En apparence, Abdelmalek Sellal mène campagne pour un 4e mandat d’Abdelaziz Bouteflika. En réalité, il avance caché. Il est en position de récupérer la mise dans le cas probable d'un renoncement du président malade. Selon une source bien informée auprès de l'armée, son nom est le seul qui a convenu à ce dernier et au chef du Département du renseignement et de la sécurité (DRS), le général Mohamed Mediene (Toufik). Un scénario écrit mais toujours révisable.
Le renoncement d’Abdelaziz Bouteflika à briguer un quatrième mandat est une « hypothèse forte » depuis quelques semaines. Plusieurs sources proches du pouvoir et dans l'opposition l'ont affirmé ces derniers jours, en public ou dans des cercles privés. Mais s'il devait se confirmer, pour quel candidat devrait il ouvrir la voie du soutien du système pour succéder au président sortant ? Abdelmalek Sellal est le nom sur lequel le président Bouteflika et l'armée, à travers le Département du renseignement et de la sécurité (DRS), se sont mis d'accord fin octobre dernier. « Bouteflika a fini par accepter de parler avec le général Toufik d'un candidat aux élections présidentielles qui ne soit pas lui-même. Le nom du Premier ministre est le seul qui a convenu aux deux parties », a affirmé à Maghreb Emergent une source bien informée auprès de l'armée algérienne.
Abdelaziz Bouteflika devrait retarder jusqu'au mois de février l'annonce de sa retraite politique, un délai pendant lequel il va s'assurer d'écarter tout risque de voir le siège présidentiel échoir à un autre candidat que celui adoubé par lui en accord avec l'ANP. Ce dont il s'est donné les moyens directs avec, notamment, le remaniement ministériel du 11 septembre dernier. Un accord existait déjà entre Bouteflika et l'armée depuis septembre 2012, avec le départ de l’ancien Premier ministre Ahmed Ouyahia, pour confier à Abdelmalek Sellal la conduite de cette phase, toujours délicate politiquement, de l'année pré-électorale. L'accident vasculaire cérébral du chef de l’Etat, le 27 avril dernier, a, de fait, changé la feuille de route. L’actuel Premier ministre est devenu le dépositaire non exclusif de l'héritage boutéflikien. Il est un plan B du système, passé au rang de plan A dans le plus grand secret, en attendant de devoir, sans doute, se dévoiler dans quelques semaines.
Un scenario qui peut encore se réécrire si Bouteflika...
Ce scénario qui se précise d’un renoncement tardif d’Abdelaziz Bouteflika à un quatrième mandat ouvrant la voie à la candidature d’Abdelmalek Sellal est exposé à des risques de révision. Le premier serait que le premier cercle du président conduit par Saïd Bouteflika, son frère et véritable fondé de pouvoir, maintienne sa pression pour le convaincre de répondre oui aux appels qui lui sont lancés à briquer un quatrième mandat. Pour notre source, ce rebondissement n'est pas totalement exclu: « Le président est versatile. Il est accroché à sa fonction. Il est clair qu'il peut, surtout s'il se sent un peu mieux dans un mois, convoquer le général Toufik au téléphone pour explorer avec lui le cas où il se porterait candidat à la Présidence. »
Dans les faits, le temps ne joue pas vraiment pour le président. Sa situation personnelle, d'ici là, risque plutôt de le pousser vers la sortie. Le débat politique va s'intensifier avec les candidatures qui se préparent à être lancées et son handicap, qui le maintient absent de la scène, sera encore plus pesant. De même, le scandale Khelil n'a pas fini d'éclabousser la maison Bouteflika au fil de la procédure judiciaire en Italie et désormais aux Etats Unis. Enfin, le report de la révision de la Constitution qui va s'officialiser à la fin de l'année devrait sonner comme un aveu de l'impuissance présidentielle à faire passer son agenda personnel. La campagne pour le quatrième mandat, même si elle se poursuit, peine à monter en puissance. Elle s'est ressentie ces derniers jours du flottement autour des intentions présidentielles.
Dans un entretien au journal électronique Tout sur l’Algérie (TSA), Réda Hamiani, le président du Forum des chefs d’entreprises (FCE), a résumé la situation à la fin de l'assemblée générale qui l’a réélu à la tête de cette association, jeudi dernier à Alger: « Il y a de l'incertitude et des inconnues liées au contexte politique. » « Le FCE a été invité à appeler à un quatrième mandat du président », a avoué à Maghreb Emergent un de ses vice-présidents. Le président du FCE, lui, a choisi de temporiser, espérant que ce soit Abdelaziz Bouteflika lui- même qui lève les inconnues « par exemple, en présentant sa candidature ». Une pirouette qui illustre bien le peu d'unanimité qu'arrive à obtenir parmi ses soutiens traditionnels le projet d'un quatrième mandat du président.
La guerre désormais ouverte au sein des anciens comités de soutien d’Abdelaziz Bouteflika entre « pro-quatrième mandat » et « pro-départ à la retraite honorable » est un autre facteur de confusion pour les indécis. De même, la persistance d'une opposition forte à la « conquête » de la direction du FLN par Amar Saïdani empêche l'ancien parti unique de jouer le rôle de locomotive pour un autre mandat comme cela a été le cas en 2008 sous l'autorité d’Abdelaziz Belkhadem.
La récente promotion d’Abdelmalek Sellal au titre d'ordonnateur financier de l'ANP a affaibli le courant Saïdani, le premier à avoir tenté de casser l'option de la candidature du Premier ministre. « Cette décision fait partie de la feuille de route de l'accord secret » selon notre source, de même que la mise sous l'éteignoir par Alger du mandat de recherche international contre Chakib Khelil soupçonné d’avoir été impliqué dans de tonitruantes affaires de corruption lorsqu’il dirigeait le puissant département de l’énergie et des mines.
La tentation existe chez Abdelaziz Bouteflika de suivre la branche de ses proches qui tient à le voir s'engager pour un quatrième mandat, au risque de remettre en cause un accord secret péniblement dessiné avec l'ANP. L'invitation à respecter cet accord a de meilleurs atouts. La récente intervention, à sa demande, de l'ambassadeur des Etats-Unis en Algérie, très réservé sur l'idée d'un quatrième mandat de Bouteflika est à classer au chapitre des atouts en faveur d'un passage de relai « en préservant la stabilité ».
Abdelmalek Sellal face à deux adversaires majeurs : Ali Benflis et… lui-même
Abdelmalek Sellal est en campagne présidentielle depuis six mois. Il s'est peu bonifié politiquement avec l'exercice. La faiblesse ahurissante de son arabe, ses formules à l'emporte pièces, ses confusions déroutantes, signe extérieur d'une inculture très préoccupante à ce niveau de responsabilité, ont fait de son nom un tag très populaire sur le web…pour rire.
C'est le premier handicap que devra dépasser le candidat de substitution du système Bouteflika-ANP. En a-t-il les moyens ? « Tant qu'il n'est pas encore déclaré et qu'il n'a pas d'adversaires déclarés, il peut encore glisser sur sa fonction de Premier ministre à responsabilité limitée, estime un haut fonctionnaire des collectivités locales. Mais après, il aura à essuyer les coups. Et s'il se montre toujours aussi maladroit en public, alors il faudra recourir massivement à la fraude pour le faire élire. » Un recours à la fraude qui se profile d'autant que des candidatures sérieuses, outre celle déjà assumée d’Ahmed Benbitour, sont imminentes.
L'entrée en lice d’Ali Benflis, l'ancien Premier ministre et challenger de Abdelaziz Bouteflika aux présidentielles de 2004, est le premier tournant attendu, en ce mois de décembre, à la course au palais d'El Mouradia. Abdelmalek Sellal devra alors compter avec un candidat qui prépare sa campagne de longue date et qui a conservé des appuis à l'intérieur du système. En attendant, le Premier ministre a choisi de réserver sa première attaque à Mouloud Hamrouche pourtant très en retrait dans cette pré-campagne électorale. Il a peut-être lui-même dévoilé, ainsi, sa hiérarchie des candidatures qu'il redoute voir dérégler l'agenda de son élection sous double protection du président sortant et de l'ANP.
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