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rank La Rue : «L’Etat doit respecter le droit au rassemblement»

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Le rapporteur spécial du Conseil des droits de l’homme des Nations unies sur la promotion et la défense de la liberté d’opinion et d’expression, Frank La Rue, a achevé sa mission de travail en Algérie en établissant un rapport préliminaire très critique présenté, hier, en conférence de presse au siège du PNUD, à Alger.


A l’issue des entretiens qu’il a eu avec différents interlocuteurs du gouvernement et de la société civile, M. La Rue a émis une liste de recommandations en vue d’une réelle garantie de la liberté d’opinion et d’expression en Algérie. Tout en exprimant sa satisfaction suite à l’annonce  d’une révision de la Constitution et de la dépénalisation du délit de presse, le rapporteur onusien relève que la liberté d’expression demeure l’otage d’une batterie de lois l’empêchant d’avoir une existence réelle et effective sur le terrain. Il exhorte les autorités algériennes à garantir une réelle ouverture en supprimant ces lois liberticides, notamment celles criminalisant l’acte de diffamation et celle imposant le silence sur ce qui s’est réellement passé durant les années de terreur. «La liberté d’expression est garantie par la Constitution, mais l’article 97 du code de l’information de 1990 menace d’amende et d’emprisonnement d’une année l’outrage à l’égard du président de la République. Aussi, l’amendement en 2001 du code pénal a élargi ces restrictions à d’autres fonctions de l’Etat», a souligné M. La Rue en notant que de nombreux journalistes ont été condamnés en vertu de cette loi pour diffamation parce qu’ils ont dénoncé des cas de corruption.  


«Il n’y a pas de réconciliation en imposant le silence»


«Je considère cela comme un acte d’intimidation clair contre la presse, ce qui a pour effet de mener à l’autocensure», indique M. La Rue, en notant qu’il faut décriminaliser le délit de diffamation. De plus, dit-il, «les poursuites pour diffamation ne doivent pas être utilisées pour étouffer les critiques à l’encontre des institutions de l’Etat et de leur politique». Outre cette loi, le rapporteur onusien exprime son inquiétude au sujet de l’article 46 de la charte portant réconciliation nationale : «La réconciliation ne peut être réalisée en imposant le silence. La paix doit être basée sur le droit à la vérité et le droit pour les victimes d’avoir accès à la justice. Dans le cas des disparus, ce droit a une importance particulière». «J’ai mentionné, lors de ma rencontre avec le président de la Commission nationale des droits de l’homme, l’importance de travailler en toute indépendance». M. La Rue, qui a été témoin au cours de son séjour de l’interdiction des marches et manifestations à Alger, a exhorté les autorités algériennes à autoriser cette forme d’expression, qui est un droit.


«J’exhorte le gouvernement à ne pas utiliser la violence et à respecter le droit aux manifestations»


«Je salue la levée de l’état d’urgence, mais j’avertis qu’il existe encore un cadre législatif restrictif qui viole la liberté d’opinion et d’expression. Il est important que le droit aux rassemblements pacifiques soit considéré comme une partie du droit à la liberté d’opinion et d’expression et, de ce fait, garanti et respecté par l’Etat», indique le rapporteur. Il relève que durant sa visite il a «pu observer plusieurs rassemblements pacifiques et une marche des étudiants, contenus par une présence massive des forces de l’ordre. Les marcheurs ont été violemment dispersés. J’ai reçu des témoignages que la violence a été utilisée contre les rassemblements pacifiques, notamment ceux tenus par les familles de disparus. Je presse et exhorte le gouvernement à ne plus utiliser la force contre des manifestants pacifiques et à reconnaître aux familles de disparus le droit  de s’exprimer publiquement».
Frank La Rue recommande l’amendement de la loi 91-19 qui exige une demande d’autorisation préalable de huit jours avant tout rassemblement en introduisant le régime déclaratif. Ceci et d’inviter le gouvernement à garantir le droit d’association en rendant plus facile la procédure de création d’organisations non gouvernementales.
Evoquant les atteintes et formes de pressions exercées sur la presse, le rapporteur s’offusque de l’arrestation à Oran, le 5 mars dernier, de 10 journalistes ayant couvert un rassemblement. Il relève en outre l’impossibilité que rencontrent les journalistes à accéder aux sources.  Ceci et de souligner que les règles d’éthique et de déontologie sont à établir par les professionnels des médias et non pas édictées par les autorités.


L’ANEP et le fisc, moyens de pression


M. La Rue précise aussi que la création d’un journal est un droit garanti pour tous et nulle autorisation ne doit venir restreindre ce droit. Autre point soulevé par le rapporteur spécial, celui de l’utilisation de la publicité par l’ANEP comme moyen de pression et de sanction sur les journaux. «A mon avis, une telle offre doit se faire selon les principes d’équité et de justice, en suivant des normes claires qui ne permettent pas de favoriser les journaux qui sont proches des positions du gouvernement. Je recommande à cet effet que le Parlement promulgue une loi qui transforme l’ANEP en une réelle institution indépendante, et lui détermine comment distribuer sa manne publicitaire», dit-il. Ce dernier relève aussi que l’impression qui se fait pour de nombreux journaux au niveau des imprimeries de l’Etat est un autre moyen de pression exercé sur les journaux. «Il est important que ces entreprises d’impression ne dépendent pas du ressort exclusif du gouvernement, mais deviennent des entreprises indépendantes.» L’autre type de pression dont souffrent deux quotidiens indépendants, en l’occurrence El Watan et El Khabar, pour leur position éditorialiste, souligne le rapporteur, est celui du redressement fiscal, «ces deux journaux ont subi 6 mois durant un audit en 2010», dit-il. Frank La Rue souligne en outre que le paysage médiatique en Algérie compte 80 titres, ce qui représente à son avis un problème, car de nombreux journaux ont été créés pour gêner les journaux critiques envers le gouvernement et créer de ce fait une sorte de faux équilibre. 

Le conférencier a par ailleurs appelé les autorités algériennes à ouvrir le pays à la presse étrangère et à faciliter les accréditations et octroi de visas aux journalistes étrangers. Evoquant la censure sur internet, le rapporteur a appelé à une libéralisation effective et à bannir toute forme de contrôle. Ceci et de relever une contradiction entre la loi contrôlant l’importation de livres et le fait qu’internet et les paraboles soient autorisés. «La censure exercée par le ministère de la Culture est une réminiscence du passé. La libre circulation des livres est un élément symbole de la liberté d’opinion et d’expression.» Dans sa conclusion générale, M. La Rue a tenu à souligner ceci : «J’ai souligné aux autorités algériennes que pour les jeunes générations, la logique du passé ne peut plus être utilisée pour freiner leurs espérances et limiter leurs libertés.» M. La Rue note que les jeunes aujourd’hui veulent et insistent sur leur désir d’avoir plus de liberté, de libre expression et d’opportunités de travail. «Permettez à la société d’atténuer la tension, à travers la liberté d’expression, y compris le droit au rassemblement pacifique.» Frank La Rue présentera son rapport de mission complet devant le Conseil des droits de l’homme de l’ONU en 2012. Ce rapport, qui n’a pas de caractère contraignant, est tout de même une évaluation objective sur la situation d’un pays et a une valeur morale. Le rapporteur se propose de revenir pour évaluer la suite donnée à ses recommandations.

Nadjia Bouaricha
 

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