Par Fayçal Métaoui, El Watan, 29 novembre 2011
Le projet de loi organique sur l’information, débattu depuis hier à l’APN, est porteur de véritables dangers à la liberté d’expression en Algérie.
Le bruit créé autour de la suppression des peines de prison pour les journalistes visait, tout compte fait, à faire diversion. Le texte que les députés discutent est chargé de dispositions restrictives plus sévères que celles du code de 1990. Contrairement aux affirmations de Nacer Mehal, ministre de la Communication, le projet soumis au Parlement n’exprime aucune modernité.
C’est une loi faite avec un esprit des années de plomb. D’abord, le gouvernement, qui méprise ses propres engagements internationaux, s’est autorisé à fixer les règles d’éthique et de déontologie aux journalistes. Il est admis dans tous les pays que la déontologie et l’éthique sont d’abord et surtout l’affaire des professionnels. Le gouvernement n’a aucun droit de le faire pour les journalistes ou pour les autres corps de métier, comme les avocats. L’article 89 du projet de loi est chargé d’interdits, alors que l’éthique et la déontologie supposent «droits» et «devoir» pour les professionnels des médias. Très imaginatifs, les rédacteurs de cette disposition ont même «inventé» de nouvelles restrictions de type policier. Ainsi, le journaliste doit «s’interdire de porter atteinte aux attributs et aux symboles de l’Etat», «s’interdire toute atteinte à l’histoire nationale», «l’apologie du colonialisme», «s’interdire de porter atteinte aux intérêts économiques et diplomatiques de la nation», «s’interdire de mettre en danger des personnes».
Le législateur devra, entre autres, expliquer le sens qu’il donne à «l’apologie du colonialisme» ou à «l’atteinte à l’histoire nationale». Il est évident que cette disposition, particulièrement dangereuse, doit être supprimée sans aucune condition. Il en est de même pour l’article 80 qui limite l’accès à l’information pour les journalistes professionnels. Du jamais vu ! Cette disposition, qui porte les résidus du parti unique, interdit aux journalistes de s’intéresser aux domaines de la défense, de la sécurité, de la justice, de la diplomatie, de l’économie. Le prétexte est toujours le même : «secret» ou «atteinte aux intérêts». Même faible, la presse d’investigation est condamnée à disparaître si cet article est adopté par les deux chambres du Parlement. Les journalistes curieux devront alors passer leur temps à enquêter sur les jardins publics ou sur le mode de cuisson de la chawarma ! L’article 2 du même projet a pourtant mentionné que le citoyen a le droit d’être informé «d’une manière complète et objective». Comment ce citoyen peut-il être informé de «manière complète» si des embûches sont mises sur le chemin du journaliste ? La commission culture, communication et tourisme de l’APN n’a visiblement pas détecté cette contradiction flagrante.
Ce même article 2 pose également problème, puisqu’il verrouille considérablement le travail des médias. Selon la logique sécuritaire de ce texte, le journaliste peut «librement» exercer son métier, mais dans «le cadre du cadre» ! C’est-à-dire qu’il doit, entre autres, respecter «la sauvegarde de l’ordre public», «les exigences de la sûreté de l’Etat et de la défense nationale», «les impératifs de la politique étrangère du pays», «les intérêts économiques du pays», «le secret de l’instruction judiciaire». Pour ce dernier point, le législateur semble avoir pris en compte l’intérêt grandissant des médias pour les nombreuses affaires de corruption. La justice algérienne, réputée être parmi les plus opaques au monde, dresse des barrières au lieu de s’ouvrir au public, gagner en crédibilité et retrouver la confiance des citoyens. Sinon comment expliquer que des dispositions pénales, inacceptables et scandaleuses, sanctionnent les journalistes qui s’intéressent au travail des tribunaux. A titre illustratif, l’article 120 stipule : «Quiconque publie ou diffuse la teneur des débats des juridictions de jugement, lorsque celles-ci en prononcent le huis clos est puni d’une amende de 100 000 à 200 000 DA».
Pire, l’article 123 précise : «Sauf autorisation de la présidente ou du président de l’audience, l’emploi de tout appareil d’enregistrement ou de diffusion sonore, de caméra de télévision ou de cinéma ou d’appareil photographique, après l’ouverture de l’audience judiciaire est interdit. Toute infraction à cette disposition est punie d’une amende de 10 000 à 100 000 DA.» A suivre cette logique, les juridictions civiles sont assimilées à des tribunaux militaires sous régime d’exception ! Nous l’avons déjà signalé dans ces mêmes colonnes, l’article 110 ouvre la voie à toutes les dérives. Jugez-en : «Toute personne physique ou morale algérienne a le droit de réponse sur tout article écrit ou émission audiovisuelle portant atteinte aux valeurs nationales et à l’intérêt national.» Traduction : si une personne n’apprécie pas une analyse, une opinion, une idée ou une information répond comme elle veut et où elle veut. Et là, les médias sont obligés de publier (c’est devenu plus qu’obligatoire dans le projet de loi sur l’information). Imaginons qu’ils sont des milliers à réagir, que feront les médias ?
Cet article livre d’une manière sournoise et scandaleuse les journalistes au lynchage public surtout que le législateur n’indique pas la véritable signification des «valeurs nationales» et de «l’intérêt national». Dans un pays où le débat démocratique libre est inexistant, ce genre de dispositions est porteur de périls aux conséquences imprévisibles. Exprimant une logique de fermeture et remettant en cause profondément la crédibilité des «réformes» politiques du président Abdelaziz Bouteflika, le projet de loi sur l’information doit être revu de fond en comble ou retiré pour être discuté à travers un débat transparent, ouvert et public.
Rien ne presse. Il n’existe aucune raison de «lier» le sort de l’ouverture du champ audiovisuel, qui est, elle, une urgence nationale à l’adoption d’une loi sur l’information. L’audiovisuel peut faire l’objet d’une loi et de textes d’application à part.
Des députés critiquent le projet de loi sur l’information
«Une œuvre de régression»
Les journalistes ont qualifié ce projet de loi de «code pénal bis»
Des députés de différentes obédiences politiques ont qualifié, hier, le projet de loi organique relative à l’information «d’œuvre de régression». Beaucoup d’élus pensent qu’il y a un recul par rapport au code de l’information élaboré en 1990, et ce, dans tous les domaines, à l’exception des dispositions pénales.
Si les journalistes ont qualifié ce projet de loi, en débat en plénière depuis hier à la Chambre basse du Parlement, de «code pénal bis», certains élus estiment que ce texte est rétrograde.
Le député Mohamed Mahmoudi du MSP a ouvertement récusé ce texte en faisant remarquer que «c’est là un net recul et un gel du secteur des médias, en contradiction avec les standards internationaux. Normalement, l’instauration de la liberté d’expression, c’est d’abord la réhabilitation du haut conseil de l’information et non la mise sur pied d’une autorité de régulation qui dicte sa loi à la presse», a soutenu l’orateur. M. Rezgui du FLN a qualifié ce projet de «texte d’hésitation» et de code en net recul par rapport à celui de 1990 : «Le code de 1990 renfermait des mesures intéressantes visant à préserver l’intérêt du journaliste, à l’exception des dispositions portant sur l’emprisonnement.
Le projet en débat aujourd’hui à l’APN est en recul, car il renvoie, dans plusieurs domaines, vers d’autres lois.» M. Rezgui plaide pour la suppression de l’autorité de régulation et la mise sur pied par la corporation d’un code d’éthique et de déontologie : «Tous les secteurs se sont pratiquement dotés d’un code de l’éthique et de déontologie fait uniquement par les gens du métier. Je ne comprends pas pourquoi la corporation journalistique n’a pas le droit, à elle seule, de mettre en œuvre ce code de l’éthique.»
Pour Ali Brahimi, dissident du RCD, «ce projet de loi sur l’information – comme tous les autres projets de loi qui ont été pompeusement qualifiés de réformes – signe une volonté de régression évidente par rapport à l’ancien texte de 1990 qui était lui-même qualifié de code pénal bis», a-t-il affirmé.
Rares étaient les députés qui ont évoqué dans leur intervention le problème d’accès à l’information pour les journalistes.
De nouvelles clauses et conditions pour créer un journal
Notons, en outre, que le rapport préliminaire sur le code de l’information, élaboré par la commission de la culture, de la communication et du tourisme de l’APN, prévoit une série d’amendements liés essentiellement à l’introduction de nouvelles clauses relatives aux conditions requises pour les éditeurs désirant créer un journal. Il s’agit, pour les éditeurs, d’être titulaire d’un diplôme universitaire et de justifier de cinq ans d’expérience professionnelle dans l’édition de publications périodiques spécialisées.
Les amendements concernent également la prolongation à une année du délai d’agrément à compter de la date de son octroi ainsi que la réduction du quorum à dix membres pour la validité des délibérations de l’autorité de régulation de la presse écrite.
Le délai de mise en place du conseil supérieur d’éthique et de déontologie de la profession de journaliste a également été prolongé à une année au lieu de six mois, en sus de la prolongation de huit à trente jours du droit de réponse. Il est également question de faire obligation aux instances, administrations et établissements de faciliter au journaliste l’accès à l’information en vue de consacrer le droit du citoyen à l’information et de protéger le journaliste contre toute forme d’humiliation et de menaces lors de l’accomplissement de sa mission.
Par ailleurs, le ministre de la Communication, Nacer Mehal, a qualifié ce texte d’«avancée traduite par le retour des autorités de régulation ainsi que par une meilleure protection des journalistes». «Il n’y a ni régression ni recul», a noté le ministre, refusant de voir la menace qui pèse sur le droit à la liberté expression.
Nabila Amir
Khaled Bourayou. Avocat : «Le nouveau code comporte plus de restrictions que de libertés»
- Comment jugez-vous le projet de code de l’information présenté à l’Assemblée nationale ?
Je considère qu’il y a beaucoup de régression par rapport à l’ancien code et même à la première mouture élaborée par le ministre de la Communication, Nacer Mehal. Malgré son exposé des motifs qui donne la primauté au droit d’informer du journaliste et à celui d’être informé du citoyen, il est en parfaite régression parce qu’il consacre un recul de la liberté d’expression.
- Quelles dispositions jugez-vous liberticides ?
Déjà, il est en contradiction avec son exposé des motifs, si on se réfère à son article 2 qui soumet l’exercice de l’activité à différentes restrictions, notamment les exigences de la politique extérieure, les impératifs de l’ordre public et le secret de l’instruction. Or, le journaliste n’est ni un diplomate, ni garant de l’ordre public, ni une autorité qui concourt à l’instruction. Le seul impératif qu’il doit prendre en compte est le droit d’informer. Un principe sur lequel repose la liberté d’expression. Ce projet de code comporte plus de restrictions que de libertés. Sur la question de l’agrément par exemple, nous sommes passés de la liberté d’édition à l’autorisation d’édition. Je m’explique : si l’on se réfère à la loi de 1990, il suffisait d’une demande déposée au niveau du parquet, pour qu’un récépissé soit remis sur-le-champ pour permettre la sortie d’une publication. Il consacrait le principe de libre édition, quand bien même détourné par le ministère de la Justice. Par contre, le nouveau code a consacré le régime de l’autorisation. Cela veut dire que pour éditer, il faut une autorisation délivrée par une autorité de régulation qui a le droit de la rejeter. Le projet a supprimé les règles protectrices énoncées timidement dans la première mouture du ministre de la Communication et qui sont l’exception de vérité, la prescription de moins en contrepartie de la dépénalisation des délits de presse. En fait, ce qu’il a donné d’une main il l’a repris de l’autre…
- Vous avez déclaré à la presse que cette dépénalisation n’est qu’une parodie. Pouvez-vous être plus explicite ?
Pour moi, ce n’est qu’une parodie, parce qu’elle ne concerne pas la diffamation et l’injure, les délits qui constituent 99% des plaintes déposées contre les journalistes. La dépénalisation, telle que définie dans l’article 44 bis et 44 bis 1, touche en réalité l’offense au Président, l’injure et la diffamation contre les tribunaux, les cours et l’ANP. Sur un autre volet, nous aurions souhaité que le projet de texte soit celui des libertés et non pas de l’information, qui est un concept qui met en suspens les libertés. Il aurait fallu avoir une loi sur la liberté d’expression et non pas un code qui a pour motivation de réglementer l’information. Le souci est de faire un texte en termes de liberté et non de régulation. De plus, en matière de codification, les initiateurs auraient dû intégrer dans ce texte tous les délits connus ailleurs, entre autres, dans le code pénal, pour donner aux journalistes le statut particulier qu’ils doivent avoir.
Salima Tlemçani
Youcef Dilem. Avocat : «Le projet de loi sur l’information va poser un problème juridique important»
- Le projet de loi sur l’information a été présenté à l’APN. En comparaison avec la loi en vigueur, ce texte présente-t-il une avancée, comme le prétend le gouvernement, pour la liberté de la presse en Algérie ?
Bien au contraire, ce texte fait un pas en arrière. Je trouve qu’il y a pas mal d’articles qui méritent d’être réexaminés et d’autres doivent être carrément retirés. Personnellement, j’ai salué le décret portant régime spécifique des relations de travail des journalistes 08-141 de 2008 qui est le statut du journaliste. Mais encore une fois, l’application des textes pose toujours problème. Les textes sont là, il faut quand même qu’on apprenne à les appliquer. Pour le moment, aucun journaliste, qui a été acquitté, n’a demandé des dommages et intérêts pour des plaintes abusives. Je crois qu’on est en train d’ajouter de nouveaux principes, à travers un projet de loi qui est peut-être contraire à la Constitution. Et cela va poser un problème juridique important.
- Selon vous, quels sont les articles qui entravent l’exercice du métier de journaliste ?
Il y a deux genres d’articles. Les premiers ce sont des articles qui sont vagues. Ces derniers doivent être révisés. La deuxième catégorie d’articles doit être retirée carrément. Ce sont des articles qui sont contraire à la doctrine universelle qui régit le libre exercice de la profession de journaliste.
- Ce texte intervient, selon le gouvernement, pour améliorer l’exercice du journalisme et garantir le libre accès aux sources d’information aux professionnels des médias. Est-ce vraiment le cas ?
Franchement, ce texte ne garantit pas le libre accès à l’information aux journalistes. Il impose des lignes rouges et cela est, pour moi, une aberration. En deuxième lieu, on parle aujourd’hui de dépénalisation du délit de presse. Dans le code pénal, cette notion ne figure pas. Il y a, en revanche, la diffamation. Celle-ci n’a pas été supprimée et donc il n’y a pas dépénalisation. Le journaliste est soumis à des amendes, et ce sont des amendes pénales. Il y a toujours une condamnation. Ce ne sont pas des condamnations à la prison, certes, mais ce sont des condamnations pénales. Donc ce texte vient ajouter de l’huile sur le feu. Le journaliste a une obligation de transmettre la vérité et d’être neutre. C’est l’essence même du journalisme. C’est ce qu’on ne retrouve pas dans cette loi. Et puis, il y a là une volonté non pas de réguler la profession, mais de la museler à travers la commission d’éthique. Le journaliste sera jugé avant même d’être mis en cause.
- Un autre article suscite aussi la polémique, en l’occurrence l’article 80 relatif au traitement de l’information concernant le secret de la défense nationale, la souveraineté nationale… Des notions très vagues ont été utilisées et risquent d’aggraver la situation de la liberté de la presse en Algérie. Qu’en pensez-vous ?
C’est une autre aberration ! Concernant la sécurité nationale, par exemple, je ne vois pas en quoi un journaliste qui publie des vérités sur des questions qui concernent la vie publique pourrait porter atteinte à la sécurité de l’Etat.
Madjid Makedhi
Droit à l’accès à l’information : qu’en est-il des garanties ?
Attendu depuis longtemps par la corporation, le projet de loi organique relative à l’information a été enfin présenté, hier, à l’Assemblée populaire nationale (APN), par le ministre de la Communication, Nacer Mehal.
Articulé autour de 132 articles, ce nouveau cadre juridique conçu «pour fixer les règles et les principes de l’exercice du droit à l’information» intervient surtout pour corriger les «dérives» de la loi 90-07 du 3 avril 1990 qui avait été qualifiée par les journalistes de «code pénal bis» au moment de sa promulgation. Grosso modo, les deux grandes nouveautés apportées par le législateur consistent en l’ouverture du champ de l’audiovisuel au privé et en la suppression des peines privatives de liberté des dispositions prévues pour sanctionner ce que les professionnels des médias appellent les délits de presse. Théoriquement donc, un journaliste ne devrait plus se retrouver en prison à cause d’un écrit. Néanmoins, il reste encore à savoir ce qu’il pourrait advenir d’un contrevenant à la loi dans le cas, par exemple, où il ne pourrait pas s’acquitter du montant d’une amende.
Si l’on peut effectivement se réjouir du fait que le journaliste ne sera plus perçu à l’avenir par la justice comme un vulgaire malfrat, il n’est toutefois pas certain que le projet de loi organique relative à l’information, tel que proposé par Nacer Mehal, contribuera véritablement à faciliter le travail des journalistes ou, encore, à consacrer dans les faits le droit à l’accès à l’information. En dehors de rappeler «l’engagement du gouvernement à respecter toutes les libertés et à leur tête la liberté d’expression dans le cadre des lois de la République» et de lâcher quelques déclarations de bonnes intentions, le ministre de la Communication n’a prévu effectivement dans son projet qu’un tout petit article (l’article 80) dans lequel il reconnaît vaguement aux journalistes le droit d’accès aux sources d’information. Assorti de pas moins de 5 exceptions, cet article n’oblige pratiquement aucune institution de la République à «communiquer» avec la presse et encore moins à mettre à la disposition du public les informations qu’elle a en sa possession, comme cela se fait déjà depuis longtemps dans plusieurs pays.
Les lignes rouges à ne pas dépasser
La méfiance entourant le projet de loi organique relative à l’information est confortée par le fait que le législateur n’a également pas pensé une seconde à mettre en place un mécanisme de veille qui aurait justement pour tâche de s’assurer que le droit à l’accès à l’information (droit, du reste, reconnu par la Loi fondamentale) est effectif. Sous le prétexte, par exemple, que l’information demandée est «sensible» ou qu’elle est susceptible de porter atteinte à la sécurité nationale, n’importe quel attaché de presse d’un ministère peut s’arroger le droit d’envoyer paître un journaliste ou tout simplement de faire dans la rétention d’information. Dans un pays comme l’Algérie, où la culture du secret a eu le temps de devenir une seconde nature, il est aisé de s’attendre à ce que l’on continue encore longtemps à dissimuler les informations les plus insignifiantes.
Pour s’en convaincre, il n’y a d’ailleurs qu’à rappeler que le gouvernement ainsi que de nombreuses autres institutions n’ont toujours pas de porte-parole. En tout cas, les exemples d’atteintes au droit à l’accès à l’information ne manquent pas. Et toutes ces cachotteries se font, bien entendu, en violation d’importants textes signés par l’Algérie, comme la Charte universelle des droits de l’homme (article 19), la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (article 9), la Convention de l’Union africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption (article 9) et la Déclaration de principe sur la liberté d’expression en Afrique (article IV) adoptée par la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples en octobre 2002.
En tout état de cause et en l’absence de recours sérieux, les journalistes doivent s’attendre à ce que leur tâche soit rendue, à l’avenir, beaucoup plus difficile si ce fameux projet de loi parvient à quitter le Parlement dans sa mouture initiale. Pis encore, les nombreuses lignes rouges qui seront appelées à encadrer la pratique journalistique en Algérie auront pour effet immédiat d’assurer l’impunité à de nombreux responsables et d’empêcher les journalistes de fourrer leur nez dans des dossiers dits sensibles (politiques y compris) ou de traiter de questions de fond comme celles liées à la corruption, au respect des droits de l’homme, à la sécurité et à la gestion des affaires publiques. Au bout du compte, le risque est grand de voir la presse devenir, au fil des temps, une simple caisse de résonance des discours du pouvoir en place. Et le constat vaut même si le ministre de la Communication passe son temps à affirmer le contraire.
Zine Cherfaoui
Maître Farouk a. Président de la Commission consultative de promotion et de défense des droits de l’homme
«Le projet de loi est un progrès, mais reste insuffisant…»
- Vous avez fait une lecture du projet de loi portant code de l’information. Quelle est votre appréciation sur son contenu ?
Dans son ensemble, le projet de texte constitue un progrès par rapport à ce qui existe actuellement. Supprimer les peines d’emprisonnement est une avancée parce qu’il est absurde de continuer à mettre en prison un journaliste pour ses écrits. Il reste cependant insuffisant, puisqu’il comporte des dispositions récusées par les journalistes. Tous les textes sont perfectibles. Il est peut-être préférable de commencer par le commencement, puis corriger les insuffisances au fur et à mesure. A l’avenir, je reste persuadé que les choses vont s’améliorer. Il y a des principes sur lesquels personne ne peut reculer, à commencer par la liberté de la presse sans laquelle il ne peut y avoir de démocratie.
- Ne pensez-vous pas que l’élaboration d’un tel texte aurait dû se faire avec la corporation ?
Les journalistes auraient dû être consultés avant que la dernière mouture ne soit retenue.
Cela a été le cas pour le projet de loi portant organisation de la profession des avocats ; ces derniers n’ont pas été impliqués. Cela étant, il est important de relever que le projet de code de l’information marque quand même un progrès, mais mérite d’être enrichi. Des efforts doivent être déployés autour de son renforcement…
- Mais il comporte aussi des dispositions jugées restrictives à la liberté de la presse…
La liberté de la presse doit être un principe inaliénable ; il peut être garanti en apportant des amendements au texte qui n’est, pour l’instant, qu’au stade de projet susceptible d’être revu et corrigé pour être amélioré. Ce n’est pas un texte coranique. Il peut être remodelé de façon à ce qu’il puise garantir la liberté d’expression.
- Quel avis votre Commission a-t-elle émis à la lecture de ce projet de loi ?
Nous avons considéré que le projet constitue un pas en avant, en précisant qu’il nécessite des corrections. Nous partons du principe que toutes les lois sont perfectibles.
Nous avons relevé des points négatifs pour lesquels nous espérons une correction. Il est important de rappeler que dans les pays dits démocratiques, les conquêtes de la presse se sont faites progressivement, à travers le temps. Nous pensons que cette mouture peut être enrichie et dans le cas contraire, elle le sera inévitablement après. L’Algérie ne vit pas sur une île ; elle doit rejoindre le camp des pays qui avancent…
Salima Tlemçani
Sit-in des journalistes : «On veut contrôler la corporation»
Une quarantaine de journalistes ont organisé un sit-in, hier, devant l’Assemblée populaire nationale (APN) pour protester contre le nouveau projet de loi sur le code de l’information.
Au même moment, les députés s’apprêtent à débattre le texte de loi, qui remplace celui entré en vigueur en 1990, sous l’ère de l’ex-chef de gouvernement Mouloud Hamrouche. Vingt ans après, les protestataires estiment que «le nouveau projet de loi sur l’information cache une volonté de contrôler la corporation». Le rassemblement, qui a duré une vingtaine de minutes, a été sanctionné par la lecture d’un communiqué. Il a été lu par Rabah Chibani, un journaliste de Sawt El Ahrar (journal porte-voix du FLN, parti majoritaire à l’APN). «Ce projet de loi sur le code de l’information ne répond pas aux aspirations des professionnels des médias. Les pouvoirs publics cherchent encore une fois à museler les journalistes», affirme M. Chibani.
Pour les membres de l’INDJ, «les députés vont approuver un projet qui est synonyme de régression et qui porte atteinte à la liberté d’expression». Même son de cloche pour Smaïl, journaliste dans un quotidien régional. «C’est le début de la fin. Tous les sacrifices consentis par nos prédécesseurs dans les années 1990 vont partir en fumée. Au lieu d’accorder plus de libertés et de stabilité aux journalistes, les autorités ordonnent aux députés de maintenir l’influence étatique et le diktat», estime-t-il. L’INDJ dénonce également «le manque de transparence en matière d’octroi des agréments». Sur un autre point, les protestataires regrettent «la non-publication d’un barème de salaires». Quelques témoignages sont déshonorants. «De nouveaux journalistes, fraîchement sortis des facultés, sont exploités par des directeurs de publication. Certains ne touchent pas de salaire, d’autres travaillent au noir et la majorité d’entre eux sont sous-payés», indique Fouzi, journaliste dans un quotidien d’expression française.
Le manque de précision et de clarté de l’article 80 et les amendes, qui seraient dorénavant à la charge des journalistes, sont deux points principaux qui laissent les professionnels du secteur perplexes. L’INDJ se présente comme un troisième syndicat. Il en existe deux autres agréés. Le Syndicat national des journalistes (SNJ) et la Fédération nationale des journalistes algériens (FNJA), chapeautée par l’UGTA. L’Algérie compte environ 4000 rédacteurs.
Mehdi Bsikri