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États et frontières

  • Afrique : peuples, nations, États et frontières


    Par : Mustapha Hammouche

    Au moins deux pays africains ont connu la partition : l’Éthiopie-l’Érythrée et le Soudan. Une partition agréée par l’Union africaine et les Nations unies. Au moins un peuple africain s’est vu délester de sa souveraineté après son indépendance : le peuple sahraoui.
    Les deux cas de scission, entamée dans la violence, ont fini par être agréés comme un moindre mal par des instances régionales et internationales qui, devant la profondeur du conflit, ont fini par constater le divorce et par désespérer d’une quelconque réconciliation. Dans l’affaire de l’annexion du Sahara Occidental, les mêmes instances jouent le pourrissement, parce qu’elles n’arrivent pas à trancher entre le principe légal (d’autodétermination des peuples anciennement colonisés) et le principe de réalité (le fait accompli de l’annexion marocaine).
    Le primat du fait sur le principe a permis l’indépendance de l’Érythrée et du Sud-Soudan. L’histoire récente de l’Europe a fait la démonstration de la supériorité de la nation sur l’État. La chute du Mur qui a libéré les nationalismes étouffés par l’autoritarisme soviétique : l’ex-Tchécoslovaquie a choisi la voie pacifique pour une séparation sans dégâts, mais l’ex-Yougoslavie a dû payer le prix de la tentation d’une unité forcée.
    Les deux situations, africaine et est-européenne, ne sont évidemment pas comparables. Mais les deux illustrent la difficulté d’ériger l’intangibilité des frontières en principe inviolables. Il est difficile de s’opposer à la volonté d’un peuple qui finit par se concevoir une conscience de peuple. S’il ne trouve pas sa place dans la nation établie, il se forme naturellement en lui une conscience nationale propre.
    En Afrique, la sécession de l’Érythrée a coûté trente ans de guerre et celle du Sud-Soudan vingt ans. C’est la preuve que la règle posée par les États africains de l’immuabilité des frontières héritées de la colonisation ne résiste pas toujours et dans la durée à la réalité sociopolitique. Il se trouve que les pouvoirs, à base ethnique ou tribale, qui ont succédé aux autorités coloniales, ont généralement pensé pouvoir conserver une cohésion nationale dans leur pays en l’imposant. La revendication spécifique des entités ethniques, régionales, tribales ou culturelles a toujours été accueillie par la répression. Et même si c’est l’injustice économique, sociale, culturelle et politique qui provoque l’éveil du sentiment particulariste, l’atteinte à l’unité nationale constitue le premier prétexte de la répression politique dans ces États. Ce faisant, il aggrave le sentiment d’externalité de la communauté réprimée.
    La démocratie seule aurait pu désamorcer le piège des frontières coloniales, pas toujours en rapport avec la réalité anthropologique. Mais les régimes qui ont succédé au joug colonial ont préféré reconduire le même procédé de sujétion des peuples. Au lieu d’élaborer des stratégies de consolidation, voire de construction, de l’unité nationale, les régimes post-coloniaux en ont fait un argument de légitimité et de répression : il faut qu’elle soit menacée pour qu’ils puissent légitiment sévir.
    Avec le temps, l’Afrique se retrouve contrainte de se préparer à un vrai péril, celui des éveils communautaires.