Pénurie de médicaments récurrente, monopole de la distribution de médicaments par les importateurs-grossistes et insuffisance des incinérateurs de déchets médicaux et produits pharmaceutiques périmés perturbent depuis quelque temps déjà le secteur de la santé publique. Le président du Snapo revoit, dans un entretien accordé à El Watan Week-end, les failles du secteur du médicament.
- Depuis quand la pénurie de médicaments dure-t-elle ? Ce déficit est-il apparu progressivement ou y a-t-il eu un facteur déclenchant ?
Cette pénurie dure depuis presque trois ans. Elle a commencé lorsque Amar Tou a voulu faire un peu de ménage en refusant de signer certains programmes d’importation et en voulant réorganiser les choses d’une manière différente. Les conséquences ont été très rapides et les ruptures sont apparues de manière un peu trop brusque, à notre avis. La crise avait d’ailleurs provoqué le départ du ministre et son remplacement par Saïd Barkat. Depuis, le gouvernement a entrepris un certain nombre de mesures : élargissement de la liste des produits interdits à l’importation, interdiction du conditionnement, obligation des firmes étrangères d’investir dans l’industrie locale… Nous, nous pensons que le marché du médicament a été trop libéralisé, et une enveloppe de plus de 20 milliards de dollars ne peut laisser personne indifférent, ni les laboratoires étrangers ni les importateurs nationaux. Après plusieurs années à profiter d’un marché juteux, pensez-vous que les bénéficiaires de cette enveloppe vont laisser l’Etat algérien entreprendre ce type de réformes ? Nous constatons au contraire que l’Etat a de toute évidence perdu tout contrôle sur le marché du médicament ; il n’y a même pas un opérateur public pour rééquilibrer la balance ou des mécanismes capables de réguler le monopole détenu actuellement par le privé et les multinationales.
- Quels sont les médicaments concernés par la pénurie ?
Par exemple les corticoïdes buvables et injectables, les pilules contraceptives, les antalgiques, etc. Le problème c’est que nous assistons chaque jour à de nouvelles ruptures, y compris dans la production nationale. Ce qu’il faut dénoncer ce sont aussi les pratiques engendrées par ces ruptures : rétention de stocks et ventes concomitantes. On vous vend avec des produits dits «d’appel», et c’est à prendre ou à laisser, des produits invendables, des produits à date de péremption proche, des produits parapharmaceutiques tels que les compléments alimentaires. Le nombre de ces médicaments varie d’une semaine à une autre, en général, on peut parler d’une liste de 70 à 150 produits.
- A quoi est due cette pénurie ?
L’enveloppe annuelle consacrée à l’importation des produits pharmaceutiques est, de source officielle, de 2 milliards de dollars par an. Ce qui est totalement paradoxal avec la réalité du terrain. Tous les programmes présentés par les opérateurs sont signés, et l’enveloppe financière reste toujours la même ou augmente, alors pourquoi de telles ruptures ? Nous avons dénoncé certaines anomalies, à l’exemlpe du statut d’«importateur-grossiste» totalement contreproductif, puisque, si un importateur cumule l’activité de distribution, il va de soi que face à une demande de marché importante, il réserve toute son importation à sa propre société de distribution, d’où une situation d’exclusivité et de monopole, et ce, sachant qu’il existe 560 grossistes en Algérie. Un autre phénomène a été constaté lors de l’établissement de la liste interdite à l’importation. De nombreux producteurs ont exercé une pression pour que leurs produits soient interdits à l’importation et, par la suite, ils ont été incapables d’honorer leurs engagements et de satisfaire la demande nationale. Pire, des producteurs procédaient à l’enregistrement d’une trentaine à une quarantaine de produits, alors qu’ils en produisaient à peine une dizaine.
- En tant que représentant du Snapo, quelle solution préconisez-vous afin de remédier à ces perturbations ?
La solution est une production nationale forte et importante. De nombreux pays arabes s’autosuffisent à hauteur de 70 à 80%, et ça devrait être le cas chez nous. Seule l’industrie nationale peut mettre à l’abri notre pays de manière définitive face à ce problème qui perturbe fortement et depuis longtemps le marché du médicament. En contrepartie, l’Etat doit mobiliser tous les moyens pour l’épanouissement de l’industrie pharmaceutique algérienne et lui apporter toute son assistance. Il faut ainsi ouvrir la formation : le nombre de pharmaciens industriels formés ne répond guère aux objectifs tracés. Il faudrait atteindre au moins 70% d’autosatisfaction en 2014. Sans ressources humaines suffisantes et compétentes, l’industrie locale ne peut pas se développer. Parmi nos propositions pour la régulation du marché du médicament, nous suggérons la constitution de groupements de pharmaciens, ceci contribuera à lutter contre les pratiques dénoncées (ventes concomitantes, rétention de stocks, favoritisme des produits importés et blocage des produits fabriqués localement, etc.). Les groupements de pharmaciens existent pratiquement dans le monde entier, mais leur statut n’existe pas en Algérie. Les quelques groupements qui se sont constitués actuellement ont été obligés de choisir des formes juridiques (SARL, SPA,...) qui ne répondent pas vraiment aux objectifs qu’ils doivent atteindre. Ces groupements représentent la meilleure solution pour réguler, professionnaliser et moraliser ce secteur.
- La marge bénéficiaire des pharmaciens sur les produits n’a pas connu d’augmentation depuis qu’elle a été arrêtée par décret en 1998. Quelles sont vos revendications concernant ce point ?
Le décret n° 44 de février 1998 plafonnant les marges des médicaments est dépassé pour plusieurs raisons. Non seulement la marge moyenne des médicaments a diminué suite aux différentes et successives inflations et dévaluations du dinar, mais aussi la politique nationale du médicament a connu une évolution, pour ne pas dire des bouleversements. On parle maintenant de promotion du générique et de la production nationale. Mais ceci nécessite un mécanisme de prix adapté. Il faudra adopter des mesures spécifiques pour l’encouragement de cette politique. Or, le décret de 1998 est inflationniste ; il incite à l’augmentation des prix et pousse à l’utilisation par tous les opérateurs des produits les plus chers. C’est pour cette raison d’ailleurs que les médicaments importés auront toujours la préférence du marché et des opérateurs. Dans tous les pays du monde où l’on a voulu encourager le générique et le produit local, la première décision prise était la révision des marges bénéficiaires. Le dossier a été approuvé en mai 2008 par le Conseil du gouvernement, mais il est ensuite resté bloqué à ce jour dans les tiroirs des principaux décideurs. La seule objection qu’on avait émise au projet en question était la marge de 17%, car ce taux sera le coup de grâce à l’officine algérienne.
- L’incinérateur des déchets médicaux et produits pharmaceutiques périmés implanté à Constantine vient d’obtenir l’agrément des services de l’environnement. Les incinérateurs existant en Algérie sont-ils suffisants ?
L’incinération des médicaments non utilisés pose problème par manque d’outils et équipements adaptés. Actuellement, une société à El Harrach dispose de deux unités annexes à Boumerdès et Bordj Bou Arréridj, et une autre unité sera ouverte en juillet à Constantine. C’est bien, mais très insuffisant. Il y a certes des lois que nous devons respecter, mais le ministère de l’Environnement ne doit pas jouer uniquement au gendarme. Les professionnels ont besoin d’assistance et d’accompagnement. Nous tenons à dénoncer la pression et l’intimidation exercées par certaines directions de wilaya relevant de ce ministère, envers les pharmaciens qui détiennent des stocks de médicaments périmés en attendant leur destruction dans le respect de la réglementation. Ils font l’objet ainsi de visites d’inspection de la part de ces services et reçoivent des PV et des notifications officielles les menaçant de poursuites judiciaires et de taxation pour détention de produits périmés. La solution, c’est au moins un incinérateur dans chaque wilaya, avec un nombre plus élevé au niveau des pôles industriels. Certains déchets non incinérés peuvent avoir des conséquences néfastes sur la santé et l’environnement.
Bio express :
Né le 18 juillet 1962 à Skikda, Messaoud Belambri effectue ses études en pharmacie à Constantine. Il obtint son diplôme d’Etat en pharmacie en 1986 en faisant partie de la première promotion des pharmaciens de cette université. Le président du Snapo occupa le poste de pharmacien en chef de 1986 à 1989 à l’hôpital de Aïn Beïda.
Depuis 1991 à ce jour, il gère sa propre officine dans la même wilaya. Messaoud Belambri intègre le Snapo en 2000, et fut élu président du syndicat en 2003 et pour un second mandat en 2007.
Commentaires
Les informations sont pertinentes,en réalité,les grossistes sont d'une grande valeur pour le rendement d'une société par rapport au commerce du pays,ce qui implique un savoir faire