Quand on apprend que c’est le Département du Renseignement et de la Sécurité (DRS), qui, se substituant à la justice, intervient pour enquêter sur des scandales financiers impliquant de hauts fonctionnaires et par ricochet, de manière directe ou indirecte, des ministres, cela laisse penser qu’il s’agit vraisemblablement d’une manœuvre politique mettant en prise deux camps au sein d’un pouvoir en désaccord.
Les observateurs parlent d’un affrontement entre, d’une part le gouvernement actuel, représenté par le président Bouteflika et ses lieutenants, et d’autre part une partie de l’armée et son bras actif le DRS.
Bouteflika ne représente-t-il plus alors l’homme du consensus, dès lors que toute cette opération sous-tend une campagne de déstabilisation visant à l’affaiblir en s’attaquant à ses plus proches ministres ?
On est tenté de répondre par l’affirmative, eu égard aux multiples indices qui ressortent de la crise actuelle en Algérie traduisant un malaise dont, en vérité, les prémices remontent bien au début du troisième mandat de Bouteflika.
En effet, depuis un moment, le courant paraît-il ne passe plus entre le président et le patron du DRS, « Toufik », alias Mohamed Mediène. Ce dernier, excédé par le comportement de Bouteflika, aurait décidé de mettre le holà à un président fin tacticien qui chercherait à neutraliser l’armée par le truchement de diverses actions et décisions politiques.
Ainsi par exemple, la « volonté » de Bouteflika de renforcer et de contrôler le corps de la police nationale est perçue comme une tentative de contrecarrer l’armée- particulièrement Toufik- en créant un contre poids à celle-ci.
Par ailleurs, la présence de plus en plus visible du frère du président Saïd Bouteflika dans l’aréopage de la présidence (ilse fait discret ces derniers temps) et ses velléités politiques « dynastiques », participent également à détériorer la relation entre le locataire d’El Mouradia et le patron du DRS.
Enfin, signe apparent du coup froid entre les deux hommes, Bouteflika a séché le 5 juillet son rendez-vous annuel au ministère de l’intérieur où il tient d’habitude son traditionnel discours de fête nationale.
Avertissement ou rupture ?
Le 13 décembre, la presse nationale faisait échos de l’enquête du DRS sur les attributions des marchés de l’autoroute est-ouest, un projet qui relève de la responsabilité du ministre des transports, Amar Ghoul, placé par Bouteflika.
Cette affaire devait annoncer une série de révélations sur d’autres scandales financiers. Le 13 janvier, le DRS déclenche en effet une opération « mains propres » contre de hauts cadres de la Sonatrach, première entreprise nationale, dirigée par le ministre de l’énergie et des mines, Chakib Khelil, lui aussi installé à ce poste clé par le président. Et ce n’est pas fini. Selon certaines sources, la prochaine cible des limiers du DRS serait l’autre pilier du gouvernement, le ministre des affaires étrangères, Mourad Medelci.
Par ailleurs, les choses se gâtent sérieusement pour le gouvernement sur le plan social avec la multiplication des grèves et la grogne populaire qui enfle. L’importance mobilisation des algériens autour de l’EN de football témoigne de la capacité des « services » à mobiliser les foules, une démonstration de force que Bouteflika a bien comprise.
Toute cette agitation au sommet de l’Etat étalée sur la place publique – fait exceptionnel venant d’un pouvoir d’habitude si discret-, montre bien qu’il s’agit d’une mise en garde énergétique en direction d’un président quelque peu « capricieux », et que l’armée, particulièrement Toufik, qui au départ a été favorable au troisième mandat de Bouteflika, n’exclut pas la possibilité de s’en séparer si besoin.
Qui sera le prochain président ?
Si l’armée et le DRS devaient in fine passer à l’acte et se séparer de Boutelika, qui sera alors son successeur ?
Certainement un homme de « consensus », capable de mettre tout le monde d’accord, aussi bien dans le milieu politique que dans celui des affaires. L’actuel premier ministre, Ahmed Ouyahia serait la personne sur laquelle miserait l’armée pour s’acquitter de cette « mission ». Il est bien vu par les décideurs, connait parfaitement les rouages du pouvoir en Algérie et sa présence dans le gouvernement a été quasi « imposée » à Bouteflika. Il a remplacé Belkhadem pour appliquer un programme de « ré-algérinisation » de l’économie algérienne.
Le nom de Abdelkader Bensalah, le président du Conseil de la Nation, circule aussi comme étant un candidat potentiel. De même que, mais sans trop de conviction, les noms des deux anciens premiers ministres, Mouloud Hamrouche et Sid Ahmed Ghozali sont cités.
Bouteflika contre-attaque
Selon nos informations, acculé par les pressions qu’exerce sur lui le DRS, le locataire d’El Mouradia a ordonné la création d’une « commission sécuritaire autonome », composée de plusieurs magistrats et procureurs civils et militaires en vue de rouvrir certains dossiers et affaires restés en suspens ou bâclés à leur époque. «Ces dossiers que Bouteflika veut rouvrir, c’est du lourd», nous dit notre source, qui a requis l’anonymat. Il s’agirait, selon notre source, de plusieurs affaires d’assassinats menées durant la décennie noire et qui avaient ciblé des personnalités nationales, à l’instar de feu Mohammed Boudiaf ou encore du Général Fodil Saidi.
Fruit du hasard ou manœuvres en coulisses, le coup de projecteur que Bouteflika menace de braquer sur la période trouble de la décennie noire, coïncide curieusement avec la décision de Washington de faire figurer l’Algérie dans liste des 14 pays accusés de « soutenir le terrorisme ». Cela fait craindre effectivement un retour sur l’affaire du « qui tue qui », à laquelle, paradoxalement, Bouteflika lui même a tenu à mettre un terme avec son projet « de réconciliation nationale ».
En tout état de cause, seul l’avenir nous dira jusqu’où les uns (Bouteflika et ses ministres), comme les autres (Toufik et le DRS), sont capables d’aller pour montrer qui décide en Algérie. Wait and see
RAF