Depuis plus d’une année existe une différence entre le cours du dinar sur le marché parallèle (plus de 140 dinars un euro) et la cotation officielle (un euro pour 100 dinars) soit un écart de plus de 40%. Le tarissement de l’épargne de notre émigration ou certains voyages ponctuels vers l’étranger, du fait de l’allocation devises limitée, souvent invoqués, ne sont pas les seules explications. Il existe d’autres raisons fondamentales.
Premièrement. La faiblesse de la production et la productivité du fait que 97/98% des exportations sont le résultat des hydrocarbures à l’état brut et semi-brut, les 2/3 % hors hydrocarbures fluctuant pour un montant dérisoire entre 900 millions de dollars et 1,5 milliard de dollars. Ces 2/3% sont constitués en majorité de produits semi finis issus eux-mêmes des hydrocarbures et déchets ferreux et non ferreux. Les importations couvrent 70/75% des besoins des ménages et des entreprises dont le taux d’intégration ne dépasse pas 10/15%.
On peut démontrer facilement que le taux de croissance officiel hors hydrocarbures de 5/6% a été permis pour 80% via la dépense publique et qu’il ne reste pour les entreprises véritablement autonomes créatrices de richesses pouvant évoluer dans un environnement concurrentiel mondial moins de 20% du produit intérieur brut. Les recouvrements de la fiscalité ordinaire de l’Algérie ont été de 10,76 milliards de dollars au 1er semestre 2011 et celle de la fiscalité pétrolière, hors Fonds de régulation des recettes (FRR) à 20,4 mds USD, (61,24% du budget de l’Etat), données de l’organe officiel l'APS citant la Direction générale des Impôts (DGI). Et tout dérapage rampant du dinar par rapport au dollar, les ventes d‘hydrocarbures étant reconvertis du dollar en dinars, gonfle artificiellement le fonds des recettes et voile l’importance du déficit budgétaire. Cet artifice d’écritures explique que malgré que la cotation du dollar et de l’euro n’évolue pas dans le même sens, souvent la Banque d’Algérie dévalue simultanément le dinar à la fois par rapport au dollar et à l’euro, ce dernier renchérissant les importations des produits également écoulés sur le marché national en dinars auquel la valeur finale, sans compter les couts des circuits de distribution, est amplifié par les taxes douanières calculés sur la valeur import en dinars.
Cette dévaluation rampante du dinar par rapport à l’euro gonfle donc la fiscalité hors hydrocarbures et contribue aussi à voiler l’importance du déficit budgétaire. Si on suppose une appréciation du dinar de 50% rejoignant, en tendance, les cotations des monnaies marocaines et tunisiennes le déficit budgétaire dépasserait largement 60% du produit intérieur brut, étant entendu selon la technique retenue de la loi de finances du cours plancher de 37 dinars un dollar le cours des hydrocarbures, la différence avec le cours du marché étant placée dans le fonds de régulation qui en serait réduit d’autant. Pour plus de transparence et un calcul rationnel du réel déficit budgétaire, il serait souhaitable d’établir la loi de finances en référence au cours du marché, moyenne annuelle et de supprimer le fonds de régulation.
Les réserves de change
Autre aspect lié à la rente : les réserves de change, moyen et non facteur de développement, ont été estimées à 56 milliards de dollars en 2005, 77,78 milliards en 2006, 110 milliards en 2007 à 138,35 milliards de dollars en 2008, à 147,2 milliards en 2009, à 157 milliards de dollars fin 2010 et à 175 milliards de dollars le 1er juillet 2011 toujours grâce à la rente des hydrocarbures. Comme le niveau de la dette extérieure à moyen et long terme estimée à environ 4 milliards de dollars au 31/12/2010 (principal et service de la dette) et la dette intérieure à moins de 1 milliard de dollar ont été épongés toujours grâce à cette rente, encore qu’il faille non pas se limier à la balance commerciale mais étudier la balance de paiements qui montre que le montant poste assistance technique étrangère (appel aux compétences supposant la dévalorisation du savoir interne) est passé de 4 milliards de dollars en 2004 à 11 milliards de dollars entre 2009/2010 et approchera 12 milliards de dollars fin 2011/2012.
Dernier point relatif à la rente : l’agence officielle APS, sans analyse, donne le 30 octobre un bilan florissant de la Banque Extérieure d’Algérie (BEA) de 32 milliards de dollars oubliant facilement que c’est la banque de Sonatrach. Il faudrait donc faire la part des choses entre le management stratégique de la BEA et les dépôts de Sonatrach qui représentent la majorité des fonds de la BEA. Dès lors, on peut établir un coefficient de corrélation entre la cotation du dinar et l’évolution du cours des hydrocarbures pour un taux d’environ 70%, 30% étant dues aux phénomènes spéculatifs et aux sections hors hydrocarbures bien que limitées et que sans hydrocarbures la cotation du dinar s’établirait à entre 300/400 dinars un euro selon l’offre et la demande, l’économie algérienne étant une économie totalement rentière.
Deuxièmement. L’importance de la sphère informelle qui contrôle plus de 65% des segments de produits de première nécessité auxquels plus de 70% des ménages consacrent presque l’intégralité de leurs revenus (marché fruits et légumes, poisson, viande rouge et blanche, textile et cuir) et plus de 40% de la masse monétaire globale en circulation. La masse monétaire a été évaluée dans le dernier rapport de la Banque d’Algérie à 2.439 milliards de dinars fin 2010 donnant ainsi 13,62 milliards de dollars. Outre les augmentations de salaires dictées par la conjoncture mais qui ne peuvent être supportées par plus e 80% des PMI/PME constituant le tissu économique algérien, la solution de facilité serait, en cas de difficultés financières, de taxer les revenus visibles du commerce et de l’industrie puisque pour les revenus fixes c’est la retenue à la source, avec pour conséquence le gonflement de la sphère informelle. Or, l’économie moderne repose sur deux fondamentaux, le crédit et le contrat.
La sphère informelle c'est 9,75 milliards de dollars
La dominance est le cash. Les transactions informelles qui favorisent la corruption constituent un frein à la généralisation des transactions par chèques ou carte électronique. Ainsi, la sphère informelle contrôlerait 9,75 milliards de dollars. Aussi, il semble que le montant d’évasion fiscale donné par le ministre des Finances de plus de 1,5 milliard de dollars pour le premier semestre 2011 (soit en tendance annuelle 3 milliards de dollars) soit largement sous évaluée.
L’importance de cette masse monétaire captée, où existe une concentration du revenu au niveau de cette sphère avec des tendances monopolistiques et oligopolistiques (quelques offreurs pour une multitude de demandeurs) alimente la demande au niveau du marché de la devise parallèle. Ajouté à certaines périodes de pèlerinages, le passage du Remdoc au Crédoc sans transition comme moyen de paiement extérieur, l’assouplissement contenu dans la loi de fiances 2011 d’autorisation de 4 millions de dinars au lieu de 2 ayant un faible impact, bon nombre d’opérateurs recourent au marché parallèle de devises. Mais existe également un autre facteur : l’incertitude vis-à-vis de l’avenir où certains fortunés achètent des biens à l’étranger. La monnaie étant un rapport social traduisant la confiance entre l’Etat et le citoyen, le manque de confiance entraiîne une psychose qui veut qu’on aille vers les valeurs refuge, comme l‘or, l’immobilier ou la devise, sans compter la thésaurisation. Cela peut expliquer la pénurie de dinars malgré l’injection de monnaies la Banque d’Algérie, avec le risque d’une remise en circulation qui entraîinerait une poussée inflationniste. Cela explique également pourquoi la Banque d’Algérie ayant émis un important stock de billets de 2000 dinars, il y a pénurie car plus facilement stockable que les billets de 200 dinars ou 1000 dinars. En bref, il existe une dialectique des liens entre la logique rentière et l’extension de la sphère informelle qui favorise la dépréciation du dinar, l’évasion fiscale. Ce qui inévitablement constitue un véritable frein au véritable développement hors hydrocarbures.
En résumé
Evitons l’illusion monétaire et analysons le fonctionnement de la société algérienne sereinement. Car, se pose cette question : comment avec un dinar dévalué, des assainissements répétées des entreprises publiques toujours dominantes ayant coûté au Trésor plus de 50 milliards de dollars entre 1970/2011, il a été impossible de dynamiser les exportations hors hydrocarbures montrant clairement que le blocage est d’ordre systémique ? Pourtant, un processus de mutations internes est en train de se faire en Algérie largement influencée par la mondialisation (révolution d’internet) qui annonce de nouvelles mutations politiques et sociales qui peuvent être soit négatives ou positives, fonction de la gouvernance qui doit prendre en compte tant les transformations sociales internes que les nouvelles mutations mondiales.
Ces mutations conditionneront ou pas un développement durable hors hydrocarbures sachant que l’Algérie ayant actuellement 36 millions d’habitants sera dans 25 ans 50 millions sans hydrocarbures – entendu en termes de rentabilité financière - se posera alors la problématique de la transition d’une économie de rente à une économie productive rentrant dans le cadre des avantages comparatifs mondiaux. Ce n’est pas une fatalité, l’Indonésie étant par le passé un gros exportateur d’hydrocarbures est devenue depuis quelques années importateur net, mais ayant préparé cette transition. Cette transition est possible, pour peu que se réalisent les mutations systémiques nécessitant un profond réaménagement dans les structures du pouvoir qui repose essentiellement sur la rente, la distribution de revenus sans contreparties productives pour une paix sociale fictive et éphémère.
Professeur Abderrahmane Mebtoul