MARCHÉ DE L’INFORMEL
Des membres du gouvernement auraient été photographiés en train de négocier l’achat ou la vente de devises au square Port-Saïd d’Alger.
Seule l’activité illégale et parasitaire sous-tendant toute forme de violence paie en Algérie? L’Etat est-il à ce point incapable d’assainir la situation sociale? Il y a un grand risque qu’en cédant devant les groupes de pression, de surcroît mafieux, le gouvernement leur livre le pays sur un plateau en argent, le pays aux lobbies et à différentes mafias. Le silence de l’Etat est la prime offerte à ce type de délinquance en col blanc depuis ces dernières années. Plus on agit hors du cadre légal, plus les pouvoirs publics cèdent et reculent. L’impuissance du gouvernement devant les caïds du commerce informel illustre bien cette tendance invariable depuis quelque temps. Ces barons, partisans du commerce de bazar, narguent et défient toutes les réglementations et lois régissant l’économie. Qui sont-ils ces «intouchables» auxquels l’Algérie est insidieusement livrée pieds et poings liés? Et, pourtant, il n’y a pas si longtemps, le Président Bouteflika a souligné la détermination de l’Etat à protéger l’économie nationale des pratiques parasitaires et de la fraude.
Le Premier ministre, Ahmed Ouyahia, a reconnu mercredi dernier l’existence d’une mafia financière qui a pris en otage l’économie algérienne. Les seigneurs politico-financiers, les barons de la contrebande, les caïds du marché parallèle étouffent l’économie nationale sur fond d’une complaisance inavouée.
Ces nouveaux maîtres de l’import-import, produits de l’impréparation et de l’ouverture incontrôlée à l’économie de marché, ne cessent de se renforcer et de tendre leurs tentacules à travers toutes les institutions de l’Etat, en s’appuyant sur la fraude et la corruption généralisées, conjuguées à la déliquescence de l’Etat.
Cela se produit alors que l’économie nationale est exposée aux fluctuations du prix du baril de pétrole. Des membres du gouvernement auraient même été filmés et photographiés en train de négocier l’achat ou la vente de devises à la bourse clandestine du square Port-Saïd d’Alger. Cette haute place de la finance informelle, éclaboussant gravement les plus hautes sphères de l’Etat, reste immuable. Des centaines de millions d’euros et de dollars y sont achetées pour être expatriées.
«Des importateurs paient leur avance à leurs fournisseurs en Chine ou en Turquie ou ailleurs avec des devises achetées sur le marché parallèle, car avec le système de la lettre de crédit, ils ne peuvent plus verser par transfert libre les 30% d’avance habituels à leur fournisseur», avouent quelques informateurs anonymes, une pratique qui s’est accentuée ces dernières années.
L’instauration du crédit documentaire (Credoc) obligatoire dans tout paiement d’une importation a orienté vers le marché parallèle une partie des opérations financières des acteurs du commerce extérieur, industriels et importateurs. Il existe même un mouvement de plus en plus étendu d’évasions de capitaux, qui ont été soustraits au fisc, indique-t-on encore.
Sur un autre angle, selon certains experts économistes, «la loi de finances complémentaire de 2009 et la nouvelle loi de finances 2010 présentées comme une nouvelle approche tirant ses sources du patriotisme économique ne sont que de la poudre aux yeux». Car non seulement, cette loi ne mentionne rien sur le phénomène des monopoles, mais paradoxalement elle sert même à protéger les intérêts des monopolistes en instaurant une batterie de mesures visant à se barricader contre la concurrence étrangère et en instaurant un champ plein de marécages bureaucratiques, destiné à décourager le petit importateur algérien. Ces lois de finances laissent le champ libre sans les barrières de la concurrence aux barons de l’importation pour s’enrichir davantage.
Dans ce contexte bien précis, les mêmes experts s’interrogent sur le pourquoi de l’attitude du gouvernement algérien face à l’adhésion de l’Algérie à l’OMC (Organisation mondiale du commerce). Les émeutes violentes déclenchées à travers le territoire national, le 5 janvier dernier, sont perçues par les autorités comme des contestations purement sociales et dénuées de toutes revendications politiques. Le Premier ministre a précisé que le mouvement, déclenché suite à l’augmentation des prix de l’huile et du sucre, «a été fabriqué à 60% par ceux qui craignent la transparence économique».
Par ailleurs, n’a-t-on pas affirmé que la mafia politico-financière est représentée au sein même des institutions législatives et que les activités financières illicites sont monnaie courante au sein des hautes sphères de l’Etat? Ces démêlés opposant les puissants d’un côté comme de l’autre reflètent un ancien antagonisme qui demeure toujours le même. Pour certains, cette absence gravissime de légitimité appelle inéluctablement à un changement radical.
Mohamed BOUFATAH