment de l’argent du terrorisme, les autorités promettaient la prison aux harragas.
La corruption rentière des opinions et l’étouffement de celle qui n’adhère pas au modèle rentier ont eu raison de la contestation organisée. Il n’y a plus de place que pour la forme la plus incivique des contestations : l’émeute anarchique.
Dans le discours lu par son conseiller devant la conférence nationale sur “la politique sectorielle de prise en charge de la jeunesse”, en 2007, le président de la République appelait “nos jeunes à prendre en charge leur destin en jouant un rôle actif dans le développement de leur pays et de s’organiser de manière à devenir de véritables acteurs du changement”. Depuis, quelque chose a-t-elle été faite en ce sens ?
N’est-ce plutôt la pratique du pouvoir qui a homologué l’émeute comme ultime et unique voie de dialogue politique et social ?