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A quand le printemps algérien ?

 

 

Adel HERIK

Salah-Eddine SIDHOUM

 

« L’Histoire, ce n’est pas seulement les faits, mais les leçons que l’on tire », disait un auteur. Hélas, chez nous, certains, pour ne pas dire beaucoup de compatriotes, ne semblent avoir tiré aucune leçon de notre Histoire contemporaine, faite de sang, de larmes et d’injustices multiformes.

Alors que les peuples du Maghreb et du Machrek s’éveillent et que les « djoumloukiates » des pantins-dictateurs vacillent et s’écroulent l’une après l’autre, l’Algérie, « bilad el Mou’djizates » prise en otage depuis 50 ans par une oligarchie antinationale, sans foi ni loi, continue de baigner dans un statu quo insupportable.

Le régime illégitime, nullement inquiet de la faillite sanglante dont il est le principal artisan, s’enferme dans une glaciation suicidaire pour le pays et la Nation. Ni le délabrement des institutions artificielles dont il s’est entouré, ni la déliquescence sociale, ni la violence politique ne semblent ébranler la conscience (si conscience il y a) de la voyoucratie, alors que le pays est au bord du précipite et qu’un tsunami populaire pointe à l’horizon.

Situation actuelle de la société et de la «classe politique»

Nous appartenons à cette catégorie d’intellectuels et politiques  qui refusent les fausses solutions et, encore plus, les honteuses compromissions. Devant la gravité de la situation, nous devons de ce fait faire preuve d’honnêteté et de pédagogie envers notre peuple, longtemps trompé et considéré par les troubadours de la «boulitique» comme un bendir qu’il fallait chauffer pour les besoins de la cause. Sans concessions ni complaisance, nous devons poser les véritables problèmes de fond et proposer des solutions réalistes pour une authentique sortie de crise.

La société, trahie par ses élites, est plongée dans une profonde léthargie. Désarticulée par la «boulitique» destructrice imposée depuis l’indépendance par les imposteurs et autres aventuriers érigés, par la force des armes, en tuteurs du pays, elle semble avoir perdu tous ses repères. C’est une société rongée par la gabegie, la corruption et l’opportunisme. C’est le retour aux réflexes tribaux négateurs de l’idée même de nation, au repli sur soi-même, avec la « kfaza » comme seule « valeur émancipatrice ». Les valeurs morales qui avaient fait la force et la grandeur de notre société durant la nuit coloniale et lui avaient permis de résister à l’opération d’anéantissement social et culturel programmée par le colonisateur se sont pratiquement évaporées. Toutes les strates sociales sont atteintes par cette gangrène.

Une grande partie des élites, fidèle à ses trahisons historiques, comme en 54, a été rapidement phagocytée par l’ignorance au pouvoir.  Les cinq décennies d’étouffement par le pouvoir en place de toute velléité de construction d’une alternative réellement démocratique ne sont pas seules responsables de cette stérilité. Nous devons aussi dénoncer haut et fort les honteuses compromissions (est-ce une tare congénitale de l’intellectuel algérien ?) d’une bonne partie de cette « élite », ce qui a privé notre peuple de cette lumière nécessaire pour éclairer la longue route ténébreuse dans laquelle l’ont engagé ceux qui ont confisqué son indépendance et ses libertés. En tant qu’anciens enseignants universitaires, et à titre d’exemple, nous connaissons tous, les moyens peu élogieux utilisés par ceux qui se faisaient parachuter aux fonctions des différents départements de notre malheureuse université. La décence et la morale ne nous permettent pas de les énumérer. «Pour grimper dans leur carrière professionnelle, ils descendaient l’échelle des valeurs humaines », dira un romancier algérien de cette faune d’alphabètes. Amara Rachid, Benzerdjeb, Lotfi, Farès Yahia, Benbaâtouche, Houhou, Damerdji, Aït Idir et tant d’autres intellectuels qui avaient déserté les bancs de l’Université pour répondre à l’Appel de la Patrie et tomber au champ d’honneur doivent se retourner dans leurs tombes. Le résultat affligeant de cette compromission entre un pouvoir porteur d’idées mortes et une «élite » porteuse d’idées mortelles, pour reprendre un penseur algérien, est là devant nos yeux, se passant de tout commentaire.

Les quelques rares compétences dignes s’exileront,  pour beaucoup, ou seront marginalisées, pour celles restées au pays. Rares sont celles qui continueront à agir frontalement, en électrons libres, contre cette fumisterie institutionnalisée.

La classe dite politique actuelle, résultat, en grande partie, d’une fécondation in vitro dans les laboratoires de la police politique, essaie vainement de donner le change par la gesticulation, la vocifération et l’invective à l’encontre du système qui l’a procréée. Sans vision politique sérieuse et sans ancrage populaire, elle se complait dans le rôle qui lui a été assigné, celui de simple vitrine « démocratique » et de faire-valoir d’un régime antinational.

Les partis politiques issus de la supercherie démocratique de 89 ont montré leurs limites et leur faillite. Reproduisant les réflexes et les pratiques malsaines du parti-administration qui a usurpé en 62 le glorieux sigle du FLN, ils constituent de véritables mini-partis uniques. Présidents à vie, culture du clanisme et de l’exclusion, refus de tout débat démocratique interne : telles sont les « vertus » de ces partis de l’opposition à l’algérienne. Toute voix discordante qui s’aventure à réclamer débat et transparence est rapidement étiquetée « agent du DRS » et exclue, à la manière soviétique. Baignant dans une suffisance crasse, ils s’autoproclament détenteurs exclusifs de la démocratie pour les uns, de l’Islam ou de l’identité pour les autres. Et ce sont ces prétentieux petits chefaillons qui distribueront les labels de démocratie, de degré de croyance religieuse ou d’Algérianité sélective aux Algériens. Gare aux contestataires, car l’excommunication est de rigueur !!

L’oligarchie militaro-financière, détentrice unique du pouvoir réel, agit derrière d’épais  rideaux et délègue le pouvoir apparent à un ramassis de potiches et de mercenaires politiques supposés « gérer » le pays et discuter avec une société dite civile factice – il serait plus juste de parler de « société servile» – que ce pouvoir a lui-même préfabriquée dans ses laboratoires.

Conscients de leur illégitimité, les tenants du pouvoir ont de tout temps mené une politique clientéliste qui leur a permis de se constituer au fil des ans une base sociale nullement négligeable, grassement entretenue par une généreuse distribution de la rente pétrolière. Des « dji’anines » (affamés), toutes couches sociales confondues, allant du professeur d’université au planton de mairie en passant par le beggar, ce  nouveau bourgeois arriviste de cette Algérie des miracles, constituent la façade « populaire » du système, qu’il agite lors des  campagnes électorales et référendaires, des visites « présidentielles » et autre carnaval fi dechra. De vieilles méthodes éculées dignes de Kim Il Sung, Ceausescu et  Mugabe.

La police politique est  omniprésente dans tous les secteurs de la vie socio-politique. C’est elle qui désigne le président du pouvoir apparent, le chef du gouvernement, les « ministres », les secrétaires généraux de ministères, les PDG d’entreprises nationales, les recteurs et doyens d’universités, les chefs d’une très grande partie des  formations politiques, avec comme  seuls critères de « recrutement » le larbinage,  l’allégeance et l’aplat-ventrisme.  Elle est partout : dans les ministères, les administrations, les associations professionnelles et de quartier, les marchés, etc. Elle « accrédite » les « correspondants » des rares chaînes satellitaires qui s’aventurent dans notre pays, tout comme elle recrute sur les bancs des universités les futurs mercenaires politiques qui mettront leur intelligence au service de l’ignorance au pouvoir et qui seront chargés des « sales besognes ». Ses antennes sont présentes dans toutes les ambassades et déploient une multitude d’agents chargés d’infiltrer notre émigration. Son rôle n’est pas de protéger le pays et la Nation du danger extérieur mais de surveiller la population et terroriser les opposants. C’est, pour ainsi dire,  l’«opposition réelle», sauf que son rôle est de s’opposer aux forces vives du peuple qui seraient susceptibles de remettre en question le régime illégitime. C’est la véritable colonne vertébrale du système politique algérien.

La presse privée issue de la supercherie démocratique de 89 s’avérera être avec le temps une vaste imposture intellectuelle. Elle s’autoproclamera pompeusement la presse « la plus libre du monde arabe ». De nombreux journalistes dignes deviendront les otages de véritables potentats, ex-chefs des BSP de la Pravda locale du temps de l’unique…. « Parti unique ». Durant la décennie de  sang et de larmes, certains titres joueront le rôle de la « Radio des Mille collines » rwandaise, attisant les feux de la discorde. De jeunes et brillants journalistes, prisonniers de cet enfer médiatique, nous diront par la suite comment, où et par qui étaient fabriqués les faux communiqués sécuritaires, les listes de citoyens accusés  d’affaires de « terrorisme » que les escadrons de la mort se chargeront par la suite de faire disparaitre. Tout comme nous connaissons le rôle joué par ces mêmes titres dans les graves et parfois sanglants conflits de gangs au sein du système (procès du général Benloucif,  affaire Adami, éviction de Betchine, déstabilisation de Zeroual, qui tentait de trouver une solution politique à la crise, tentative de déstabilisation de Bouteflika en 2004, affaire de Sonatrach, affaire de l’autoroute Est-Ouest, etc.). En un mot, cette presse privée, faussement qualifiée d’indépendante, n’a jamais été rien d’autre qu’une « presse de combat », pour reprendre Hadi Chalabi, au service d’une oligarchie qui lutte pour sa survie, après avoir déclaré la guerre aux « gueux ». Son rôle principal est de se livrer, sous les ordres des « cerveaux » et autres « intellectuels organiques » de la police politique, à une opération continue d’intoxication et de brouillage afin d’empêcher la population de comprendre les vrais enjeux et de trouver la vérité salvatrice qui lui permettrait de désigner clairement les responsables de tous ses malheurs passés et présents. Les différents titres de cette presse ont le choix de prêter allégeance à l’un ou l’autre des clans qui se partagent le pouvoir et de bénéficier de sa protection, l’enjeu étant toujours la taille de la part du gâteau qui revient à ce clan et, dans les périodes critiques, la survie même du clan. On a vu ainsi des hommes au fait de leur puissance balayés de la scène après une campagne médiatique bien orchestrée. Une fois le ménage fait, dans le plus pur style mafieux, avec parfois des cadavres que tout le monde s’empresse d’oublier, les mercenaires de la plume retournent à leurs tâches quotidiennes d’intoxication, afin de préserver ce qui constitue le dénominateur commun à tous les clans : le système politique mafieux lui-même, dont le seul ennemi est le peuple algérien.

Le changement est-il possible ?

La situation est peu reluisante. L’effondrement des valeurs morales, la décomposition sociale, la structuration mafieuse rampante, la déliquescence du système politique faisant fonction d’Etat, la corruption généralisée, le délabrement économique, la guerre meurtrière qui perdure, le discrédit de la classe dite politique et la couardise de la classe dite intellectuelle ne poussent certainement pas à l’optimisme. Une question nous vient d’emblée à l’esprit et nécessite une réponse franche et honnête : peut-on réaliser, dans de telles conditions  et avec ces fausses vitrines, un véritable changement du système politique ?

Certains de nos compatriotes, fatalistes, ne manqueront certainement pas de nous dire que ce tableau peu réconfortant de la situation et cette gangrène avancée rendent fort aléatoire tout effort prospectif et vain tout espoir d’éveil des consciences et de construction d’une alternative démocratique. Mais est-ce là une raison suffisante pour se cantonner dans l’expectative? « Les seuls combats qu’on risque de perdre sont ceux qu’on n’ose pas engager », disait un intellectuel et homme d’Etat tchèque.

Il existe de par le monde maints exemples de pays détruits par la bêtise humaine et reconstruits grâce à la volonté et la persévérance de leurs enfants dignes et honnêtes. Le peuple algérien est tout aussi capable qu’un autre d’accomplir cette tâche de reconstruction. Encore faudrait-t-il pour cela  une prise de conscience sincère de la part de la véritable élite nationale, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays, afin d’insuffler une nouvelle dynamique de changement, libérée des cercles de la compromission et de la trahison, capable de mobiliser la population et de bousculer le « désordre » établi.

Aujourd’hui, plus qu’à toute époque passée, l’environnement régional et international est propice à la naissance et au développement de cette dynamique de changement pacifique  de système politique et de passage à une nouvelle ère, celle de la démocratie véritable et de l’État de droit. Le brusque réveil des peuples du monde arabe a en effet introduit une nouvelle donne dans le jeu fermé des dictatures, épaulées jusque là sans réserve par les puissances occidentales.

L’année 2011 s’est ouverte avec le soulèvement du peuple tunisien  contre le dictateur Ben Ali et son régime honni. Ce fut le début d’une série de mouvements populaires sans précédent dans l’histoire de notre région. Le peuple égyptien se mobilisa à son tour et chassa Moubarak, mettant ainsi fin à 30 années de tyrannie, de prédation et de corruption. Prenant exemple sur ses deux voisins, le peuple libyen sortit de sa torpeur qui durait depuis 41 ans et mit un terme au régime de son président psychopathe autoproclamé Roi des rois d’Afrique.  Au Yémen, au  Bahrein et en Syrie, le mouvement populaire en faveur de la liberté, de la dignité et de l’État de droit prend chaque jour plus d’ampleur, poussant les pouvoirs illégitimes et tyranniques en place dans leurs derniers retranchements.

Mais le peuple algérien, trahi par ses élites, livré à lui-même, reste coi, n’ayant pas encore réussi à vaincre les blocages et les peurs, résultats de plusieurs décennies de manipulation et de violence imposée par le système en place.

On assista certes en début d’année à la naissance d’un mouvement de contestation populaire, dans la foulée de la révolution tunisienne, mais le régime et ses officines réussiront (mais pour combien de temps ?) à en atténuer les effets en suscitant des pseudo-mouvements dits du changement et de la démocratie pris en charge par des « opposants » du pouvoir et dans lesquels se sont engouffrés des opportunistes de tous bords et d’ex-apparatchiks en rupture de ban. La presse aux ordres participera amplement à cette campagne. Malheureusement, des militants sincères et crédules, peu au fait du grenouillage boulitique, participeront inconsciemment à ce carnaval fi dechra. Nous connaissons tous le résultat final de ce folklore politique. Tous les samedis, ils seront la risée de notre « ghachi » des quartiers populaires. Le régime poussera le cynisme et la dérision jusqu’à enfermer ces « opposants » dans des salles de cinéma pour réaliser leur « révolution » et leur « changement » virtuels. Ayant circonscrit le danger, le pouvoir passera ensuite à l’offensive en arrosant abondamment la population avec une pluie de mesures qui cibleront en priorité le « tube digestif ».

La révolution populaire libyenne et la chute de Kadhafi finiront cependant par mettre en évidence la panique qui commence à régner à bord et l’ampleur de la trahison de ce pouvoir qui n’a à aucun moment dénoncé les horribles exactions commises par ses frères-jumeaux contre leurs peuples et qui a accueilli les enfants du dictateur libyen déchu pour des « raisons humanitaires ». Aujourd’hui, le pouvoir illégitime, dépassé par les évènements, doutant de la loyauté de ses puissants protecteurs occidentaux,  ne sait plus à quel saint se vouer pour éviter l’effet de contagion. Trois dictateurs, chefs de files et symboles de régimes tyranniques, illégitimes, corrompus, prédateurs, arrogants et sûrs de leur impunité, qui – fait unique dans l’histoire mondiale contemporaine – s’apprêtaient à laisser le pouvoir « républicain » et « démocratique » à leur descendance, ont été chassés en quelques mois, comme de vulgaires malpropres, par des populations en colère et révoltées par tant de félonie et de trahison. Cela s’est passé à nos portes, chez nos voisins et frères. Il y a certainement là, pour les clans au pouvoir, de sérieuses raisons de s’inquiéter.

L’expérience des peuples de notre région qui se sont soulevés contre la tyrannie nous montre, malheureusement, que ces clans sont incapables d’engager un sérieux travail de remise en question et d’autocritique, s’accrochant bec et ongles au pouvoir jusqu’à la dernière minute. La mort de dizaines de milliers de leurs compatriotes et la destruction du pays ne pèse rien devant leurs personnes et leurs intérêts les plus étroits. Aveuglés par la puissance de leurs armées et le déploiement tous azimuts de leur police politique et de leurs réseaux clientélistes aux multiples ramifications, confortés par l’appui passé des puissances occidentales, plus soucieuses de la protection de leurs intérêts et de la stabilité des régimes que de la promotion des valeurs démocratiques, les clans au pouvoir choisissent de semer la mort et la désolation plutôt que de céder face à la pression des « gueux » qui les encerclent de toutes parts…

Les révolutions en cours dans le Maghreb et le Machrek ont mis en évidence plusieurs faits importants :

  1. La faillite des partis politiques classiques. Tous ont rejoint le train de la révolution en marche. Certains ont eu  l’outrecuidance  de tenter de récupérer les révolutions, voire d’aller s’asseoir à la table du pouvoir agonisant pour parler au nom de la rue, avant d’être rappelés à l’ordre par la jeunesse révoltée.

 

  1. Ces mouvements populaires n’ont pas eu besoin de « leaders » – les fameux zou’amas si chers à nos contrées – pour déclencher la révolution. Ce fut une action collective à laquelle toutes les couches sociales ont participé sans élitisme aucun.

 

  1. Malgré la politique systématique de déstructuration socio-politique entamée par les différents régimes illégitimes issus de coups d’Etat durant des décennies, les sociétés sont restées vivaces, politisées et ont été en avance sur leurs classes politiques sclérosées, enfermées dans la logique de l’intrigue et des calculs politiciens en vue d’un hypothétique partage du pouvoir.

 

  1. Le rapide ralliement des élites intellectuelles saines à ces mouvements populaires, ce qui leur a donné un incontestable souffle qui a ébranlé des régimes qui se croyaient éternels.

 

  1. Le rôle provocateur  voire criminel de la base sociale de ces régimes illégitimes par l’intermédiaire de leurs baltaguias, chebihas, milices, mercenaires  et autres gangs, selon les pays, téléguidés par les polices politiques.

A la lumière de ces données nationales et internationales, il apparaît clairement que les partis politiques actuels sont totalement disqualifiés aux yeux des citoyens pour mener une dynamique populaire de changement, encore moins un « leader » quelconque de ces formations factices.

Seul un large front de tous les Algériens sans exclusion…

Maintenant que le jeu de ces pseudo-partis d’opposition est éventé et leur solidarité de fait avec le pouvoir démontrée, il est plus que jamais urgent pour tous les patriotes sincères à l’intérieur et à l’extérieur du pays de se regrouper et d’unir leurs forces. Seul un large front où se retrouveront tous ceux et toutes celles qui croient en une Algérie nouvelle, débarrassée de l’oligarchie antinationale qui la vampirise, régie par un État de droit, dans une république démocratique et sociale dans le cadre de nos valeurs et traditions, telle que voulue par les braves qui donnèrent leur vie pour que l’Algérie devienne indépendante, pourra redonner confiance au peuple algérien afin qu’il entame sans tarder le combat pacifique pour la liberté et la dignité. Il est impératif de sortir de ce cercle vicieux d’un POUVOIR SANS LEGITIMITE et d’un PEUPLE SANS SOUVERAINETE.

L’initiative prise par un groupe d’intellectuels et de militants de tous bords de créer, le 19 mars 2011, le Front du Changement National fut un premier pas dans la bonne direction. Le texte de la déclaration de création du FCN souligne que « ce large front ne pourra pas émerger sans la mise en place d’un compromis politique entre toutes les volontés intellectuelles, politiques et citoyennes, sans exclusion. Les grandes lignes de ce compromis sont :

  1. Le changement RADICAL et PACIFIQUE du régime politique.
    1. Notre indéfectible attachement à notre ALGERIANITE dans sa triple dimension (islamité, amazighité, arabité). Aucun des fondements de notre identité forgée par l’Histoire ne pourra, dans un quelconque but, être instrumentalisé ou monopolisé par une quelconque partie à des fins politiciennes, que celle-ci soit au pouvoir ou dans l’opposition.
    2. Le respect total de la dignité et des droits de la personne humaine, dans leur intégralité.
      1. Le respect des libertés individuelles et collectives, sans distinction de race, d’origine, de sexe ou de confession.
      2. Le respect de la souveraineté populaire : le peuple est la seule source de pouvoir et de légitimité.
      3. Le respect de la démocratie comme moyen de gestion politique et de régulation pacifique de la société et le rejet de toute forme de violence, que ce soit dans l’expression ou la gestion des conflits qui traversent la société.
      4. L’alternance au pouvoir à travers le suffrage universel.
        1. L’institution militaire, libérée de l’oligarchie qui l’a prise en otage depuis la fin de la guerre d’indépendance, doit devenir une institution républicaine dont la mission sera clairement définie par la Constitution issue de la volonté populaire. Aucune institution de l’Etat, quelle qu’elle soit, ne peut et ne doit se prévaloir d’être au-dessus de la souveraineté du peuple, seule source de légitimité. »

Il est important de souligner que la seule mission de ce front – creuset de tous les Algériens sans exclusion qui œuvrent pour un véritable changement et l’instauration d’un Etat de Droit – sera d’accompagner le mouvement populaire dans toutes ses étapes jusqu’à l’élection d’une Assemblée Constituante qui tracera les contours de l’Algérie nouvelle. Il n’est pas question qu’il s’érige en un nouveau parti unique qui se substituera à la volonté souveraine du peuple algérien, tel que cela fut malheureusement le cas en 1962. Il s’auto-dissoudra de facto une fois sa mission accomplie.

Les leçons à tirer du Printemps Arabe

Quelles leçons les forces du changement peuvent-elles tirer de l’expérience des peuples de la région qui nous ont précédés dans la voie de la dignité ? Les écueils qui doivent être évités et qui ont été mis en évidence par ces expériences sont :

-     Erreur de la désignation de vieux apparatchiks dans le gouvernement, le conseil consultatif et autres instances de gestion de la phase transitoire, objet de suspicion populaire et de blocage du processus de transition. Les exemples de l’Egypte et de la Tunisie sont assez clairs. Les défections des personnalités importantes du régime les plus honnêtes et leur ralliement au mouvement populaire dès le début de la contestation donne cependant un regain de vigueur et de crédibilité à cette dernière, mettant en difficulté la minorité jusqu’au-boutiste corrompue qui s’accroche au pouvoir. La pression des forces populaires – en particulier la jeunesse instruite – ne doit toutefois pas cesser, afin d’éviter la récupération du mouvement et son dévoiement vers une opération de replâtrage de l’ancien régime et de remise en selle de son personnel politique.

 

-     Eviter de tomber durant la phase transitoire dans les « chikayates » idéologiques et partisanes paralysantes.

 

-     Rôle primordial des médias et de la communication, en général. Les forces qui encadrent le mouvement populaire doivent utiliser de manière judicieuse et sur une grande échelle tous les moyens de communication modernes : internet, téléphone, télévision, etc. Il est en effet primordial de diffuser en continu et en temps réel, dans le pays et le monde entier, des images du mouvement, afin de prévenir toute opération d’étouffement de la part du pouvoir et contrer son appareil de propagande bien rôdé et auquel de larges pans de la population sont malheureusement sensibles. La machine d’intoxication des pouvoirs dictatoriaux est très puissante et sophistiquée. Elle peut jouer sur les cordes sensibles telles le nationalisme et la religion afin de discréditer les organisateurs et le mouvement de contestation dans son ensemble.

 

-     Rôle décisif de l’armée : selon que cette dernière adopte une attitude de neutralité ou de soutien au mouvement populaire ou au contraire se range franchement du côté du système en place et se lance dans une répression sanglante du mouvement populaire, le changement se déroulera de manière pacifique et sans trop de dégâts matériels et humains (Tunisie, Égypte, Yémen) ou se transformera en confrontation armée débouchant sur une véritable guerre civile (Libye, Syrie). Dans le cas où l’armée choisit la répression sanglante du mouvement populaire, le résultat sera, in fine, en sa défaveur et elle perdra tout, car le monde de 2011 n’est plus celui des années 90 où on assassinait et torturait à huis-clos.

Ce dernier point nous semble mériter de plus amples développements, tant il est clair que l’armée, par son attitude, constituera l’élément essentiel qui permettra au changement de se dérouler de manière pacifique.

Quelle est la position de l’armée par rapport à la dynamique populaire de changement pacifique dans notre pays aujourd’hui? Nous ne devons nous faire aucune illusion au sujet de ceux parmi les officiers supérieurs qui ont choisi leur camp depuis le coup d’État de janvier 92. Mais qu’en est-il des éléments sincères au sein de cette institution? Il est clair que ces derniers ne bougeront que s’il existe une pression populaire dans la rue (ainsi que l’ont montré les révolutions populaires en Tunisie et en Égypte). Dans la phase de préparation et de maturation de la dynamique de changement pacifique que nous traversons actuellement, il est primordial que le discours du FCN soit un discours rassembleur de toutes les volontés sincères et un appel à tous ceux au sein de l’institution militaire qui ont à cœur l’avenir de leur pays et de leur peuple à prendre leurs responsabilités. Il est important de dissocier les éléments intègres – qui sont nombreux – de l’oligarchie qui les tient en otage.

Pour ce qui est du rôle futur de l’armée, une fois que la souveraineté aura été rendue au peuple et que l’oligarchie en place aura été défaite, il devra être clairement défini, comme précisé dans l’Appel du 19 mars 2009, et ce afin d’éviter tout malentendu quant à un appel du pied aux militaires:

L’institution militaire débarrassée de son oligarchie militaro-financière et de la police politique, aura pour mission de préserver la quiétude publique et l’unité nationale. Durant la phase de transition, elle aura une occasion historique de démontrer sa vocation républicaine à se maintenir hors de la gestion politique du pays et préservera sa neutralité politique jusqu’à l’échéance finale qu’est la mise en place d’institutions démocratiquement élues.

Les étapes de la phase de transition

Les grandes lignes de la phase de transition jusqu’à l’élection d’une Assemblée Constituante, telles qu’esquissées dans le texte de création du FCN sont :

  1. la mise en place d’un Gouvernement de transition : qui aura pour missions :

a)   la gestion des affaires courantes.

b)   la préparation de l’élection d’une Assemblée Constituante, seule voie légitime de restitution au peuple de sa souveraineté pleine et entière.

  1. la mise en place d’un Conseil  Consultatif : Il sera constitué de personnalités politiques et scientifiques moralement irréprochables, connues pour leur intégrité et leur probité. Son rôle sera d’accompagner et conseiller le gouvernement de transition.

Dès son installation, le  gouvernement de transition proclamera :

  1. La levée de toutes les contraintes légales et administratives sur les libertés individuelles et collectives.
  2. La dissolution des assemblées préfabriquées (Assemblée dite Nationale et « Sénat »).
  3. L’indépendance de la justice.
  4. La dissolution de la police politique.
    1. La liberté de création de partis politiques et de syndicats libres et le droit d’accès  aux médias publics pour toutes les opinions politiques.
    2. La libération de tous les détenus politiques et d’opinion, la levée immédiate de toutes les mesures de tous ordres concernant les condamnés pour ces mêmes délits, et la proclamation du droit de retour au pays de tous nos compatriotes réduits à un exil forcé.

Rejet de toute intervention étrangère

Un dernier point qui mérite d’être souligné et qui est d’une importance capitale est notre position claire et qui ne souffre d’aucune ambigüité par rapport aux interférences que le mouvement populaire pourrait subir de la part de certaines puissances occidentales désireuses d’orienter le cours des événements dans une direction qui soit conforme à leur stratégie de domination. En aucun cas nous n’admettrons l’intervention directe ou indirecte de ces puissances. Le meilleur soutien qu’elles puissent apporter au peuple algérien opprimé est de lever les appuis diplomatiques ou autres, au sein des institutions internationales, qu’elles offrent au régime illégitime en place et de respecter la volonté du Peuple. Dans ce cadre, il est important de souligner le rôle négatif de certains réseaux néocoloniaux Outre-Méditerranée qui s’appuient sur la minorité élitiste locale et la soutiennent. Ces réseaux ont leurs moyens d’information et de propagande, leur logistique et leurs relais « indigènes » sur place. Nous avons vu leur rôle durant la décennie de sang et de larmes et leur action médiatique dans la désinformation ou  la censure tout court, quant à la réalité du drame algérien. Et ce seront les mêmes que nous retrouverons dans leur rôle tout neuf de « défenseurs des libertés démocratiques » à Tunis, à la place Ettahrir du Caire ou à Benghazi.

Conclusion

Il est plus que certain que ce régime est en fin de cycle. C’est une évidence. Les révolutions du Machrek et du Maghreb risquent d’accélérer cette fin. C’est dire combien il est urgent – pour éviter les affres d’un changement non contrôlé dicté par la rue et donc violent – de faire émerger une véritable opposition représentative de tous les courants, sans exclusion aucune, porteuse d’une alternative de transition démocratique pacifique et crédible.  Une opposition, toutes tendances confondues, avec de véritables élites engagées, sans fil à la patte ni opportunistes, réunie autour de valeurs qui rassemblent le peuple sans exclusive. Une opposition « qui ne donnera pas dans le piège de jouer ses composantes les unes contre les autres, comme dans un passé récent », pour reprendre la réflexion d’un compatriote. Encore une fois, et nous ne nous lasserons pas de le répéter : aucun parti, ni courant, ni « leader » ne peut à lui seul mener cette dynamique du changement. Abane Ramdane  disait en 1956: « La libération de l’Algérie sera l’œuvre de tous les Algériens et non pas celle d’une fraction du peuple algérien, quelle que soit son importance ». Plus d’un demi-siècle plus tard, cette sentence est toujours d’actualité, s’agissant aujourd’hui de la reconstruction de notre pays détruit par cinq décennies d’illégitimité, de mensonges et d’impostures.

Les tenants – civils et militaires – du pouvoir mafieux qui dirige l’Algérie dans l’opacité et l’omerta doivent réaliser à présent que les Algériennes et Algériens dignes ont compris les véritables enjeux politiques et que leur silence n’est ni ignorance des réalités, ni soumission, mais souverain mépris. Nous leur disons : « Vous avez, et sans succès, usé et abusé de tous les stratagèmes. Vous avez transformé en moins de 40 ans ce pays aux potentialités humaines énormes et aux richesses incommensurables en un vaste gourbi de misère et de désespoir et placé près de la moitié de la population en situation de survie. Vous avez même réussi la prouesse d’hypothéquer l’avenir d’Algériens qui ne sont pas encore nés. Vous avez déclenché l’un des conflits internes les plus meurtriers de la fin du siècle dernier. Vous avez sacrifié des figures illustres qui ont façonné l’histoire de notre pays et déterré des cadavres politiques, pour tenter de sauver vos privilèges. En vain !

Le tribunal de l’Histoire a irrémédiablement et sévèrement condamné votre système. Regardez la réalité en face et soyez, un moment, lucides, le temps d’une courte réflexion. Revisitez l’Histoire. Que sont devenus tous les régimes qui ont fondé leur pouvoir sur l’injustice et le mépris de leurs peuples ? Que sont devenues hier toutes les dictatures sud-américaines ? Qu’est devenu l’empire totalitaire soviétique ? Qu’est-il advenu de la monarchie iranienne? Que sont devenus les Bokassa, Mobutu, Mengistu, Vidéla, Duvallier, Papadopoulos, Rédha Pahlavi, Ceauscescu, Pinochet, Salazar, Caetano, Stroessner, Marcos, Saddam et autres despotes qui avaient terrorisé leurs peuples ?  Que sont devenus aujourd’hui et plus proches de nous – et surtout de vous –  les Benali, Moubarak, Kadhafi et bientôt Abdallah Salah et Al Assad ? N’avaient-ils pas eux aussi la force des armes et de l’argent – et, pour certains,  même un peu d’intelligence ? Aviez-vous songé un seul moment au sort que leur a réservé  l’Histoire ? »

Nous demeurons convaincus que la solution à la crise nationale se trouve en Algérie, entre les mains des Algériennes et Algériens dignes qui se battent pour une Algérie de toutes et de tous, sans exclusion aucune. Une Algérie Etat de Droit. Une Algérie de dignité, de liberté et de solidarité entre citoyens. Nous ne devons compter que sur nos capacités et nos propres forces. Et elles sont grandes, pour peu que nous en prenions conscience.

Sommes-nous capables, tous ensemble, de relever le défi ?

L’Histoire, demain, implacable, nous jugera.

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