L’affaire des moines de Tibhirine semble encore loin de connaître son épilogue. En visite depuis dimanche à Alger, la ministre française de la Justice a de nouveau relancé le débat sur un sujet que l’on croyait clos en déclarant crûment qu’il était «temps d’arriver au terme de ce dossier».
Abla Chérif - Alger (Le Soir) - Les propos qu’a tenus Mme Christiane Taubira lors d’une conférence de presse animée conjointement avec son homologue algérien, M. Tayeb Louh, sont sans équivoque. «Il est urgent, a-t-elle ainsi déclaré, que les familles des sept moines français enlevés puis tués en 1996 en Algérie connaissent la vérité sur la mort de leurs proches, d’avoir une réponse et de savoir très précisément ce qui s’est passé. Nous en avons le souci de part et d’autre.»
Sans entrer dans les détails, Mme Taubira a également annoncé «qu’il y a encore quelques actes d’expertise à accomplir et nous disposerons des matériaux nécessaires pour le faire». Sur un ton grave, elle s’est ensuite adressée aux familles des moines en disant : «Pendant des années, vous avez eu le sentiment d’être seules, d’être abandonnées. Il revient aujourd’hui de poser des paroles sur ces blessures qui sont profondes et nous savons parfois que les cicatrices saignent plus encore que les plaies.» Le sujet a-t-il été évoqué avec le ministre algérien de la Justice ? A-t-elle introduit une demande officielle des autorités judiciaires françaises afin de pouvoir aller au-delà des limites auxquelles se sont retrouvés confrontés les deux magistrats qui avaient assisté en 2014 à l’exhumation des crânes des moines ? Tayeb Louh s’est abstenu de commentaire sur le dossier, mais les propos de Mme Christiane Taubira ne laissent planer aucun doute. «Il s’agit, dit-elle, d’une procédure dans laquelle la coopération entre l’Algérie et la France est extrêmement intense».
Même si elle s’est refusée à livrer des détails, il apparaît clairement que les «actes d’expertise» à venir font suite au travail mené donc par les deux juges français, Marc Trévidic et Nathalie Poux, venus à Alger en octobre 2014 pour «enquêter» une nouvelle fois sur les circonstances de la mort des sept moines enlevés puis assassinés en 1996. A l’époque, le GIA (Groupe islamique armé) avait revendiqué le meurtre des religieux dans un communiqué daté du 21 mai 1996.
Dans ce document, le GIA révélait également avoir dépêché un messager à l’ambassade de France pour négocier le sort des moines encore vivants. L’affaire s’est ensuite tassée pendant de longues années avant d’être officiellement remise sur le tapis suite, dit-on, à une pression des familles des victimes. C’est ainsi que l’enquête menée par les deux juges français a abouti à de nouvelles conclusions.
Dans leur rapport, Marc Trévidic et Nathalie Poux indiquent que les religieux auraient été décapités bien après leur mort. Les deux experts se basent sur les résultats des analyses issus des prélèvements effectués sur les crânes des moines. Toujours selon ces mêmes experts, «ces prélèvements indiquent que la décapitation a eu lieu post mortem, enterrés une première fois puis exhumés et à nouveau enfouis sous terre. Les éléments botaniques et la présence de terre différente de celle du cimetière de Tibhirine (où sont enterrés les moines) sont en faveur d’une première inhumation. En revanche, en raison de l’absence des corps, il est impossible de dire s’il y a eu mauvais traitement ou torture».
Le juge Marc Trévidic avait ensuite déclaré à la presse que «les experts ont pu conclure à 80% les causes et la date de la mort, mais pour avoir une certitude, il nous faut vraiment ces prélèvements». On se souvient cependant que l’Algérie avait refusé que le juge Trévidic emporte en France les prélèvements des dépouilles pour les analyser ce qui avait fait dire à l’avocat des familles de victimes qu’il s’agissait là d’une «confiscation de preuves».
A en croire les propos de la ministre française de la Justice, ce «blocage» pourrait cependant être levé du moment qu’elle évoque l’existence d’une prochaine étape «d’expertise» à même de conduire aux conclusions définitives et ce, avec l’apport de l’Algérie («nous en avons le souci de part et d’autre»).
L’affaire risque non seulement de connaître de nouveaux rebondissements mais de sombrer dans un débat dont on imagine mal l’issue…
A. C.