à l'interieur
Situation extrêmement tendue en Égypte : face à l’ampleur du soulèvement populaire contre le régime Moubarak à travers tout le pays, c’est l’armée qui commençait, dès la fin de l’après-midi d’hier, à prendre le relais de la police, complètement dépassée.
Kamel Amarni - Alger (Le Soir) - C’est d’ailleurs «le gouverneur militaire» et la télévision officielle «précisera» que c’est Moubarak, qui, comme première mesure, décrète le couvre-feu, de 18h à 7h dans les trois villes du Caire, d’Alexandrie et Suez, selon la télévision égyptienne. L’intervention de l’armée était prévisible dès le début de l’après-midi, au sortir de la prière du vendredi. La veille, le mouvement dit «du 6 avril» qui a enclenché la «protesta» dès mardi dernier, avait lancé un appel au peuple Égyptien pour faire de cette journée «le vendredi de la colère». Un appel appuyé par l’ensemble de l’opposition, notamment le redoutable mouvement des Frères musulmans. Jusqu’à jeudi, les affrontements avaient déjà fait sept morts, ce qui a, naturellement, accru le sentiment de révolte parmi la population. Considérablement dopés par l’exemple tunisien, les Égyptiens prendront d’assaut, par dizaines de milliers et pratiquement dans toutes les villes du pays, la rue avec des revendications qui ne laissent plus de place aux solutions intermédiaires : «Moubarak dégage», «Nous ne voulons plus de Moubarak», «30 ans , ça suffit » ! » etc. Comme à chaque fois depuis mardi dernier, la police chargera violemment, avec usage des gaz lacrymogènes, des balles en caoutchouc, des arrestations massives, occasionnant un huitième mort parmi les manifestants dans la ville de Suez. Mohamed El- Baradei, ancien président de l’Agence internationale à l’énergie atomique, prix Nobel de la paix 2005 et candidat contre Moubarak à la prochaine élection présidentielle, rentré la veille au pays pour «participer aux manifestations», sera, lui, mis en résidence surveillée dès la fin de la prière du vendredi. A Alexandrie, deuxième ville du pays, les manifestants ont incendié le siège du gouvernorat (l’équivalent de la Wilaya), ainsi qu’à Mansourah. A Suez, ils ont mis le feu à deux commissariats de police. Ailleurs, et à bien des endroits, ce sont les véhicules de police ainsi que les locaux du parti au pouvoir, le PND (Parti national démocratique) de Hosni Moubarak, qui ont subi les assauts incessants des manifestants. Début de soirée, la police ne pouvait plus contenir les déferlantes humaines dans plusieurs villes du pays au point de se replier carrément dans bien des endroits, tel à Alexandrie. Au Caire, les manifestants, par dizaines de milliers, ont pris possession de la la place Atahrir, la plus importante de la ville, malgré le couvre-feu. Ils ont réussi à mettre le feu dans le symbole même du régime trentenaire de Moubarak, le siège national du PND, le parti-Etat, version égyptienne. Le Raïs dans tout ça ? Curieusement, il ne s’est à aucun moment prononcé jusqu’à hier vendredi, à l’exception de la décision du couvre-feu et de l’appel à l’armée «pour soutenir la police», annonce faite par la télévision d’Etat. Or, contrairement à la Tunisie par exemple, il y a lieu de rappeler qu’en Egypte, c’est l’armée qui est au pouvoir. De plus, le pays est sous état d’urgence depuis l’assassinat de Anouar Essadat en 1981. L’intervention de l’armée était donc «mécanique» pour ainsi dire. En situation d’état d’urgence, c’est l’armée qui assure les missions de police, en effet. N’empêche, le silence de Moubarak reste énigmatique pour le moment. Est-il dépassé par les événements ? Veut-il, au contraire, éviter les erreurs de Ben Ali ? Se soumet-il à des directives venues de Washington ? Toutes les hypothèses restent possibles pour le moment. Hier, devant l’accélération vertigineuse des événements, le porte-parole du département d’Etat, Philip Crowley, réagira avec une déclaration lourde de sens : «Le gouvernement égyptien doit considérer son peuple comme un partenaire et non comme une menace.» Il estime juste que «la réforme est vitale pour l’avenir de l’Égypte à long terme». Invitant, par ailleurs, le gouvernement égyptien à «respecter les droits fondamentaux, à éviter la violence et permettre les communications. A aucun moment n’est évoquée la revendication exclusive des Égyptiens qui ne demandent rien moins que le départ de Moubarak. A peine si les Américains ne demandent pas à ce dernier d’annoncer quelques réformes pour sauver son régime.
K. A.