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la communauté international est responsable de ce qui se passe au maghreb.

Si vous ne lisez pas trop la presse, si votre seul mode d’information est le journal de 20 heures ou les flashs radio du matin, vous ne saurez probablement pas de quoi je parle quand je dis : « Ce qui s’est passé à Sidi Bouzid, c’est important. ». Et je ne pourrai pas vous en vouloir, parce que personne ne vous parle de ce qui est sûrement l’événement le plus important de ces vingt dernières années dans le bassin méditerranéen.

Depuis maintenant trois semaines et l’immolation par le feu d’un jeune vendeur à la sauvette [en], Mohamed Bouazizi, à qui la police avait confisqué ses produits, la révolte gronde en Tunisie. Partie de Sidi Bouzid, ville sans histoire du centre du pays, plus connue pour son taux de chômage spectaculaire que pour quoi que ce soit d’autre, les manifestations et rassemblements de foules commencent à gagner la destination de plage préférée des Français, dans son ensemble, jetant les bases d’une révolte qui, si elle arrive à toucher toute la population tunisienne, pourrait changer la face d’une nation qui ne vit qu’à moitié depuis vingt-trois ans. Depuis l’accession au pouvoir de son président, Ben Ali, et de ses multiples « réélections ».

La Tunisie, à part Djerba, Nabeul, Hammamet, le club Mickey où beaucoup d’entre vous ont passé un été ou deux, c’est aussi une économie « florissante », basée sur une classe moyenne assez importante et alimentée par une surconsommation générale. Quand on se balade dans les rues de Tunis, sur les bords de mer de Sousse ou dans la zone commerciale du Lac Palace, sur la route de la Marsa ou de Sidi Bou Saïd, il est difficile de réaliser que le fruit est pourri de l’intérieur. C’est parce que les Tunisiens font de leur mieux, depuis des années, pour garder la face. Derrière ces sourires, cette hospitalité, et cette joie de vivre communicative, la réalité est tout autre. Dans un pays qui compte autant de policiers que la France pour une population six fois moins importante (sic), un droit basique, la liberté d’expression, est bafoué chaque jour. Les événements qui secouent la Tunisie depuis trois semaines en sont un exemple criant.

La fortune de quelques-uns fait le malheur de tout le reste d’une population

La révolte qui s’organise (et que certains comparent déjà à celle qui, en Roumanie, a mis à terre le régime Ceaucescu, [en]) est le fruit d’une politique d’abandon d’une grande partie du pays par un gouvernement qui veut avant tout contrôler son image et ses relations extérieures. Là ou le littoral et le tourisme sont fortement subventionnés, vitrines qu’ils sont du boom économique et social tunisien, le reste du pays est laissé à l’abandon. Comme dans beaucoup de républiques bananières d’Afrique, la fortune de quelques-uns fait le malheur de tout le reste d’une population. Sauf qu’ici, les grands groupes industriels et commerciaux sont presque tous trustés par l’entourage, la famille et les proches du président Zine El Abidine Ben Ali.

C’est cette situation, un taux de chômage chez les jeunes diplômés impressionnant, et un bâillon perpétuel posé sur toute voix tentant de s’élever contre le régime en place, qui ont créé la poudrière à laquelle le suicide de Mohamed Bouazizi vient de mettre feu. Ce qui est en train de se passer est historique parce que, pour la première fois, les Tunisiens se soulèvent pour un ras-le-bol général. Ce qui est en train de se passer est historique parce que, pour la première fois aussi, le gouvernement semble dépassé. S’appuyant sur la répression, comme à son habitude, le premier réflexe de Ben Ali a été de faire de cette révolte un événement invisible, instrumentalisé par les « ennemis de la Tunisie ». Pas de média nationaux pour couvrir les évènements, pas, ou peu de médias internationaux, où, comme à leur habitude en Tunisie, intimidés ou étroitement surveillés. Contrairement à l’Iran l’année dernière, il semblerait que la chanson de Gil Scott Heron se retrouve ici confirmée. This revolution will not be televised. [vidéo]

Les informations, elles, arrivent par Internet. Par les comptes Twitter et surtout Facebook de milliers de Tunisiens qui partagent, sans relâche, des vidéos des manifestations, des rassemblements et de la répression. Là encore, le gouvernement tente d’endiguer le flot d’images pour ne pas écorner la sienne. Que ce soit par des articles sur des médias contrôlés « commentés » par des faux intervenants, ou par un blocage pur et simple des accès internet de la population depuis quelques jours, ou pire, l’accès forcé aux boîtes mails et aux comptes Facebook de centaines d’activistes et d’opposants au régime, la chape de plomb que l’on tente de poser sur ces mouvements populaires est pesante. Anonymous, rassemblement d’« hacktivistes » bien connus pour leur attaque ayant mis hors-service Amazon.com et Paypal.com, punis pour avoir censuré et empêché les paiements destinés à Wikileaks en décembre dernier, ont maintenant tourné leur force de frappe vers les organes de censure d’Internet tunisiens.

Le silence de la communauté internationale et des médias

Tout cela se passe à deux heures d’avion de Paris, dans un pays où vous aviez déjà peut-être prévu de passer vos prochaines vacances. Dans un pays où la communauté internationale laisse une classe dirigeante corrompue et avide de gain personnel faire sa loi et renier à sa population ses droits les plus basiques, parce que la petite Tunisie est une amie de longue date. Un pays où mes parents sont nés et où, même si je suis aujourd’hui français, mes racines courent encore profond. Le fait même que je sois parcouru d’une angoisse palpable en appuyant sur le bouton « publier » du blog en dit long sur les méthodes et la situation en Tunisie. La peur des représailles pour dire ce que l’on pense dépasse les frontières. Même dans ce confortable salon du 9ème arrondissement.

Ce qui importe plus que tout aujourd’hui, c’est que cette révolte à huis-clos ne le soit plus. Que les efforts et les cris des Tunisiens se fassent entendre pour que, lorsque la répression dure arrivera (et elle arrivera), Ben Ali et ses méthodes ne puissent laisser libre cours à leur violence à l’abri des regards indiscrets. Que le poids du regard du reste du monde pèse sur les épaules du gouvernement et donne des ailes aux opposants. Ce qui importe plus que tout aujourd’hui, c’est de prendre tout cela au sérieux, parce qu’il en va de la survie d’un pays, d’une nation, de sa population.

Nous sommes en train de vivre un moment historique, et il me parait impensable que les principaux médias français ne s’en fassent pas l’écho. Il me paraît inimaginable que France 2, TF1 ou M6 ne soient pas en alerte permanente pour des événements qui secouent un pays qui a donné à la France une partie non négligeable de sa population. Un peuple entier est en train de se libérer. De se lever et de reprendre le contrôle de sa destinée. Un peuple qui en est là aujourd’hui parce que la France coloniale s’est mise sur son chemin, il y a de cela un siècle.

Et il faudrait faire comme si de rien n’était ?

Pour information, donc, vous trouverez ci-dessous toute une série d’article exposant au mieux la situation en Tunisie (Merci NaddO_). Informez-vous. Soyez au courant, ne restez pas insensibles :
How a man setting fire to himself sparked an uprising in Tunisia, The Guardian
This week in the Middle East, The Guardian
Tunisia’s inspiring rebellion, The Guardian
TUNISIA: Dependence on Europe fuels unemployment crisis and protests, LA Times
La jeunesse défie le président Zine el-Abidine Ben Ali, France 24
Sidi Bouzid trouve des soutiens jusqu’à Tunis, Jeune Afrique
Des manifestations contre le chômage secouent la Tunisie, L’Express
Tunisie : la crise sociale qui s’étend est le revers de la bonne santé économique, Le Monde
« Les Tunisiens, fatigués d’un pays tenu par quelques familles », Rue 89
Tunisia uprising vs Iran election aftermath. Similarities and differences, par Octavia Nasr, éditorialiste libanaise

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