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la galère des algériens

 

Kamal Guerroua

«Misère du présent, richesse du possible»
André Gorz (1923-1977), philosophe français

Un printemps algérien d’exception ou une exception algérienne dans le printemps? A dire vrai, il ne s’agit plus ici d’un jeu de mots en vue de distraction mais c’est inéluctablement d’une confrontation de deux réalités aux ramifications fort contradictoires dont il retourne. Le scénario vaudevillesque des élections législatives du 10 mai dernier a choqué tous ceux qui en attendent une éclaircie dans le ciel obnubilé de l’Algérie. Le changement, ce rituel passe-partout, y est devenu un rêve d’enfant et la constance une muraille de Chine. Les algériens ne comprennent quasiment rien à tout ce qui se passe chez eux et autour d’eux bien qu’ils soient, de par leur expérience de «losers» première classe, des chevronnés indéboulonnables en matière de surprises politiques. Beaucoup de questionnements surgissent alors mais demeurent au grand malheur du gros lot de nos concitoyens sans réponse. Mais pourquoi l’Algérie est-elle vraiment épargnée par les effluves du printemps arabe et pourquoi en même temps presque tous ses voisins à des degrés divers sont-ils en forte ébullition révolutionnaire? En serait-elle la victime collatérale comme l’insinuent parfois explicitement quelques apparatchiks du régime afin d’écarter toute intention de révolte citoyenne ou ce n’est en fait qu’une coïncidence de «faits têtus» pour emprunter le mot du philosophe Auguste Comte (1798-1857) dont le pouvoir d’Alger n’en a même pas la moindre idée? Autant en emporte le vent, le printemps des peuples qui a déferlé par ses vagues intermittentes sur nos voisins proches ou lointains a, comme par enchantement, viré sa cuti en repliant ses ailes tel une chauve-souris qui ne voit point dans le noir sur les têtes chenues des caciques du F.L.N.

En réalité, la complexité de la crise algérienne est due à de multiples facteurs dont la maîtrise nécessite en premier lieu une grande mobilisation citoyenne. D’une part, celle-ci est fortement indispensable afin d’affronter les défis futurs auxquels s’affronte la population (le challenge du changement pacifique du système de gouvernance, l’exigence des réformes politiques ainsi que d’une vraie construction démocratique du pays, et l’effacement définitif des traces de la violence que porte dans ses plis le tissu sociétal). D’autre part, un peuple mobilisé est en mesure de contrecarrer toutes les convoitises étrangères au moment où la mondialisation-laminoir a brisé le concept de frontières classiques entre les États. L’Algérie, encore faudrait-il le rappeler ici, est un pays-carrefour dans le pourtour méditerranéen, il est également la pièce-maîtresse dans la nouvelle reconfiguration géostratégique de toute la région de l’Afrique du Nord, surtout au lendemain de la chute du régime de Moubarak en février 2011 en Égypte, l’une des grandes puissances militaires de l’Afrique et l’instabilité politique qui s’en est suivie. Autrement dit, la position pivotale, s’il l’on ose l’exprimer ainsi, de notre pays au Maghreb lui confère le statut d’avant-garde dans l’agenda des puissances occidentales au premier rang desquelles l’on trouve la France. Tout au plus les innombrables conflits aux pays du Sahel notamment au nord du Mali (la probable partition de ce pays par les rebelles d’Azawad) ont-ils envoyé tout changement de situation en Algérie aux calendes grecques. L’équilibre de forces régionales implique une mise en veilleuse systématique de toute velléité en Occident d’inciter le régime d’Alger à revoir ses cartes en matière du système de gouvernance. L’enjeu de l’immigration clandestine qui menace l’Europe-citadelle en ces temps de crise économique et des plans d’austérité, les tensions post-révolutionnaires en Libye et en Tunisie, la fragilité relative du Maroc sont un autre sujet préoccupant pour les pays européens. Raisons pour lesquelles le régime d’Alger est appelé à faciliter la tâche de l’Occident au Maghreb et au Sahel en contrepartie d’un mutisme consensuel de ces puissances sur le processus de démocratisation qu’il mène. Ce renvoi d’ascenseur est le fruit d’un concours de circonstances qui fait que la rente pétrolière devient seulement un adjuvant dans les relations entre l’Occident et l’Algérie et non pas un élément-moteur comme elle l’a été auparavant. Ce détail, bien que minime, nous permet de cerner la problématique de la sécurité Nord-Sud qui est au cœur du débat en cours, plus particulièrement avec l’apparition d’Al-Qaïda du Maghreb islamique et la presque évaporation du concept de la «normalisation autoritaire» dans lequel s’inscrit la crise algérienne et celle de nombreux pays africains (Françafrique, Françalgérie, processus de Barcelone…).

C’est pourquoi, un vote-refuge pour les cercles fermés du sérail, ou un vote-plébiscite pour la nomenclature du régime ainsi que sa constellation de partis-godillots qui slaloment les dédales de l’arène politique en quête d’un quelconque soutien étatique, ou un vote-scandale pour les quelques figures réfractaires de l’opposition-résiduelle ne signifie plus aucun sens. Car, peu importent les désignations que l’on brocarde comme des labels de transparence au cœur d’une pagaille électorale pour certains ou que l’on colle comme des étiquettes de mauvaise presse pour d’autres, l’essentiel de la leçon est que l’Algérie a raté, pour la énième fois dans son histoire, la promesse du «bond pacifique et évolutif» vers la modernité. Dorénavant, le train du changement ne serait vraiment accessible que grâce à une refonte radicale et profonde dans les mœurs politique de nos responsables à tous les niveaux. Il est fort traumatisant de l’avouer, nos mères, nos enfants, notre jeunesse, notre Algérie-martyre n’oublieront pas de sitôt les séquelles du supplice qu’ils ont surmonté et enterrent dans leurs entrailles, la mort dans l’âme, les lettres d’or et d’espoir qu’a écrites le virage d’Octobre 88. Ces événements tragiques qui ont constitué à leur époque le premier moment d’éclosion d’une «crise de sensibilité régionale» sans commune mesure dans l’histoire contemporaine du Maghreb post-indépendance. La convergence conjoncturelle de cet événement-phare avec la chute du Mur de Berlin et le début du «collapsus» soviétique aurait donné à «la colombe-Algérie» des ailes à même de lui miroiter une «Glasnost» à la soviétique. Rien n’en fut, le songe ne fut qu’une chimère et le rejaillissent du sphinx de ses cendres ne fut qu’une question de piètres années. Soudainement, l’Algérie s’est réveillée comme dans un cauchemar sous les coups de boutoir d’une guerre civile ravageuse (1992-2000). C’est dramatique l’euphorie ne fut qu’une parenthèse aux souvenirs fort pathétiques…

Incontestablement, l’interruption du processus électoral par la grande muette à l’aube de 1992 a eu de graves conséquences sur toute la marche de l’Algérie du XXI siècle. Mais ce qui est étrange cette fois-ci est que le panorama politique en 2012 est auréolé d’une forme de consensus international quasi-total vu la présence de 500 observateurs venus des différentes organisations mondiales. Donc, point de retournement d’histoire ni d’un «remake» du coup de force des «janviéristes» car la méthode est désormais autre, elle s’appelle «douceur tactique» ou bien pour parler comme les esthéticiens «un lifting», c’est-à-dire que l’on a badigeonné les taches et laissé la cicatrice béante à l’extrême. Les taches sont les fraudes à la Neagelen aussi démoniaques que fantomatiques les unes des autres et cela depuis l’ère du parti unique et la cicatrice est immanquablement la confiscation du pouvoir politique dès le rayonnement du soleil de l’indépendance sur nos terres dépucelées par le colonialisme. Celui-ci est le premier viol qu’a subi l’Algérie, c’est un viol dans l’intime car il a cassé la société algérienne, ruiné son existence et sapé ses fondements. C’est un génocide culturel qu’il conviendrait de «criminaliser» en urgence dans la mesure où il a avili le principe de la «société humaine solidaire». Il faut le reconnaître, l’Algérie comme État ou institutions fut en 1962 un nourrisson mort-né ou pour schématiser un peu sa situation, «un bébé-éprouvette» puisque sa «naissance institutionnelle» fut artificielle et les interstices qui devaient permettre sa respiration furent quasiment bouchées, «le ratage démocratique» semble être inéluctable dès que le G.P.R.A fut illégitimement dessaisi par l’armée des frontières de sa mission politique de guider le pays vers la démocratie et les lumières. Le principe de «la primauté du politique sur le militaire» sur lequel aurait débouché le congrès de la Soummam en août 1956 a été mis aux orties en faveur d’une «militarisation excessive du politique», l’ombre d’un autoritarisme sans limites dans la période de l’après-guerre a plané au-dessus des structures dirigeantes durant la révolution. Notre ancienne élite doit assumer aujourd’hui, plus que tout autre jour, son échec multiforme, elle doit faire amende honorable pour sa victoire à la Pyrrhus à l’Algérie profonde qui gémit de frustration et de douleur, cette Algérie qui a été assassinée dans son fœtus, détourné de son fleuve et spoliée de ses ailes. La pauvre ! Elle a vu le jour poussin chétif, puis s’est transformé en un coq émasculé pour se retrouver au jour d’aujourd’hui une poule mouillée qui, de surcroît ne vole plus jamais. La vérité est amère et le destin est cruel surtout quand le langage de la franchise ne fraye guère son chemin dans les cervelles. C’est, somme toute, ce que l’on retient du fameux «algerian turmoil» comme l’appellent les anglais. Si les voix qui fredonnent la berceuse du changement sont nombreuses, celles qui en soutiennent le contraire sont pléthoriques, la culture de la «zâama» (leadership) a mis des muselières à la culture de la «chahama» (bravoure), les temps ont changé à la négative à tel point que l’on déterre de vieux faits d’armes et l’on rafistole l’épopée historique de tout un peuple pour les cirer d’un vernis politicien à des fins démagogues. Les funérailles et les éloges nationaux auxquels aurait donné lieu le décès de Ahmed Ben Bella, l’un des vétérans de la révolution de 54 ont, pour peu qu’ils soient une bonne initiative en vue de l’appropriation de notre histoire, montré tout de même jusqu’à où l’on pourrait aller pour créer de la zizanie dans les esprits et de la confusion dans la mémoire. Qui de ses prédécesseurs parmi les révolutionnaires a-t-il droit à de tels privilèges et qui de ses successeurs en aura-t-il le mérite dans l’avenir? Point d’interrogations qui reste ouvert à tous les pronostics. Les traditions politiques naissent dans notre pays au gré des humeurs de la nomenclature, tantôt on châtie et excommunie, tantôt on glorifie et gratifie tandis que la plupart des fois on mélange et rebat les cartes de façon si insidieuse et si malhonnête que l’on ne puisse plus distinguer la bonne graine de l’ivraie.

Ceci dit, l’étude de l’histoire est l’apanage exclusif de l’intelligentsia et des spécialistes et c’est à eux seulement qu’il appartient de la tamiser en collaboration avec ses protagonistes bien sûr. C’est également dans cette optique déformante que l’on est en mesure d’insérer la sempiternelle problématique de la fraude électorale dans le débat politique actuel. Cette gangrène cancéreuse qui grignote tel un rat d’égouts les bases de toute citoyenneté authentique, reste malheureusement le jeu de marelle préféré de notre classe politique. Chacun tire la couverture vers soi et accuse l’autre de supercherie et de malversation de la voix du peuple mais personne ne se sent dans l’obligation de se mettre debout comme une sentinelle pour défendre les frontières de la citoyenneté contre les virus de la corruptibilité et surtout de la «hogra». La maladie de l’Algérie a commencé le jour où l’on a oublié que la responsabilité est un engagement entier en faveur des intérêts suprêmes du pays et non pas un tremplin pour s’enrichir sur le dos des déshérités. La pléthore de partis politiques sans assise populaire tirés du néant et crées du jour au lendemain pour épater la galerie, le confectionnement des listes électorales avec comme devise implicite: la course effrénée vers leur chapeautement, l’immixtion des hommes d’affaires dans l’échiquier politique et l’instauration du «culte du fric» dans les mœurs sociopolitiques dénote on ne peut plus d’une certaine frénésie économique très aiguë, une étude sociologique urgente de la société algérienne est strictement conseillée en ces temps d’extrême fragilité. En vérité, la société politique donne l’impression qu’elle n’est pas encore sortie de la chrysalide d’adolescence et le peuple vit tristement par procuration. Le plus inquiétant dans ce diagnostic nauséeux est que la société est asynchrone car elle est en plein déphasage avec les idéaux d’antan, le «khobzisme» pour relayer un mot en vogue chez nos concitoyens a, au grand dam des couches populaires, battu en brèche tout sens civique, «le modèle patriarcal» qui n’encourage pas des traditions familiales correctes, basées sur la parité femme-homme et dont issu le poison de la dictature a affaibli la participation politique dans les pays arabes suivant les explications de le sociologue américo-palesinien Hicham Charabi (1).D’évidence, ce fléau-là continue contre vent et marées de dominer sur fond social très dramatique le cerveau arabe et le noyau fondamental du corps social qu’est l’individu, «le conflit des générations» se creuse chaque jour davantage. La femme, cet être fragile et résistant, est exclue de la sphère apparente du croquis urbain, nulle trace d’elle dès que la nuit installe sa tente sur les banlieues algéroises, c’est triste! Le harcèlement sexuel a déniché dans le gisement des tabous enfouis dans l’inconscient collectif son moteur de survie, même les centres d’appel ne sont plus opérables d’autant plus que le poids des traditions surannées a réprimé tout élan d’émancipation de la femme. L’islamisme anarchique et persécuteur en a, comble d’ironie, trouvé son fonds de commerce pour parasiter la cohérence sociétale et distiller un discours dogmatique qui jure avec ses pratiques douteuses sur le terrain tandis que la famille nucléaire a été fortement déstabilisée par les épluchures civilisationnelles qu’a déféquées intentionnellement la société de consommation. Bien pire, ces derniers temps, le substrat originel (l’élite ou ce qui est censé l’être) de la population du pays est plus conscient de ce qui se passe au-delà de l’autre rive de la Méditerranée que de ce qui se déroule sous ses pieds. On dirait que le pays est atteint du «syndrome maladif de schizophrénie». En toile de fond, l’inflation économique, plus de 6% au mois d’avril, aurait inhibé ce qui reste du pouvoir d’achat du citoyen, la pomme de terre, l’aliment du pauvre comme on dit communément dans les milieux populaires, a enregistré ses plus hauts prix ce dernier mois alors que la population semble emportée dans une sorte de déambulation indifférente où le sauve-qui-peut général se mêle ostensiblement avec une débrouillardise inégalée. Entre temps, les charges officielles sont devenues des sources de lucre et d’enrichissement rapide, le militantisme et les valeurs d’engagement sont bradés à bas prix au nom de la nouvelle déontologie du suivisme, de la tchipa et des passe-droits.

Sur un autre registre, l’on s’interroge d’ailleurs sur l’utilité de la fonction du député dans un régime qui a ouvert ses bras grands ouverts à un présidentialisme exacerbé où le décret exécutif tue automatiquement toute initiative de loi, selon l’économiste El kadi Ihsane dans une chronique publiée à El Watan, «l’introduction en 2001 du fonds de régulation de recettes budgétaires par le ministre des finances Abdelatif Benachenhou, a enlevé la main constitutionnelle des députés sur la répartition des ressources énergétiques […] la prise de contrôle par l’exécutif , en fait par le président de la République du différentiel entre un prix prévisionnel du baril à 19 dollars et un prix effectif du baril en moyenne à plus de 50 dollars à partir de 2005, marque un tournant symbolique dans la perception de l’assemblée nationale. Elle est vaincue». (2) Il en ressort à l’évidence que l’amendement constitutionnel de la fin 2008 n’a fait qu’empirer la situation de la chambre basse du parlement qui s’est vue dessaisir de façon dramatique de ses prérogatives décisionnelles. Le corps législatif a été affaibli par l’intrusion du pouvoir discrétionnaire du président de la République et les décrets de l’exécutif dans son champ de manœuvre, «la nation dirait le sociologue Lahouari Addi, n’est pas une idée mystique ; c’est une réalité sociologique à laquelle s’identifient ses membres qui s’organisent en État de droit où les pouvoirs exécutif, législatif, judiciaire sont séparés»(3) Hélas, l’Algérie est si injustement frappée par le sort dans la mesure où elle assiste pieds et poings liés à sa propre mortification par des élites prédatrices et sans scrupules, l’économie «compradore» aux ramifications internationales s’est jumelée avec les spéculations des barons de la rente pétrolière et des patrons des réseaux d’import-import qui financent l’économie informelle, véritable niche fiscale qui a perturbé l’équilibre macro-éconmique global du pays. Le dernier discours du président Bouteflika à Sétif à l’occasion des événements historique du 08 mai 1945 participe au grand malheur de toute l’Algérie de cette supercherie électoraliste à ciel ouvert, nos compatriotes usés par autant de méconnaissance et d’ingratitude de la part de la gérontocratie gouvernante, auraient souhaité en leur for intérieur pouvoir y trouver une goutte d’espoir à même de les désaltérer d’une boulimie politique aux contours monstrueux. Ironie du sort, la culture de la mamelle et de la vache à lait a conforté la nomenclature dans ses perversions démagogues et ses tendances liberticides, la prolixité des harangues sans portée réelle mais fort galvanisatrices des foules a réduit l’efficacité de l’acte à sa portion la plus congrue, la médiocratie s’est hissé, en se dressant sur ses pitoyables ergots, aux premières loges du mérite national et la génération de «la boundoukiya» comme dirait le Dr Tlemçani n’a pas encore décidé de passer la main. Le signe le plus parlant et le plus probant, sans doute, pour ne pas dire le plus patent de la dégénérescence du politique et de la politique en Algérie est la recrudescence du discours démagogue à forte dose d’élitisme. Le pays donne l’impression d’être labouré d’un soc de farniente caniculaire. Il est quasiment au point zéro. On dirait que l’esprit d’assistanat a reconquis ses lettres de noblesse dans le sillage du cyclone de l’hiver arabe.

Désormais et c’est d’ailleurs le seul point positif, la plèbe est désabusée, elle ne croit qu’en surface à ces amulettes-miracles et ces gris-gris des époques révolues, les forces augurales du bien sont pendues aux basques des puissances tutélaires du jeu politique. Pourquoi l’Algérie régresse-t-elle de jour en jour? Pourquoi la cherté de la vie n’a-t-elle que superficiellement été évoquée par les candidats à la députation du 10 mai? A-t-on déjà demandé des comptes aux anciens députés pour pouvoir espérer une meilleure gestion des deniers publics durant cette nouvelle législature qui vient de s’ébranler? Et puis y-a-t-il une raison valable et convaincante à ce rétrécissement inquiétant du sentiment patriotique parmi notre jeunesse qui ne rêve que de faire des adieux pathétiques à la mère-patrie au moment où celle-ci couve sur plus de 180 milliards de dollars de réserves de change et les rares militants d’opposition demeurent tristement ballonnés de leurs fausses certitudes de redressement national? Il est certain que ce flot de questionnements ne trouvera guère âme qui vive car rien n’est à même de mettre la lumière sur cette dilution aussi rapide que prévue d’appartenance à une même terre. La mauvaise gestion des collectivités locales, l’inertie des Dairas (sous-préfectures), la centralisation du pouvoir d’une manière jacobine et désorganisée, la privatisation ou «la patrimonialisation» des centres de décision sur un prototype clanique ont miné les ressorts énergétiques du civisme citoyen. En conséquence, les algériens sont gagnés en profondeur par le désintéressement et rechignent à frayer avec des caméléons qui changent de veste à chaque saison. Certes, l’abstention n’est plus une réponse adéquate à une grave crise de valeurs et d’éthique mais il n’en demeure pas moins qu’elle est un prélude à une mobilisation populaire, pacifique et d’envergure en vue d’un saut qualitatif vers le progrès. Selon le philosophe maghrébin Abderahmane Ibn Khaldoun (1332-1406), les facteurs dynamiques qui sont les éthiques de gens et leur comportement dans la vie quotidienne sont le solvant capable de changer la culture, et changer celle-ci implique par un simple syllogisme socratien le changement de la société dans son ensemble (4). C’est à cela que devrait aspirer tout peuple conscient de son histoire et résolu à prendre son destin en main.

Notes de renvoi

(1) Hicham Charabi: la société patriarcale et la problématique d’une société arabe différente, le centre d’études de l’unité arabe, 1985, (en arabe)
(2)El kadi Ihsane, Quand la faillite de l’A.P.N ne couvre plus le coût d’aller aux urnes, chronique économique hebdomadaire, El Watan 30 Avril 2012
(3) Lahouari Addi, l’intellectuel et le général, le Soir d’Algérie, 15 janvier 2012
(4)Voir mon article, culture et société, l’équation de la modernité, le Quotidien d’Oran, 05 janvier 2012

Kamal Guerroua, universitaire

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