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L'attitude de la Libye suscite la méfiance des Tunisiens

Tunis Envoyée spéciale - Griffonné à la va-vite sur un morceau de carton, un slogan se distinguait des autres, mercredi 19 janvier, dans la manifestation qui a rassemblé à Tunis, la capitale, plusieurs centaines de personnes dans un climat très calme. "La Tunisie aux Tunisiens. Non à l'intervention étrangère", pouvait-on lire.

La France, au coeur d'une folle rumeur qui lui prêtait l'intention, au plus fort du soulèvement tunisien, de débarquer des troupes armées à Bizerte, une ville sur la côte nord, aurait pu être interpellée. Mais la première source d'inquiétude, ici, reste d'abord la Libye.

Depuis les déclarations de Mouammar Kadhafi, au lendemain de la chute de l'ancien président Zine El-Abidine Ben Ali, le 15 janvier, le sujet est pris très au sérieux.

"La Tunisie vit désormais dans la peur", avait souligné le dirigeant libyen, dans un discours relayé par l'agence de presse Jana. "Des familles peuvent être attaquées et massacrées dans leurs lits, et les citoyens dans la rue tuent comme s'il s'agissait de la révolution bolchevique ou américaine", avait-il affirmé avant d'ajouter : "A quoi cela sert-il ? A renverser Zine El-Abidine ? Ne vous a-t-il pas dit qu'il s'effacerait dans trois ans ? Soyez patients pendant trois ans et vos enfants resteront en vie."

La "leçon" du "Guide de la révolution" a été perçue comme une menace à peine voilée. "Cette inquiétude est légitime, observe l'économiste Mahmoud Ben Romdhane, membre du parti Ettajdid (ex-communiste), car il détient des leviers de pression."

Pour beaucoup, la réaction du chef de l'Etat libyen pourrait ne pas se limiter aux aspects économiques mais prendre la forme de représailles directes, avec l'envoi d'armes et de mercenaires. Prenant la parole à l'aéroport de Tunis-Carthage, le président du Réseau euro-méditerranéen des droits de l'homme, Kamel Jendoubi, de retour en Tunisie le 17 janvier après un exil de dix-sept ans en France, avait lancé : "Kadhafi risque de mettre le paquet pour créer le chaos en Tunisie. Il ne faut surtout pas qu'il déstabilise le pays."

L'inquiétude est partagée. "Il suffirait qu'il ferme sa frontière et cela poserait un grave problème économique pour la Tunisie", dit-on de source diplomatique américaine. "Si j'étais tunisien, mon principal souci, ce serait la Libye", acquiesce un diplomate occidental.

L'ancien président tunisien, si l'on en croit son ambassadeur à l'Unesco, Mezri Haddad, démissionnaire quelques heures avant sa chute, "a sollicité l'aide de la Libye pour qu'elle intervienne".

L'arrestation d'Ali Seriati, le chef de la garde présidentielle de M. Ben Ali, à Ben Gardane, près de la frontière tuniso-libyenne, a renforcé les craintes de ceux qui dénoncent la présence massive, de l'autre côté, de fidèles de l'ancien chef de l'Etat réfugiés sur un "territoire sûr".

Combien seraient-ils ? Plusieurs centaines, assurent certains. A posteriori, l'hommage appuyé de l'ex-chef de l'Etat tunisien à son homologue libyen, dans l'un des discours prononcés avant sa fuite, pour le "remercier" d'avoir proposé d'accueillir les jeunes chômeurs tunisiens sur son sol, a été réinterprété comme un message de soutien, presque un code, entre les deux dirigeants.

"Ce qui s'est passé en Tunisie, analyse Souhayr Belhassen, la présidente de la Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH), c'est la chute du mur de Berlin dans le monde arabe, avec des conséquences partout."

Comme en écho, Amr Moussa, secrétaire général de la Ligue arabe, réunie mercredi soir à Charm-El-Cheikh, en Egypte, sur le développement économique et social des pays arabes, est revenu sur le sujet. "Ce qui arrive en Tunisie, a déclaré M. Moussa, (...) n'est pas sans rapport avec les sujets discutés lors de cette réunion : le citoyen arabe en est arrivé à un niveau d'exaspération jusqu'ici inégalé."

Pour Mme Belhassen, cette préoccupation affichée est à double tranchant : "Cela révèle l'irréversibilité de la révolution tunisienne mais également la véritable haine qu'elle suscite, notamment en Libye." L'Europe et la France, conclut-elle, "devraient ouvrir les yeux sur ce danger".

Forte, selon les estimations les plus optimistes, de 45 000 hommes, l'armée tunisienne, devenue populaire depuis la chute de l'ancien régime, apparaît plus que jamais comme un rempart aux yeux de la population.

Bien que mobilisée pour protéger les sites sensibles de la Tunisie depuis le départ de M. Ben Ali, notamment dans la capitale, elle se serait gardée, cependant, de dégarnir sa frontière dans le Sud-Est.

Isabelle Mandraud

Le premier conseil des ministres de l'après-Ben Ali

L'ancien président Zine El-Abidine Ben Ali - dont 33 membres de la famille auraient été arrêtés au cours des derniers jours - envisageait de rentrer de son exil saoudien. Il en aurait été dissuadé par le premier ministre, Mohammed Ghannouchi, avec qui il se serait entretenu par téléphone, a révélé Najib Chebbi, un opposant devenu ministre.

Jeudi 20 janvier, le premier conseil des ministres post-Ben Ali devait se réunir. La veille au soir, quatre postes étaient cependant toujours vacants après la démission d'autant de ministres. Par leur geste, ils entendaient protester contre le maintien de huit anciens responsables du Rassemblement constitutionnel démocratique, le parti-Etat de l'ancien régime, aux postes clés du gouvernement.

Article paru dans l'édition du 21.01.11

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