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L’avocate de Khelifa accuse

Ajournements dans le traitement du dossier

 

Par : Lokmane-Khelil Samia

Anita Vasisht reproche à la fois à la justice algérienne, britannique et française de tergiverser dans le traitement de l’affaire Khalifa et soupçonne les gouvernements de ces pays d’empêcher son dénouement. Elle demande la conduite d’une enquête indépendante sur tout le dossier, à laquelle seraient associés des experts des trois pays.

Anita Vasisht semble aussi impuissante que son client. Elle attend, comme lui, depuis plus d’une année maintenant, que la Haute-Cour britannique entende Abdelmoumen Rafik Khelifa et prenne une décision définitive concernant son extradition vers l’Algérie. à la question de savoir si elle a le droit de saisir cette institution pour accélérer le traitement de l’affaire, elle dit qu’elle ne peut rien faire. “La programmation d’une audition est du ressort exclusif de la Haute-Cour”, répond-elle, un brin défaitiste. “Encore aujourd’hui, aucune date n’est avancée. Pendant ce temps, M. Khelifa est toujours incarcéré”, observe l’avocate. L’ancien milliardaire a introduit un recours auprès de la Haute-Cour, en avril 2010, aussitôt après la décision du Home Office de le renvoyer en Algérie.
Le ministère britannique de l’Intérieur ayant, à travers son feu vert, avalisé le verdict du tribunal de première instance, rendu dix mois auparavant. Mais depuis, un suspense intenable entoure le traitement de cette affaire par la justice britannique.
Arrêté en 2006 par la brigade économique de Scotland Yard, l’ex-golden boy ne connaît pas encore son sort. à Alger où il s’est rendu dernièrement, William Hague, secrétaire d’état au Foreign Office, a admis l’existence de lenteurs concernant l’examen du dossier. Il s’est bien gardé, toutefois, de donner l’impression que son gouvernement pourrait jouer un rôle dans son traitement et être éventuellement à l’origine des retards. “Je comprends que cette affaire s’est prolongée dans le temps. Mais l'affaire continue à évoluer à travers les tribunaux britanniques. Il ne serait pas correct de ma part de me prononcer sur le résultat probable”, a-t-il expliqué dans une interview à El Watan. Pourtant, selon Anita Vasisht, l’existence d’un deal entre les autorités algériennes et britanniques, en rapport avec la gestion du dossier, n’est pas du tout exclu. L’existence d’un tel arrangement semble corroboré par la lune de miel que vit le couple algéro-britannique actuellement.
Cette entente s’exprime à travers la signature de contrats de vente d’armement, une coopération étroite dans la lutte contre Al-Qaïda (qui comprend le renvoi en Algérie d’un certain nombre de nationaux impliqués dans des affaires de terrorisme en Grande-Bretagne), des projets d’investissements… Il y a quelques années pourtant, les rapports n’étaient pas aussi amicaux. Des câbles de WikiLeaks, rendus publics ces derniers mois, révèlent qu’en 2007 les responsables de l’ambassade du Royaume-Uni à Alger se sont plaints à leurs homologues américains de “l’hypocrisie” des autorités algériennes, qui, publiquement, réclament Khelifa, mais ne font rien pour obtenir son retour de Grande-Bretagne.
Andrew Henderson, qui était à l’époque ambassadeur à Alger, avait même inséré une mise au point dans la presse pour rectifier la date où il a reçu officiellement la demande d’extradition de Khelifa de la part du ministère algérien de la Justice. Il s’agissait, d’après lui, du 19 novembre 2007, alors que plusieurs mois auparavant Tayeb Belaïz, garde des Sceaux, annonçait que le dossier était entre les mains des Britanniques.
Anita Vasisht pense que, même aujourd’hui, le gouvernement algérien ne veut pas voir Khelifa de retour et fait tout son possible, avec l’aide de Londres, pour éviter son transfert. Paris serait également mise à contribution pour étouffer l’affaire. à ce sujet, l’avocate de Khelifa se dit interpellée par une déclaration récente de Ali Benouari, ex-ministre délégué au Trésor, qui a accusé ouvertement la France d’être derrière la banqueroute du groupe Khalifa. Il n’est pas le premier à incriminer Paris.
Mohamed Guernaout, expert financier et ancien cadre de la Banque d’Algérie, aurait, selon les câbles de WikiLeaks, révélé à l’ex-ambassadeur américain John Ford l’existence d’un “deal entre les dirigeants algériens et le renseignement français —sur la liquidation de la banque El Khalifa — pour laisser le champ libre aux banques françaises en Algérie”. L’avocate de l’ex-milliardaire se demande pourquoi les médias français, qui étaient si prompts à jeter l’opprobre sur le groupe Khalifa au début des années 2000 et à précipiter sa chute, se sont abstenus de relever les soupçons qui pèsent aujourd’hui sur l’implication du gouvernement français dans ce qu’elle considère comme une mise à mort. Elle s’interroge, également, sur le retard pris par la justice de ce pays à rendre son verdict, dans sa part du dossier. En Algérie, Me Vasisht relève l’existence de tergiversations identiques, à la Cour suprême où les dossiers de recours des individus condamnés à Blida en 2007 n’ont pas encore été examinés. “Quatre ans après le procès d’El Khalifa Bank, des décisions n’ont toujours pas été rendues”, observe l’avocate. Elle qualifie toute cette situation de “kafkaïenne”. à ses yeux, le parcours judiciaire cahoteux de l’affaire Khalifa en Algérie, en France et en Grande-Bretagne confirme les soupçons selon lesquels les politiques ont une prise sur le dossier.
Celui-ci est loin d’être, pour elle, le résumé d’un banal crime économique. Défendant la thèse du complot, elle reprend à son compte les propos récents de Abdelatif Benachenhou, qui était ministre des Finances au moment du démantèlement du groupe Khalifa, et qui aujourd’hui fait planer le doute sur les raisons qui ont conduit les autorités à procéder de la sorte. “Il n'est pas dans l'intérêt de l'Algérie de traîner des banques de cette réputation devant les juges sans motif d'accusation clair”, a-t-il affirmé il y a quelques semaines. Face à ce genre d’allégations, Me Vasisht pense qu’il est nécessaire d’ouvrir une enquête indépendante sur la genèse et la conduite de toute cette affaire qu’elle décrit comme “exceptionnellement complexe et politiquement sensible”. à son avis, cette investigation doit être confiée à des experts politiques en droit, dans le domaine bancaire et des droits de l’Homme, des trois pays impliqués dans le dossier.
S. L.-K.

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