Par : Arab Chih
Dès les premières heures de la matinée, la place des Martyrs est complètement cernée par la police. Sa grande esplanade, elle, est totalement barricadée par des barrières et des policiers.
Première marche après la levée de l’état d’urgence, énième violation en Algérie du droit des citoyens à manifester. Moins de 48 heures après la publication de la décision au Journal officiel, les policiers ont durement empêché, pour la quatrième fois en un mois, une manifestation initiée par l’opposition. Et, comme avant la levée de l’état d’urgence, le même dispositif sécuritaire impressionnant est encore une fois déployé par les autorités pour empêcher l’action des partisans de la Coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNCD), qualifiés par le ministre des Affaires étrangères, il y a quelques jours sur Europe 1, de “minoritaires”, à battre le pavé de la rue algéroise. Et, comme si cela ne suffisait pas, l’on a mobilisé une nouvelle fois quelques jeunes désœuvrés et, nouvelle trouvaille, même une flopée de filles des rues. Deux d’entre elles, dont une enceinte, se baladaient au milieu des manifestants, les provoquant et les narguant, pendant que d’autres insultaient copieusement certaines figures de la CNCD.
Dès les premières heures de la matinée, la place des Martyrs est complètement cernée par la police. Sa grande esplanade, elle, est totalement barricadée par des barrières et des policiers. Des groupes de policiers à côté de leurs camions prenaient position çà et là tout le long de l’itinéraire que devaient prendre les marcheurs. Le décor était ainsi planté : même sans l’état d’urgence, le régime algérien n’entendait pas laisser l’opposition investir la rue au risque de voir se réaliser sur la terre algérienne un scénario à la tunisienne ou à l’égyptienne. Le satisfecit exprimé par les Français et les Américains suite aux mesures prises lors du dernier conseil lui a-t-il donné des ailes ? Probable.
Et, à peine les partisans de la CNCD ont-ils eu le temps, vers 10 heures, de prendre à défaut le dispositif sécuritaire, à quelques pas de la mosquée Djamaâ El-Kebir, qu’une nuée de policiers intervient pour les pousser énergiquement vers le trottoir. Encerclés entre des 4X4 stationnés sur le bord de la chaussée, les militants du changement, parmi eux Saïd Sadi, entonnaient leur slogan “Algérie libre et démocratique”. “On n’est pas des criminels, nous avons le droit de marcher”, s’époumonait une jeune fille. “Où est la levée de l’état d’urgence de Bouteflika ?”, s’est exclamé le président du RCD pris en sandwich par des policiers le repoussant violemment avec leurs boucliers.
“Ce n’est pas vrai, ils vont le tuer, laissez-le passer”, criait un homme d’un certain âge à la face des policiers avant de s’adresser, apitoyé, à Saïd Sadi : “Veux-tu qu’on te ramène de l’eau ?” Dans ce cafouillage indescriptible, le leader du RCD a réussi à grimper sur le toit d’un véhicule de police en faisant avec ses doigts le V de la victoire. Des “Pouvoir assassin” fusaient de la masse des manifestants. Les policiers interviennent énergiquement en traînant avec une rare violence Saïd Sadi et un de ses gardes de corps. “Vous n’avez pas honte de vous attaquer à Saïd Sadi”, s’écriait avec une voix larmoyante une femme. Scandalisé par la brutalité policière, un homme d’un certain âge vociférait : “C’est pire que l’état de siège. La police n’est pas au service du peuple. En 1994, c’était nous qui vous protégions contre les terroristes et maintenant vous vous retournez contre nous. Vous êtes des amnésiques”.“Ils ont pris Saïd Sadi”, hurlait Mohcine Bellabès. Les manifestants tentaient de passer à travers l’essaim de policiers qui les ont encerclés mais rien n’y fit. Ils n’avaient que leur voix pour bombarder leurs “anges gardiens” de leurs mots d’ordre “Le peuple veut faire chuter le régime”, “Algérie libre et démocratique”... tout en entonnant le fameux chant patriotique des révolutionnaires d’hier “de nos montagnes… se sacrifier pour la patrie est préférable à la vie”. Le député Mohamed Khendaq, qui essayait de protéger son président, a fait les frais de cette intervention musclée de la police. Ayant reçu quelques coups, il a perdu connaissance et a été évacué vers l’hôpital.
“Allez, boutez-les tous hors d’ici”, crie un officier à ses éléments. Avec une rare force, Ali Yahia Abdenour, Saïd Sadi, Arezki Aït Larbi et un groupe de partisans ont été repoussés vers la rampe de la Pêcherie. Les accès de la rampe étant bouchés, en haut et en bas, par les policiers, les figures de proue de la CNCD sont retenues sur une partie de l’escalier, qui est une véritable porcherie, sentant fort l’odeur âcre de l’urine. Très malade, le vieil Ali Yahia refusait de faire de déclaration. “Allez-y faire parler les policiers”, recommandait-il.
Un jeune islamiste en djellaba s’égosillait devant les caméras : “On n’en veut pas de ce système et il tombera immanquablement. Peuples libyen, tunisien et égyptien, sachez que nous sommes avec vous”.
En haut, sur la chaussée, les partisans de la CNCD tentaient, par intermittence, de former des rassemblements qui sont vite dispersés par les policiers qui les repoussaient du côté de l’APN. “Ayant senti un piège, nous avons résisté à la charge des policiers”, assurait Me Fetta Sadat. En effet, c’est de ce côté-là qu’est arrivé le groupe de jeunes gens qui brandissaient des portraits de Bouteflika. Dans une ambiance de stade, ils sautillaient et chantonnaient, entre autres refrains, des “Allahou Akbar, charika gadra”, tout en reprenant cette fois-ci encore le fameux “Le peuple veut du cannabis”. Un contre-manifestant arborait une pancarte sur laquelle était écrit “Les Algériens sont des partisans de Bouteflika et ne veulent pas d’une Coordination des intéressés”. Sur l’autre trottoir, les manifestants, eux, sont étouffés par les policiers.
“C’est grave, Alger, capitale du pays, est devenue une houma”, s’indignait un manifestant. Un vieux, s’adressant à un policier qui le sommait de déguerpir, se rebiffe, “emmenez-nous en prison ou jetez-nous à la mer. Ceux d’en face (les contre-manifestants, ndlr) vous les protégez et nous, vous nous chargez”. Commentaire d’un autre vieux non loin de lui : “Ils sont payés yal hadj”. Sollicité pour commenter la levée de l’état d’urgence décidée par le chef de l’État, M. Chentouf du PLD assure : “C’est une mesure bidon, une tromperie”. Que pense-t-il de l’action de la CNCD ? “C’est une réussite dans la mesure où le pouvoir a mobilisé tout ce dispositif policier pour nous empêcher d’organiser notre marche. Qu’il respecte le droit de manifester et ce sont tous les Algérois qui vont sortir dans la rue”. Face aux médias, Saïd Sadi a lancé cette phrase pleine de détermination : “Nous serons ici autant de fois qu’il faudra jusqu’à ce que le peuple algérien puisse marcher librement dans son pays et faire en sorte à ce qu’il puisse choisir librement et démocratiquement ses dirigeants”.