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à mon pays?

  • Qu’est-il arrivé à mon pays?

     


    Ahmed Simozrag, 15 février 2012

    A mes sœurs et frères militants, à mes compatriotes, à mes amis,
    Aux prisonniers politiques, aux exilés et à leurs familles,
    Au peuple endormi qui n’a pas écouté l’appel de ses enfants,
    Ni les pleurs des veuves ni les cris des orphelins,
    Je vous écris aujourd’hui,
    Sous forme de poésie,
    Pour marquer les esprits et pour qu’il y ait un suivi,
    Je ne suis pas un poète, mais le malheur me l’a appris,
    Qu’est-il arrivé à notre peuple ?
    Insensible aux révoltes autour de lui, au soulèvement de ses voisins,
    Les peuples de la région sont en train de changer,
    La peur n’est plus un obstacle,
    La tyrannie n’est plus un danger,
    Qu’est-il arrivé à notre peuple ?
    Le seul à ne pas vouloir bouger,
    Se satisfait-il de son état ? De la dictature,
    De l’oppression dont il est toujours l’objet ?
    Sa dignité, ses richesses, sa liberté, son pays, tout est ravagé,
    A-t-il oublié le sang et les larmes
    Qu’il a versées pendant une décennie ?
    A-t-il oublié les blindés et les armes
    Qui l’ont terrorisé pendant des années ?
    A-t-il oublié les rafles, les arrestations ?
    Et les milliers d’enfants assassinés ?
    A-t-il oublié les enlèvements, les disparus,
    Les camps, les prisons et les internés ?
    A-t-il oublié les suffrages, les élections libres,
    Qu’il avait vainement gagnées ?
    Ses élus, son choix et sa victoire annihilés,
    A-t-il oublié la torture,
    Et les morts par centaines de milliers ?
    Pire, un peuple sans liberté, en résidence surveillée,
    Que de cris, que d’appels lancés en vain, aucun n’est entendu,
    Les rivières, les arbres, les montagnes, ont tous entendu,
    Et vu cette violence, ces massacres,
    Et ces mares de sang répandues,
    Ecoutez, tendez l’oreille, ce qui va suivre est frappant
    Il s’agit d’un pays ruiné et d’un peuple en deuil,
    Auquel s s’adresse cet appel alarmant,
    Des orphelins affamés et des veuves en pleurs,
    Des familles entières, victimes de malheur,
    On a tué des frères et on a violé des sœurs,
    Des mères affolées, sans nouvelles de leur progéniture,
    Courant dans tous les sens, cherchant les tombes de leurs enfants,
    Pour se consoler au moins, en y déposant quelques fleurs,
    Des sans- logis, des handicapés, des chômeurs,
    Des mécontents, tristes et de très mauvaise humeur,
    Une jeunesse désespérée, perdue, sans labeur,
    Se droguant, se livrant à la délinquance, se suicidant, s’immolant par le feu,
    Se jetant à la mer, dans l’espoir d’une vie meilleure,
    Un peuple désespéré, devenu insouciant, ne croit plus au bonheur,
    Un pays en otage, un pays meurtri, un pays endeuillé,
    Où il n’y a ni principes, ni foi ni loi,
    Ni morale sur lesquels s’appuyer
    Ni amour, ni tendresse ni pitié,
    Ni miséricorde ni entraide ni solidarité,
    On se fiche du bien, de la bonté, de la dignité
    Toutes ces valeurs sont oubliées ou rejetées,
    Qu’est-il arrivé à mon pays ?
    Quel malheur l’a frappé,
    Un fléau, une malédiction…
    Quelles sont les causes, quelles sont les raisons ?
    Ö lecteur de ces lignes,
    Tu dois prier Dieu, tu dois Le supplier,
    Pour la délivrance de ce peuple noyé,
    Tu dois verser des larmes,
    En hommage à ton pays
    Ses richesses dilapidées ou détournées,
    Les exactions et les crimes impunis,
    Une justice aux ordres, des lois violées, un droit piétiné,
    Une administration pléthorique, corrompue, qui « mange en dormant »,
    Un pouvoir pervers, dictatorial, illégitime,
    Qui ne fait qu’accroitre ses victimes,
    Tout le monde se plaint de la ‘’hogra’’, de l’injustice, et d’autres méfaits,
    Les avocats, les enseignants, les médecins, les fonctionnaires,
    Nul n’est satisfait,
    Partout les grèves, partout les mécontents,
    Et on laisse entendre que l’Algérie a déjà connu son printemps,
    Le dinar déprécié, les prix s’envolent,
    Son économie s’affaisse, ne jouant aucun rôle,
    Tout y est importé sauf le gaz et le pétrole,
    Partout le désordre et partout la violence,
    La misère, le malheur et les souffrances,
    Une réelle implication de la France,
    A faire douter de l’indépendance,
    Pourtant si rudement arrachée,
    Qu’est-il arrivé à mon pays ?
    Toujours à la traine, il n’a nullement avancé,
    Partout des échecs, les révolutions, industrielle, culturelle, agraire,
    N’ont été qu’un immense gâchis, des délires,
    D’un esprit égaré et d’une politique insensée,
    Partout des statistiques négatives, plaçant l’Algérie dans les derniers rangs,
    Et si elle occupe les premiers rangs, c’est seulement en médiocrité,
    Par exemple, parmi les premiers en termes de corruption,
    Parmi les premiers en termes de dictature,
    Parmi les premiers en matière d’insalubrité et d’absence d’innovation,
    Partout des victimes, les victimes de massacres, les victimes de disparitions,
    Les victimes de la torture, les victimes de déportation, les victimes de l’irradiation,
    Enfants d’Amirouche, enfants de Si l’Haouès !
    Qu’avez-vous à ne pas vous soulever !
    Hommes de Djurdjura et des Aurès !
    Enfants de la Kabylie, Hommes du FFS,
    Jusqu’à quand ce sommeil prolongé,
    Etes-vous absents, en convalescence ou en congé,
    Femmes de la Mitidja, jeunes d’Annaba et de Souk Ahras,
    Hommes d’Oran, d’Alger et Bel Abbès !
    Que faut-il faire pour vous faire bouger,
    Enfants de Sidi-Naïl, où est votre noblesse,
    Où est l’honneur, où est la dignité !
    Algériennes et Algériens, où est l’estime, où est la fierté ?
    Qu’avez-vous à ne pas avoir agi
    A l’exemple des voisins, qui eux aussi ont souffert,
    De leurs dictatures dont le mal semble relativement plus léger,
    Femmes et Hommes de l’Est et de l’Ouest,
    Jeunes du Mzab, enfants du Sud et des hauts plateaux,
    Il est temps de vous engager !
    Allons-y, rendez-vous nombreux à Alger !
    Procès du Peuple algérien
    Algériens, Algériennes ce procès est le vôtre, écoutez-le !
    Nous sommes devant la Cour spéciale
    Accusé, Levez-vous !
    Comme un seul homme, le peuple se lève !
    Les bancs de la défense sont vides.
    On donne ainsi lecture de l’Acte d’accusation :
    Peuple algérien, tu es poursuivi et accusé pour :
    Tentative d’émancipation par un peuple mineur, tel un esclave qui veut s’affranchir sans la permission de son maître, tu t’es comporté comme un peuple libre, alors que tu ne l’es pas encore, tu as osé créer un parti, élire des dirigeants, qui plus est intégristes, tu veux disposer du pays, alors qu’il ne t’appartient pas, tu prétends l’avoir libéré, alors qu’il ne l’est pas, depuis quand ? Il n’a jamais été libéré.
    Ne sais-tu pas que c’est nous la France ? Nous te le proclamons haut et fort ! C’est nous le colonialisme, c’est nous les harkis, c’est nous la nation, la patrie c’est nous, l’Algérie c’est nous, la République c’est nous, l’Etat c’est nous, tu as porté atteinte à la sûreté de l’Etat, tu as pris les armes contre nous, contre l’autorité de l’Etat en l’occurrence.
    Tu as créé des troubles ayant paralysé le fonctionnement de l’économie nationale, tu as organisé des marches, des meetings, tu as appelé au soulèvement tu as distribué des tracts dans ce sens, tu as déclenché une propagande contre l’intérêt national, donc contre nous, tu as procédé à l’enlèvement, à la séquestration et à la torture de nos forces qui sont les forces de notre sécurité, tu as appelé à la rébellion contre le pouvoir, donc contre nous en nous qualifiant de tyrans, avec de tels agissements illégaux et contraires à l’ordre public, c’est-à-dire à notre ordre.
    Tu as porté atteinte à la souveraineté du pays, notre pays, donc à notre souveraineté, en vous attaquant à notre autorité, tu as commis des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, passibles de la Cour pénale Internationale, mais comment transférer tout un peuple à la Haye, nous allons te juger ici, sur place par nos tribunaux d’exception et nos cours spéciales, tu payeras cher de tels agissements, tu les payeras de ta vie et de ta liberté.
    Verdict : Arrêt du processus électoral, dissolution du parti du peuple, annulation des suffrages, condamnation des élus et de leurs électeurs à des peines capitales, à la prison à perpétuité, à la torture, au placement dans des camps de concentration en plein désert, ainsi que dans des centres secrets de détention au nord du pays, à l’interdiction des droits civils et politiques, aux licenciements ; ceux qui échappent à ces condamnations seront placés en résidence surveillée sur tout le territoire national.
    Modalités d’exécution du Verdict :
    L’annonce de la victoire du FIS aux élections législatives fut ressenti e par le pouvoir comme l’explosion d’une bombe atomique qui allait anéantir l’Algérie.
    Une véritable guerre fut déclenchée contre le peuple algérien. Le doigt sur la gâchette, les militaires, les policiers et les gendarmes ont investi les rues et les places publiques, prêts à tirer sur celui, celle ou ceux qui manifestent la moindre résistance. En plus des forces ‘’de l’ordre’’ déjà très nombreuses, ils ont procédé à la création de milices et de comités d’autodéfense recrutés parmi les délinquants et les repris de justice qu’on avait libérés des prisons.
    La haine, plutôt la rage se lisait sur les visages. Tout se passe comme si une armée ennemie a envahi l’Algérie. La vie sereine et paisible à laquelle s’étaient habitués les Algériens va être bouleversée de fond en comble. On a désormais affaire à une violence inouïe, à une répression féroce, à la mort, à la torture. La terreur, le sang et les larmes sont les termes qui peuvent en partie expliquer cette tragédie. La constitution est suspendue, même si on ne l’a pas déclaré expressément, des lois nouvelles appelées décrets législatifs, et des institutions nouvelles sont mises en place.
    D’où cette justice spéciale se traduisant par des juges anonymes, des juridictions d’exception où les droits de la défense sont bafoués, ayant subi des restrictions abusives, rétroactivité de la loi pénale, contrairement au principe universel de non-rétroactivité, l’absence de publicité des débats, des civils jugés par des tribunaux militaires, etc. Ces juridictions d’exception sont calquées sur les sections spéciales du gouvernement de Vichy.
    Les arrestations massives étaient des pratiques quotidiennes, mais des arrestations qui se déroulaient non sans violence et sans incidents souvent mortels. Ce qui représente un défi, voire un affront devant le monde et devant l’histoire est le fait que ces arrestations visaient en premier lieu les élus du peuple, notamment les maires, les conseillers municipaux, les conseillers de wilaya et les députés. Ceux d’entre eux qui n’étaient pas exécutés sur le champ ou en cours de transfert, ils étaient placés en détention, soit dans les prisons civiles ou militaires, soit dans les centres secrets de détention, soit dans les camps de concentration en plein sud, à savoir : Ouargla, Ain M’Guel, Bordj Omar Idriss, Meni’a, Homr, In Salah, Oued Namous, Reggane, Tiberghamine, Tassabit.
    La vie est insupportable dans ces centres où ‘’il fait plus de 50° le jour et moins 05° la nuit.’’ Certains centres ont été utilisés par la France pour des essais nucléaire, chimique et bactériologique.
    Des milliers d’internés de ces centres ont été exposés à une contamination radioactive dangereuse pour leur santé et leur vie. D’ailleurs, beaucoup en sont morts. Les victimes ne sont autres que les élus du Peuple algérien.
    C’est ce mépris qui fait pleurer. Non pas par faiblesse, mais à cause de la peine que nous fait l’Algérie.
    La torture est une pratique systématique et indéniable. Il est même horrible d’écouter certains témoignages sur la torture. Elle était souvent pratiquée dans des lieux institutionnels , notamment dans les centres de l’ex-sécurité militaire, du DRS, les brigades de gendarmerie et les commissariats de police. Elle était également utilisée dans certaines prisons, dans des casernes et dans des lieux secrets (des villas, des garages) non identifiés. Il y a différentes techniques de torture dont les plus célèbres sont la torture à l’électricité, le chiffon, l’éponge, la torture au feu (chalumeau, fer à souder), la torture par mutilation, l’échelle, la chaise, la pendaison, la sodomisation, etc.
    Beaucoup de prisonniers n’ont pas été présentés au tribunal car ils n’étaient pas présentables, ils ne pouvaient pas se tenir debout à cause des tortures qu’ils avaient subie. D’autres y ont été présentés les visages tuméfiés, ensanglantés. Ceux qui sont morts sous la torture sont réputés être « abattus au cours de tentative de fuite ».
    En réalité, ce qui s’est passé comme atrocité au cours de cette guerre dépasse les limites de l’entendement. Les exécutions sommaires, individuelles et collectives, le dynamitage de maisons, les incendies de forêt au napalm, les bombardements de villages sont des faits qui ont marqué les sombres épisodes de cette guerre injuste.
    Certains prisonniers politiques se croyaient en sécurité dans les prisons. Mon fils Mohammed Yacine est de ceux-là. Dans une lettre datée du 29 décembre 1994, moins de deux mois avant sa mort avec une centaine de prisonniers dans le carnage de Serkadji en février 95, il me disait « Ici, nous sommes plus en sécurité que ceux qui sont dehors. »
    Sans doute, il ne savait pas pourquoi peu de temps avant le carnage, il a été transféré de la prison d’El-Harrach à celle de Serkadji. Ce transfert répondait à un plan de liquidation des prisonniers. Pour l’exécution de ce plan, il fallait inventer un prétexte : « mutinerie » ou de « tentative d’évasion ».
    Le même prétexte a été utilisé pour le massacre des prisonniers de Berrouaghia qui a fait 62 morts en 1994.
    Et les autres massacres de Bentalha (200 morts), le massacre de Ben Ali (100 morts), le massacre de Raïs (plus de 250 morts), Ténès ( 173 morts), Béni-Messous , Relizane, Lakhdaria où plus d’un millier de citoyens innocents ont été lâchement assassinés par des agents de la sécurité militaire déguisés en maquisards.
    Chaque jour des cadavres égorgés, ou criblés de balles, sont découverts dans les rues et les places publiques. Au cours du seul mois de novembre 1994, 141 cadavres ont été retrouvés sur la route de Berrouaghia, Al Biar, Oued Smar et Blida. Le 8 et le 12 décembre 1994, 61 cadavres, dont certains totalement déchiquetés, ont été retrouvés à Blida. Les victimes avaient été enlevées dans leurs domiciles. C’était particulièrement l’œuvre des escadrons de la mort. Ces derniers sont les artisans de la disparition d’environ vingt milles citoyens algériens.
    Dans ces conditions, il est absurde de parler de justice, d’instruction ou de jugement. Si l’exécution du prévenu était programmée à l’avance, autrement dit si le prévenu était condamné à mourir extrajudiciairement, à quoi sert de le présenter au juge d’instruction ou de l’amener à l’audience.
    L’extraction de certains prisonniers avait uniquement pour but de leur arracher des aveux sous la torture ou de les exécuter. Les juges étaient anonymes, partiaux, on ne pouvait pas les prendre à partie, on ne pouvait pas les divulguer ; en outre, l’instruction, les débats à l’audience se déroulent pour l’accusation et non pour la manifestation de la vérité.
    Il résulte de ce qui précède qu’il y eut un véritable procès contre le peuple algérien et que le verdict de ce procès fut bel et bien suivi d’exécution. La preuve que ce procès existe, peu importe qu’il soit implicite, est le fait que la réalité sur le terrain corresponde à son verdict. En ce sens que le peuple n’est pas souverain ; il n’a aucune valeur ni aucun poids aux yeux du pouvoir.
    C’est ce que je voulais démontrer dans cette partie concernant les modalités d’exécution du verdict. D’ailleurs, dans ce récit non exhaustif, je n’ai pas tout dit. Par exemple la brutalité des agents de l’Etat, les injures qu’ils profèrent et les coups qu’ils portent à leurs victimes souvent dans leurs maisons devant leurs familles donnent une idée de ce qu’ils vont subir en cours de route ou dans les lieux de destination.
    Or, quand on fait subir une telle humiliation, un tel mauvais traitement à un élu du peuple, à un maire ou un député, c’est tout le peuple qui subit cette violence et enfin ce procès. Cela signifie que le peuple n’est pas considéré comme un peuple souverain, libre. Le peuple est subordonné tel un employé d’une entreprise dont le patron est le pouvoir. Et ce n’est pas fini. Même deux décennies après, cette mentalité subsiste. Il suffit pour preuve les dernières lois sur les partis politiques et les associations. Lorsqu’un ministre de l’intérieur décide de priver les citoyens de leurs droits civils et politiques, de l’agrément ou du rejet de tel ou tel parti politique, on est à des années lumière de la démocratie. Et on nous parle de réformes et d’élections législatives…A mon humble avis, il n’y a que la révolte qui provoque le changement.
    Fait à Ouagadougou, le 15 février 2012
    Ahmed Simozrag

    Mon poème est dédié au Peuple algérien, aux martyrs, aux veuves, aux orphelins, aux disparus, aux déportés, auFront du Changement National, au militant infatigable, le docteur Salah Eddine SIDHOUM, au comité algérien des militants libres de la dignité humaine et des Droits de l’Homme, au Comité de défense des internés des camps du Sud et à sa tête M. Belmouhoub qui mène un honorable combat sans relâche en faveur des droits de l’Homme, au mouvement Rachad, à Alkarama, à l’Institut Hoggar, au Docteur Abbès Aroua, au Docteur Mourad Dhina, à Justitia Universalis, à l’Association de Défense des Droits de l’Homme SOS ALGERIE et à tous mes confrères et mes consœurs avocats, juristes et militants des droits de l’homme en Algérie, en France, en Suisse et dans le Monde entier.