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La société civile d’Hillary et la société sans voix

 

L’apolitisme, produit fini toxique du régime

 

Ahmed Selmane

 

 

 

Hillary Clinton est passée, le régime algérien est officiellement satisfait. L’armée n’est pas une « grande muette » et elle le dit. Tout le monde est d’accord. Personne n’est muet en Algérie. Mais aucune voix ne porte dans le vacarme des faux-semblants et de l’ersatz de vie publique mise en scène par le régime. On a découvert, amusé, une société civile algérienne, version américaine. On se rappelle surtout la vraie tragédie générée par ce système pernicieux : une société sans voix.

 


Le régime fait dans le vacarme

 

Hillary Clinton à Alger. Anis Belghoul/New Press
Hillary Clinton à Alger. Anis Belghoul/New Press
 
L’armée ne veut pas être appelée la « grande muette » ! Dans toutes les rédactions, les journalistes se sont regardés avec un drôle d’air car l’expression n’a, selon eux, rien de péjoratif. Elle relève même de l’affectueux. Finalement, après mure réflexion, beaucoup sont revenus à l’évidence : la mise au point est d’une remarquable franchise. L’armée n’a jamais été muette en Algérie et elle ne sera pas muette à l’avenir. Le ministère de la défense a de bonnes raisons de rétablir une vérité historique non contestable. Et surtout politique. Et il faut être en effet naïf de penser que les choses peuvent se faire en Algérie sans l’armée. La vraie question en définitive n’est pas le « mutisme » présumée de l’armée algérienne. Le fond du problème est l’absence de vision du régime algérien où l’armée est partie prenante. Ce régime n’est pas muet, loin s’en faut ! Il fait au contraire dans le vacarme, dans l’excès de bruit, pour masquer qu’il ne dit rien au pays et qu’il n’a aucun perspective à lui offrir. Il faut bien souligner que cela est beaucoup plus grave que le mutisme présumé de l’armée. Le but systématique du régime, voire son unique but, est de laisser la société algérienne sans voix, sans organisations sérieuses capables de donner du sens et favoriser une structuration qui ne peut être que vertueuse. Le régime préfère organiser la cacophonie. En envahissant le pays de « ses » associations et de « ses » partis afin, justement, que les bruits enflent pour que rien ne devienne audible.

 


Comme l’armée, le pays n’est pas muet

 

Car le pays n’est pas muet. Il bruisse de nombreuses colères encore inexprimées, il est chargé de ressentiments, de doutes, d’incertitudes, de craintes. Il est traversé par des intérêts contradictoires et la muraille du l’argent – et du pouvoir- a cessé, elle aussi, d’être muette ou invisible. La lutte des classes, qui ne dort jamais, fait partie de la respiration ordinaire du pays. Et les « ingérences étrangères », vieux plat du régime, se découvrent de nombreuses possibilités entre un régime toujours décidé à trouver des arrangements et à satisfaire l’extérieur tout en matant l’intérieur. Et pour aggraver la perte de sens et de direction, le pays a été privé, au cours de ces vingt dernières années, d’une bonne partie de son élite. Cela ne le rend pas muet, bien entendu. Mais cela permet à la cacophonie, entretenue, de faire son œuvre et d’empêcher la société algérienne, de formuler, de manière ordonnée, une demande générale : celle d’un Etat. Un vrai Etat, sérieux. Pérenne. Les Algériens le redécouvrent régulièrement, il y a des pouvoirs, qui parlent et papotent de temps à autre, il n’y a pas d’Etat. Ou si peu. Il n’y a pas d’institutions effectives qui exercent leur rôle et fonctionnent en contre-pouvoirs. Celles qui existent ne sont pas « muettes ». Elles se contentent de répéter ce que le régime veut entendre. Personne n’est muet en Algérie. Mais, à défaut, d’espaces sérieux, libres et autonomes, cela ne donne que du bruit… Cela ne donne aucune perspective. L’Algérie, officiellement en voie d’approfondissement de « sa » démocratie, est sans voix au milieu d’un grand bruit…
 

 


Hillary Clinton au Maghreb Central

 

Durant les quelques heures passées par Hillary Clinton au Maghreb Central, elle a parlé des «domestic affairs » de l’Algérie. Sans que le « gène » souverainiste toujours en alerte des tenants du régime, ne se rebelle. Non, on est à l’écoute. On jure qu’on va bien faire les choses, cette fois. Le NDI et le Centre Carter sont les bienvenus ! Alleluia ! Les frontières avec le Maroc, ben oui, on en discute madame… sérieusement ! Finis les niet très méchants de M.Yaziz Zerhouni. En quelques heures – en dépit des dénégations de M.Amar Belani, porte-parole de M.Medelci –, le pouvoir n’était pas gêné de parler de ses affaires intérieures, lui, que des rencontres d’opposants ou de journalistes avec des diplomates, indisposent, au plus haut point. Mais, heureusement pour lui, Amar Belani a fermé depuis longtemps son compte facebook. C’était intenable. Il s’évitera d’avoir à répondre à des commentaires acides d’internautes pas du tout muets malgré la qualité de la connexion Algérie Télécom. Mme Clinton est passée. L’ambassade US lui a sélectionné quelques personnes bien typées pour faire office de « société civile ». Elle leur a fait l’insigne honneur de leur parler avant d’aller voir Bouteflika et Medelci. Ce qu’elle a dit ? Que les Etats-Unis n’attendront aucune autorisation d’Alger pour discuter avec les entrepreneurs privés et la société civile. Un message sans équivoque. Qui va totalement à l’encontre de la doctrine officielle et des mises en garde, répétée – renouvelée, à Arzew, par Bouteflika, dans une coupole chauffée par les apparatchiks de Sidi Said, « patron » éternel de l’UGTA – contre les ingérences étrangères. Bien entendu, aucune kasma du FLN et du RND réunis, pas plus que Medelci ou Bouteflika, ne pourront empêcher les Américains de rencontrer les « privés » et la « société civile ». Les Américains ont une diplomatie militaire, mais ils ont aussi d’autres registres sur lesquels ils savent peser. Le régime algérien qui ne veut pas d’entrepreneurs et encore moins d’une société civile, dans le sens réel du terme, le sait. L’Empire saura trouver des interlocuteurs et il pourra même créer une « société civile » à son image. Qui n’est pas loin de celle du pouvoir au fond : une société « civile » dépolitisée, « croyante » ou « intéressée » ou les deux à la fois. La seule leçon que peut en tirer une personne objective - qui observe ce qui se passe ailleurs – est qu’il est de l’intérêt national que les Algériens, entrepreneurs, société civile…, s’organisent librement et dans un cadre ouvert. Et qu’ils fassent leur preuve dans l’espace national sans attendre qu’ils soient « élus » de l’extérieur. Mais cela suppose un régime qui accepte que les Algériens aient des « voix » pour s’exprimer et que celles-ci ne soient pas noyées dans un vacarme fabriqué de toutes pièces.
 

 


Boulitik et jmenfoutisme

 

A Arzew, Bouteflika n’a pas fait dans la dentelle. Les prochaines élections législatives, c’est aussi important que le 1er novembre ! Qu’on nous pardonne de ne pas y chercher un message codé, adressé à d’autres compartiments du régime. On n’est pas dans le secret. Prenons les choses de la manière officielle, donc à la lettre. Le président, pas plus que l’armée, n’est pas muet. Quand on compare des élections au premier novembre et qu’on laisse entendre qu’une faible participation au vote fait le lit de « l’ingérence étrangère » (voir plus haut), on exprime une inquiétude très forte. Et bien entendu, ces questions sérieuses doivent être abordées sérieusement. Si participer au vote est une manière de se prémunir des ingérences étrangères, il faut créer les conditions d’une bonne participation. Mais ce risque d’ingérence ne datant pas d’hier, on peut se poser la question pourquoi rien n’a été fait pour que les Algériens, qui ne sont ni muets, ni sourds et encore moins aveugles, soient intéressés par la politique. Quand pendant plus deux décennies, la politique a été décriée, vilipendée et présentée comme la cause de la guerre civile, comment inciter les Algériens à aller voter, acte politique par excellence. Quand, pendant plus d’une décennie, la politique s’est limitée aux faits et aux gestes du pouvoir, – ceux de Bouteflika surtout -, au point de rendre visible l’insoutenable inutilité d’un parlement de leveurs de mains, comment faire croire qu’élire un député va « sauver » la partie d’une menace externe ? Quand, pendant dix ans, le pouvoir, au mépris grossier de la loi, interdit la création de partis politiques pour, à la veille des élections, en mettre à la pelle sur le marché de la « boulitik », comment faire croire au sérieux de la politique. Quand les partis agréés ont été caporalisés, enserrés dans une « Alliance », ou assignés dans un rôle de faire-valoir, quelle image s’est-on évertué à donner d’eux et de la politique ? Du vent ! Et c’est une réussite indéniable du régime. La flopée de partis mis soudainement sur le marché est, en quelque sorte, l’apothéose d’une entreprise systématique de destruction de la politique. L’apolitisme s’est généralisé. Et il fait le lit de tout. De la bigoterie, de l’islamisme… jusqu’à l’ingérence étrangère. Il peut même faire le lit d’une mixture de l’ensemble. L’apolitisme, euphémisme poli du « jmenfoutisme », de la perte de sens civique, est le produit fini du régime.

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