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Me Amine Sidhoum : La justice est prise en otage

 

El Watan le 07.09.12

 

 

Le 5 septembre, Abdelkader Kherba, militant des droits de l’homme, a été jugé par le tribunal de Ksar El Boukhari pour outrage à fonctionnaire. Maître Amine Sidhoum fait partie du collectif d’avocats qui le défend. Entre dossier vide, témoins contradictoires et réquisitoire inadapté, il dénonce une attaque contre le militantisme.

- Vous avez déclaré que le procès d’Abdelkhader Kherba était celui de son activité militante. Cela s’est-il ressenti à l’audience ?

Il y avait des policiers autour du tribunal, on voyait que le magistrat était gêné. Le jour de l’audience, Kherba était le seul prévenu. Normalement, il y a une dizaine, une vingtaine d’audiences pénales par jour dans un tribunal. Le fait qu’Abdelkader Kherba soit programmé tout seul indique qu’il y avait quelque chose d’exceptionnel. Mais le juge a essayé de montrer à l’opinion publique que ce procès était une affaire de droit commun comme les autres. L’objectif du système est de banaliser l’activité des droits de l’homme et de la mettre au niveau du droit commun. Or, ce n’est pas le cas. Kherba est quelqu’un d’actif, affilié au Snapap, qui participe à tous les mouvements de protestation, qui diffuse des vidéos de ces mouvements. Il est dangereux aux yeux de certaines personnes.
- Kherba a été arrêté pour outrage à corps constitué. Est-ce un motif valable pour une arrestation et une mise en détention provisoire ?

Non, le dossier est complètement vide. Les déclarations des trois témoins de l’accusation étaient contradictoires et n’avaient aucun sens. Pour l’un, le fonctionnaire qui porte plainte a reçu un coup au niveau des cuisses. Pour l’autre, c’est au niveau du ventre. L’un affirme que 18 citoyens présents dans la mairie étaient témoins. L’autre explique que le jour du délit n’était pas un jour de réception de la daïra, il ne pouvait donc y avoir aucun citoyen à l’intérieur du bâtiment. Cette procédure n’a aucun fondement juridique et n’est pas une raison valable pour mettre Kherba en détention provisoire. Bien sûr, c’est une appréciation qui relève du procureur, mais ce dernier ne doit pas dépasser ses prérogatives.
- A la sortie de l’audience vous avez déclaré que le réquisitoire du procureur (1 an de prison ferme et 20 000 DA d’amende, ndlr) n’était pas adapté. Pourquoi ?

Kherba a été poursuivi sur la base des articles 144 et 148 du code pénal qui parlent d’outrage et d’agression de fonctionnaire. La peine qui correspond à ce chef d’inculpation est de 2 à 5 ans d’emprisonnement. Si Kherba avait réellement agressé ce fonctionnaire, le procureur aurait requis au moins 2 ans de prison. Il n’a alors demandé qu’une année. Cela ne correspond ni à l’article 144 ni l’article 148. Or, c’est le procureur qui a lancé les poursuites contre Abdelkader Kherba. On en revient à la même conclusion. Le dossier est vide. C’est très grave.
- Votre client a été arrêté à la suite d’une manifestation. Cette manifestation était-elle illégale?

Cette manifestation était légitime par rapport aux demandes de la population qui n’avait pas d’eau depuis deux semaines. L’Etat n’arrive pas à assurer les droits élémentaires tels que l’accès à l’eau. Si ce pouvoir n’est pas capable de fournir de l’électricité, du gaz et de l’eau, il n’a qu’à partir et laisser sa place à des gens compétents.
- Comment se passe la détention de votre client ?

Actuellement, Abdelkader Kherba est très fatigué. Comme, il est en grève de la faim, il a été placé en isolement. Ses avocats et sa famille peuvent le voir.
- Dans ce procès, les droits de la défense ont-ils été respectés ?

Oui. Certains avocats ont eu des problèmes pour avoir accès au dossier. Il s’agit là de problèmes de gestion administrative. Personne ne sait si ces difficultés étaient volontaires ou involontaires. Nous avons malgré tout pu récupérer le dossier.
- Quelle est votre ligne de défense ?

D’abord la procédure de flagrant délit n’a pas été respectée. Les faits ont eu lieu le 3 juin. L’audition d’Abdelkader Kherba a été faite le 21 août. Ensuite, nous contestons les faits reprochés à notre client. Il était à Alger le 3 juin. Je ne vois pas comment il pouvait assister à une réunion dans la capitale et agresser un fonctionnaire de Ksar El Boukhari (Médéa), le même jour. Enfin, la qualification des faits n’est pas correcte. La victime n’est pas fonctionnaire, mais contractuelle. Il ne peut donc pas s’agir d’un outrage à fonctionnaire. L’accusation explique que les faits se sont déroulés dans le bureau du secrétaire général de la daïra. Alors pourquoi ce dernier ne porte-t-il pas plainte ? Il a la qualité de fonctionnaire.
- Les éléments que vous relevez peuvent être relevés par n’importe quel homme de loi. Comment expliquez-vous que le procès ait eu lieu ?

Ils voulaient museler Kherba, car c’est un homme qui commence à déranger à cause de ses activités socioéconomiques avec le Snapap et de par le soutien qu’il apporte aux différents protestataires. Dans le cadre du comité des chômeurs, il a dénoncé plusieurs violations. Ce sont des facteurs qui ont poussé à des poursuites judiciaires. Ce n’est pas nouveau. On utilise toujours la justice pour museler les militants. On espère avoir une justice indépendante un jour.
- Ces mises en cause judiciaires de militants des droits de l’homme se multiplient-elles ?

Depuis le mois de janvier 2012, les poursuites contre tout activiste ou militant des droits de l’homme ont augmenté. D’abord les membres du comité de chômeurs de Laghouat. Puis, le comité des concierges qui demandaient la régularisation de leur situation et qui ont été condamnés. Il y a eu l’affaire de Kherba, celles de Yacine Zaïd et de Tarek Mameri. En septembre, 37 personnes vont comparaître devant le tribunal de Hussein Dey pour avoir manifesté et dénoncé le résultat des élections. En octobre, 43 gardes communaux seront jugés pour attroupement. Ces poursuites s’accentuent de jour en jour. Le nombre de militants augmente. Ce système a peur de tout groupe organisé, des associations comme des syndicats.
- La justice est-elle dans son rôle?

La justice est prise en otage.

 

Bio express :

Amine Sidhoum, 34 ans, est avocat depuis 2002. Il obtient sa licence et son certificat d’aptitude à Alger et se spécialise dans la criminologie. En janvier 2012, il participe à la création du Réseau des avocats pour la défense des droits de l’homme (RADDH), dont il est le coordinateur. S’il est l’avocat de nombreux militants des droits de l’homme, il a aussi participé au procès du wali d’Oran en 2004 et à plusieurs affaires de droit commercial.

 

Yasmine Saïd

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