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Les « janviéristes » tablaient sur 60000 morts et cela ne les gênait pas outre mesure.

 

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Abderezak LAIBI

« Pour en finir avec l’affaire du tribunal suisse. » Tel est le titre de l’article signé par Monsieur MAAMAR FARAH et paru dans le Soir d’Algérie du 13 août 2012. En vérité, cette affaire ne finira jamais avant d’avoir livré tous ses secrets, car on ne peut garder le silence sur tout ce qui s’est passé durant ces deux dernières décennies et même avant.

MAAMAR FARAH a le mérite d’afficher sa franchise et c’est tout à son honneur ; il déclare notamment qu’un journaliste ne peut être objectif. Tout le monde le savait mais il a le mérite de nous le rappeler. Il nous apprend plus loin que les initiateurs du coup d’état de janvier 1992 (« les sauveurs du système républicain », selon lui), tablaient sur 60000 morts et les patrons de presse avaient été tenus informés de l’imminence de cette initiative et de ses lourdes conséquences. Cet aveu fait de sa corporation  une  complice à part entière, car très informée à la veille de l’opération, tout ce qui a pu être écrit par la suite dans leurs feuilles de chou – pour employer un euphémisme – ne pouvait l’être que dans le cadre d’une vaste opération de propagande.

Monsieur MAAMAR FARAH ne peut concevoir qu’on ait plus de deux avis. Soit on est dans le camp islamiste, soit dans le camp de ceux qui soutiennent l’intervention de l’armée. Cette vision binaire et manichéenne est très réductrice et résulte de la lobotomisation et du formatage qu’il a subi, lui et la quasi-totalité de sa corporation, depuis le coup d’état de l’été 1962.

Il existe pourtant une troisième voie, n’en déplaise aux tenants de l’éradication.

Les islamistes sont des Algériens à part entière. Ils représentent une partie importante du peuple algérien. C’est une réalité sociale et politique indéniable. A-t-on le droit de sacrifier des pans entiers de la société, sous prétexte d’un danger du reste tout à fait  hypothétique qui résulterait de l’accession au pouvoir des islamistes, par la voie des urnes qui plus est ?

Les janviéristes savaient qu’ils n’allaient pas faire dans la dentelle. Ils tablaient sur 60000 morts et cela ne les gênait pas outre mesure. MAAMAR FARAH dit que ses pairs et lui-même savaient que cette intervention n’allait pas être une œuvre de broderie. En effet, plutôt qu’à une œuvre de broderie, nous assisterons à un véritable démembrement du tissu humain et social jusque dans les contrées les plus éloignées de notre pays déchiré. Nous aurons droit à plus de 250000 morts, 25000 disparus, des centaines de milliers de veuves et d’orphelins, 25000 internés dans les camps irradiés du Sud, la torture, les viols, les exécutions sommaires, les assassinats politiques, les maladies mentales, 500000 exilés parmi les meilleurs fils de l’Algérie et j’en passe.

Même si cette intervention avait abouti à la victoire, elle aurait  été une victoire à la Pyrrhus.

Or, peut-on parler de victoire d’un camp contre un autre camp au sein d’un même peuple ? Les sociétés civilisées règlent leurs différends en s’asseyant autour d’une table et en faisant appel à leurs sages.

L’actuel président de la république qui n’est pas exempt de reproches a lui-même qualifié l’interruption du processus électoral de première violence. Ceux qu’on appelle les décideurs et qui nous ont menés à la perte en investissant le champ politique avaient la possibilité d’être les arbitres d’un processus démocratique dont ils se devaient de garantir la poursuite jusqu’à son terme, quitte à devoir intervenir par la suite à bon escient et à juste titre cette fois en cas de dérapage ou de dérive des vainqueurs.

Le malheur est que cette intervention n’aura servi strictement à rien sinon à détruire tout ce qui a été élaboré auparavant, en terme de potentiel humain, d’infrastructures sociales et économiques, de justice, de diplomatie, bref de souveraineté nationale puisqu’on observe que les décideurs ne parlent plus qu’à voix feutrée sur la scène internationale, pourvu qu’ils ne soient pas inquiétés par les grandes capitales. D’ailleurs, ils ne pourront aucunement inquiéter les Suisses qui abritent leur rapine.  Du reste, pourraient-ils renoncer à leurs séjours de rêve au bord du lac Léman ?

C’est cette intervention qui a engendré des parasites à la tête du gouvernement, à l’image d’un Chakib Khelil, auteur du bradage de nos ressources en hydrocarbures et que je considère pour ma part beaucoup plus dangereux et bien plus nocif que n’importe quel islamiste, fût-il armé. C’est cette intervention qui a permis l’émergence de larbins comme Mourad Médelci qui s’en est allé remettre sa copie en tremblotant au Palais Bourbon, devant des députés médusés qui n’en attendaient pas tant de lui. Tous ces responsables à l’image d’un Djamel Ould-Abbas anachronique, ont concouru à la clochardisation de notre immense et beau pays, par leur gestion insensée et folklorique de leurs ministères respectifs, dans l’indifférence étrange, voire la bénédiction de la présidence de la république.

Monsieur MAAMAR FARAH se rachète malgré tout à la fin de son exposé en appelant à faire éclater la vérité et à rendre la justice sur tous les actes commis durant ces années de ténèbres et d’enfer. Il parle à juste titre du complot ourdi contre Mohamed BOUDIAF – un parricide indigne et une trahison sans nom – qu’un Ali Haroun est allé arracher à son exil politique après des suppliques auxquelles Tayeb El Watani n’a pu rester indifférent et qui garde un silence troublant depuis ce forfait abject. MAAMAR FARAH évoque également les 127 jeunes Kabyles tués gratuitement en 2001. Il a oublié de citer tous ces hommes valeureux qui sont tombés sous des balles « fraternelles » dans le cadre d’une vaste opération visant à nettoyer un terrain jugé  hostile par les interventionnistes, car ayant à leurs yeux, une vision plus saine du règlement de la crise, axée autour du dialogue et de la négociation. Kasdi Merbah, approché par des responsables du FIS et dont l’initiative fut encouragée par Liamine Zéroual, est celui qui le 12 juillet 1993 a lancé un appel solennel à toutes les parties, les invitant à se retrouver autour d’une même table pour sauver l’Algérie. D’ailleurs Liamine Zéroual avait invité Kasdi Merbah à approfondir ces contacts. La réconciliation nationale concoctée et voulue par l’actuel président de la république n’a absolument rien à voir avec celle que préconisait Kasdi Merbah à travers son appel historique du 12 juillet 1993. Elle est arrivée très tard – après 12 longues et terribles années – et vise surtout à obtenir une amnistie générale après une véritable hécatombe humaine. Kasdi Merbah, paiera de sa vie cette courageuse initiative. Son fils Hakim universitaire à peine âgé de 23 ans, son frère Abdelaziz médecin, ainsi que leurs deux compagnons subiront le même sort. Cette affaire non encore ou partiellement élucidée se sera illustrée par une enquête bâclée (comme celle de Boudiaf et des autres) et un procès expéditif mettant en scène de pauvres bougres de Bordj-El-Bahri que j’ai personnellement connus comme étant des personnes correctes de la région, et que sa consœur Zineb Oubouchou, alias Salima Tlemçani s’obstine à présenter comme les auteurs de l’assassinat, sous la férule d’un Hattab fantomatique à l’image de Djamel Zitouni, Antar Zouabri et Abderezzak  Saïfi et autre Layada qui s’est même permis d’assister à l’enterrement de son ami « El Hadj ».

Monsieur MAAMAR FARAH oublie d’évoquer l’ignoble assassinat de son confrère Saïd Mekbel qui peu de temps avant s’est confié à une journaliste allemande. Abdelkader Hachani, un sage parmi les sages, a subi le même sort. Matoub Lounès, chantre de la poésie kabyle, toujours vivant dans nos cœurs, n’a pas échappé à ce funeste sort. Il est impossible de citer nommément toutes les victimes mais un jour viendra où nous devrons, comme pour exorciser les démons qui ont habité les décideurs, édifier un Mémorial et graver sur le granit les noms des 250000 Algériens tombés durant  cette période sombre et lugubre de notre histoire.

Tout a été fait pour créer la confusion et empêcher toute lisibilité politique des événements et les médias y ont largement concouru. Il est clair que la violence s’est manifestée de toutes parts et c’est pourquoi la nécessité de jeter la lumière sur cette période est capitale si l’on veut que les consciences soient apaisées. On ne peut pardonner à une personne coupable qui ne fait pas l’effort de demander le pardon. La culpabilité ne peut être assise que sur la base d’un vaste travail d’enquêtes indépendantes et de justice menées par des magistrats instructeurs intègres en Algérie, ici-même dans notre pays. Les décideurs doivent faire l’effort intellectuel et moral de quitter dans les plus brefs délais un pouvoir qu’il ont longtemps squatté et laisser la place à de jeunes compétences jalouses de l’avenir de leur pays, les forces vives dont notre pays regorge, pourvu qu’elles aient les coudées franches . Avant de se présenter devant le Seigneur – ce qui ne saurait tarder par la loi implacable de la biologie –  les décideurs gagneraient à assumer cette lourde responsabilité. Le cas échéant, ils ne devront pas s’étonner de subir l’ultime affront d’être jugés par des juridictions étrangères et de précipiter le pays dans le chaos général.

 

 

Abderrezak LAÏBI

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