Edwy Plenel, directeur de Mediapart
Par : Koudil Salim
Edwy Plenel nous livre une opinion différente sur la France, l’histoire et le Printemps arabe.
Après une absence de presque 30 ans, Edwy Plenel a remis les pieds en Algérie hier matin. “je ne suis plus revenu depuis le début des années 1980”, affirme-t-il. Des retrouvailles qui ne pouvaient qu’être spéciales pour le directeur de Mediapart qui avait passé plusieurs années de sa jeunesse à Alger. Liberté l’a rencontré à l’hôtel El-Djazaïr (ex-Saint Georges), une heure et demie après l’atterrissage de son avion. Fidèle à son image, entretenue par ses apparitions sur les plateaux-télé, et évidemment accentuée par ses “frappes” journalistiques sur Mediapart, l’invité du Salon du livre d’Alger a abordé plusieurs sujets, touchant son pays, l’Algérie, les relations entre les deux pays et bien d’autres.
Sarkozy, le désamour
Connu pour son antisarkozysme, Edwy Plenel n’a pas dérogé à cette réputation. Très virulent envers le président français, il n’a pas caché son projet d’ici les élections présidentielles en hexagone. “je ferai tout pour que Sarkozy ne soit pas réélu.” Pour le directeur de Mediapart, “Sarkozy est le pire président qu’a connu la France depuis 1945”, tout en précisant “et non du pire régime”. Sans le dire ouvertement, l’ex-directeur de rédaction du quotidien le Monde regrette presque de n’avoir pas été sur le “terrain” lors de la présidentielle de 2007. “j’avais une expertise de Nicolas Sarkozy, mais je n’avais pas de tribune.” Son “journal” (il insiste sur ce terme, car il refuse de parler d’un site), Mediapart – lancé le 16 mars 2008 – n’était pas encore sur la scène médiatique. Son journal n’avait pas encore publié ses fameuses enquêtes, dont l’affaire Bettencourt, ou encore la plus chaude de l’heure, l’affaire Karachi.
L’“Ubunto” à la française
Comme il l’a rappelé lui-même, 2012 n’est pas uniquement l’année des élections françaises, “c’est aussi l’année du 50e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie”. Une date qui semble lui tenir à cœur. Profitant de son passage à Alger, il lance un appel : “avant la date du 17 octobre, je lance un appel pour sortir des guerres de mémoire.”
Une action à laquelle il a déjà donné un nom : “Ubunto à la française”, en référence à un concept utilisé en Afrique du sud après la chute de l’apartheid et le début des travaux de la commission “vérité et réconciliation”. “Je ne cherche pas de réconciliation officielle”, précise Edwy Plenel tout en lâchant, s’adressant aux opinions des deux pays : “n’ayons pas peur de la vérité sur nous, pour le meilleur et pour le pire.” La perception de l’étranger en France a été aussi l’un des sujets abordés. Il rappela ainsi que “plus de 80% des forces militaires” qui ont libéré la France lors de la seconde guerre mondiale étaient d’origine étrangère, “66% de ceux qui composaient les forces françaises de libération étaient des troupes coloniales et il faut leur ajouter 18% de la légion étrangère”. D’ailleurs, il a profité de l’occasion pour annoncer la parution “la semaine prochaine” d’un livre, Notre France, qu’il publie avec Farouk Mardam Bey et Elias Sanbar. sur la place des musulmans en Hexagone, le directeur de Mediapart est revenu sur la conception des gens de la laïcité et surtout de la loi de 1905 qui concernait la séparation de l’église et de l’état. Une “définition” avec laquelle, l’areligieux qu’il se définit n’est pas totalement d’accord. “cette loi, c’est la reconnaissance des protestants et des Juifs”, insiste-t-il, avant d’ajouter : “le laïcisme sectaire est à la laïcité ce qu’est l’intégrisme à la religion.”
“Le 89 arabe”
Concernant le printemps arabe, Edwy Plenel ne cache pas son enthousiasme. Les exemples tunisien et égyptien sont pour lui des évènements historiques d’une grande importance. Il les compare à ce qui s’est passé en France en 1789 et en Europe de l’est en 1989. L’un de ses derniers ouvrages, Le 89 arabe, aborde le bouillonnement qui touche toute la région. Un livre sous forme de dialogue avec l’historien Benjamin Stora, qu’on pouvait trouver au Sila. Plein d’espoir pour les “révolutions arabes”, et malgré “le mauvais exemple libyen”, le directeur de Mediapart affirme vouloir que le côté pacifique des manifestations soit la règle, en donnant l’exemple syrien et yéménite.
Il n’omettra pas de lancer un autre “vœu” dans lequel il affirme, sur un ton que certains n’hésiteront pas à appeler “utopique” : “Il ne faut plus parler au nom du peuple, il faut laisser parler le peuple.” Le rôle “ambigu” de certains médias dans tout le tumulte qui touche la région ne semble pas trop le déranger. En parlant d’El Jazeera, Edwy Plenel s’est contenté de la décrire comme une “agora publique” sans aborder le caractère belliqueux que beaucoup reprochent à la chaîne qatarie. Un “silence” surprenant de la part de quelqu’un qui avait déclaré il n’y a pas longtemps que “les médias ne sont jamais la cause, ils sont toujours la conséquence”. En revanche, le co-fondateur de Mediapart n’a pas tari d’éloges sur les réseaux sociaux et leur influence dans tout ce qui se passe dans le monde, surtout arabe. Il n’ira pas jusqu’à dire que c’est par facebook ou Twitter que les révolutions ont été ou seront déclenchées, “mais c’est un moyen”. D’ailleurs, dans Le 89 arabe, le dialogue entre lui et Benjamin Stora sur l’influence des réseaux sociaux est des plus intéressants. Ce n’était pas l’unique “controverse” entre les deux auteurs, et pour les “polémiques”, Plenel en est un spécialiste depuis presque trente ans.