par François Gèze et Salima Mellah, Algeria-Watch, 21 avril 2007, translation
Pour l’opinion algérienne comme pour tous ceux qui tentent de résister au rouleau compresseur de la désinformation produite par le DRS algérien (les services secrets de l’armée), l’attribution de la responsabilité de l’attentat du 11 avril 2007 à Alger à l’« Organisation d’Al-Qaida au pays du Maghreb islamique » (ex-GSPC) ne peut être prise pour argent comptant, comme le font la plupart des médias occidentaux. Dans cet article, qui se fonde quasi exclusivement sur une analyse rigoureuse de « sources ouvertes » – donc à la portée de tous les observateurs sérieux -, nous montrons que les commanditaires de ces attentats ne peuvent appartenir qu’aux plus hauts cercles du pouvoir algérien, aux mains d’une poignée de généraux.
Cet événement tragique constitue ainsi une étape importante dans l’exacerbation de la lutte de clans au sein de la « coupole » militaire maffieuse dirigeant le pays, qui a conduit certains « décideurs » à recourir à nouveau à l’instrumentalisation de la violence « islamiste ». Cette exacerbation s’explique par la conjonction de quatre facteurs principaux : a) la remise en cause de l’alliance stratégique avec les États-Unis, liée aux bouleversements des rapports de forces géopolitiques mondiaux (montée en puissance de la Russie et de la Chine, etc.) ; b) l’extraordinaire croissance de la rente pétrolière et gazière liée à la hausse des prix des hydrocarbures, qui a aiguisé les appétits financiers des clans en présence ; c) la profonde crise sociale qui ravage le pays (misère et chômage croissants, émeutes à répétition.) ; d) la maladie du président Abdelaziz Bouteflika, condamné à plus ou moins brève échéance, qui impose de renouveler la façade civile du pouvoir réel, selon de nouveaux équilibres difficiles à trouver.
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Les médias occidentaux brandissent depuis des années la menace d’un GSPC (« Groupe salafiste de prédication et de combat ») susceptible de frapper en Europe. Avec l’annonce de sa transformation, en janvier 2007, en « Organisation d’Al-Qaida au pays du Maghreb islamique », la perception de la dangerosité de cette étrange organisation ne pouvait que s’en trouver renforcée. Immédiatement revendiqués par le GSPC, les terribles attentats d’Alger du 11 avril 2007 ont relancé l’alarme : présentés comme des attentats suicide, ils ont ciblé le palais du gouvernement et le siège de la « Division est » de la Police à Bab Ezzouar, faisant trente morts et plus de deux cents blessés.
En France en particulier, journalistes, universitaires et experts du sécuritaire font alors de la surenchère : c’est à qui établira de la manière la plus probante des liens entre le GSPC et la nébuleuse internationale d’Al-Qaida. Si des nuances d’analyse sont perceptibles, la certitude que partagent tous ces « spécialistes » est qu’il s’agit bien d’une action terroriste commise par des islamistes opposés au régime algérien et obéissant aux instructions des chefs d’Al-Qaida. Les quelques éléments confortant cette thèse sont amplifiés, tandis que les nombreuses zones d’ombre sont sciemment occultées. Ce qui est érigé comme preuve irréfutable sont les communiqués du GSPC, alors que rien ne permet de certifier leur authenticité. Autre preuve tout aussi aléatoire : le mode opératoire. Attribuées à des « kamikazes », ces opérations, dit-on, ne feraient pas partie de la tradition djihadiste algérienne et prouveraient l’implication d’Al-Qaida.
En Occident, la prétendue affiliation du GSPC à Al-Qaida n’a suscité aucune interrogation depuis que le numéro deux d’Al-Qaida aurait invité le GSPC à rejoindre l’organisation et que ce dernier aurait renouvelé son allégeance à l’« Internationale djihadiste » en septembre 2006. En Algérie, depuis des années, la collusion entre ces deux entités a été très régulièrement évoquée par la presse. Et malgré les maigres indices, comme celui d’un supposé émissaire yéménite qui serait venu en Algérie en 2002 pour accorder la caution d’Al-Qaida à l’organisation locale avant de trouver la mort dans une embuscade 1 , une grande partie de la presse algérienne a continué depuis à colporter cette idée comme une évidence.
Une surprenante minimisation du « terrorisme islamiste »
Mais curieusement, depuis quelques mois, certains journaux algériens francophones, pourtant conditionnés par plus de quinze ans de propagande à dénoncer de façon virulente les « hordes islamistes » en Algérie, n’ont plus la même éloquence pour agiter la menace de l’apparition d’Al-Qaida en Algérie. Après chaque attentat perpétré ces derniers mois, des commentateurs s’interrogeaient sur les véritables commanditaires. Ainsi, Mohamed Zaaf, du Jeune Indépendant , constatait à la suite de la série d’attentats qui a touché le pays en février 2007 : « Mais, d’El-Qaïda nous ne connaissons de réel que les voix enregistrées. Depuis l’annonce du tutorat, le GSPC obéit donc aux voix et densifie ses activités avec l’ouverture du procès de la corruption. Le GSPC avait menacé de s’en prendre à la France et aux intérêts français. Il prit cependant tout son monde à contre-pied. Car les intérêts qui avaient été en réalité ciblés, ce sont les intérêts américains, près de Club des pins, et les intérêts russes à Hayoun 2 . »
Encore plus étonnant est le fait que certains dirigeants politiques algériens – qui, durant des années ont tenté de convaincre leurs partenaires occidentaux de la menace islamiste et de ses liens avec l’organisation internationale – ont plutôt réagi de manière frileuse aux derniers attentats commis par un GSPC dont l’allégeance à Al-Qaida ne faisait pas de doute en Europe. N’a-t-on pas vu un Yazid Zerhouni, ministre de l’Intérieur, déclarer à la suite de l’attentat commis le 10 décembre 2006 contre un bus transportant des travailleurs de l’entreprise algéro-américaine BRC (Brown Root and Condor), alors qu’un communiqué signé par le GSPC circulait sur Internet, qu’il ne s’agissait là que d’un « document » ? Il précisait que « l’enquête [.] est en cours. Aucune piste n’est écartée pour le moment. Seules les investigations que mènent les services concernés peuvent affirmer avec précision les responsables de ce crime 3 ». Quant à l’attentat commis le 3 mars 2007 contre un bus transportant notamment des travailleurs russes de la compagnie Stroitransgaz, il n’a guère été médiatisé, alors qu’il s’agissait de la première attaque meurtrière contre des ressortissants étrangers depuis que le GSPC s’est transformé le 24 janvier 2007 en « Organisation d’Al-Qaida au pays du Maghreb islamique ».
Le 14 mars 2007, le président Bouteflika lui-même déclarait dans une interview : « Des actes terroristes sont encore commis de temps en temps. Ces actes sont le fait du grand banditisme. Ils n’ont rien d’idéologique. Nous nous attelons à les combattre pour y mettre un terme définitif. » Lorsque le journaliste lui demanda si les Européens devaient prendre au sérieux les menaces d’un GSPC affichant des ambitions régionales, le président algérien répondit : « Il faut faire la part des choses entre la réalité et la propagande, et restituer les choses dans leur juste proportion. Et les Européens le savent, eux, qui sont très bien renseignés sur ces questions 4 . » Loin de témoigner de la conviction du président de l’existence d’une menace excessive, ces propos laissent plutôt entendre qu’il soupçonnerait les Européens (ou d’autres ?) d’instrumentaliser celle-ci.
Relevons également qu’un journaliste algérien, Mounir B., « expert en terrorisme » réputé proche du DRS (les services secrets de l’armée), affirmait lui-même un peu plus d’un mois avant les attentats du 11 avril : « Les autorités algériennes ne se sont pas montrées particulièrement inquiètes jusqu’à la dernière série d’attentats en Kabylie. “Le GSPC a changé de nom, mais pour nous rien n’a changé”, a déclaré le ministre de l’Intérieur. Il n’a pas totalement tort. Le rapport de force sur le terrain n’a pas changé en faveur des groupes terroristes. Ils sont toujours faibles numériquement, ils éprouvent de grandes difficultés pour s’approvisionner et renouveler leur armement 5 . » Et d’ailleurs, la plupart des journaux algériens se font depuis des mois l’écho des succès des offensives militaires en cours dans différentes régions du pays, tandis que les difficultés d’action du GSPC version Al-Qaida sont sans cesse mises en relief. Les forces de sécurité auraient capturé de nombreux hommes armés, ce qui leur permettrait d’obtenir d’importantes informations sur l’évolution des groupes actifs. Pourtant, le décompte des attentats montre bien une recrudescence de l’activité de groupes armés ces derniers mois, mais son importance est souvent minimisée, en particulier son lien supposé avec Al-Qaida 6 .
Visées américaines sur les hydrocarbures d’Algérie et du Sahel
Alors pourquoi cet autre son de cloche venu d’Alger ? Pourquoi ce ton moins alarmiste ? Plus les Occidentaux amplifient leur perception de la menace, plus les officiels algériens la réduisent. Que suggère Yazid Zerhouni lorsqu’il déclare au lendemain des attentats d’Alger du 11 avril 2007 qu’« il ne faut pas exclure qu’il y ait d’autres intérêts ne voulant pas voir l’État algérien se ressaisir, se restructurer et fonctionner de manière plus efficace 7 » ? Et El Watan ne répond-il pas en partie à cette question en s’interrogeant, de façon très surprenante de la part d’un quotidien qui, jusque-là, n’avait eu de cesse de se féliciter du réchauffement des relations algéro-américaines : « Le Maghreb, notamment l’Algérie, est-il sur le point de faire les frais de luttes géopolitiques que se livrent les USA et la France au moyen du terrorisme islamique 8 ? » L’article concluait : « À ce jeu sournois semble parfaitement s’accommoder le réseau El-Qaida qui, en réalité, travaille, consciemment ou pas, pour les intérêts géopolitiques américains. Cette peur savamment entretenue du terrorisme islamiste, et notamment du réseau El-Qaida, leur permet de légitimer la nouvelle configuration du monde, notamment le Grand Moyen-Orient qu’ils viennent de décider. »
De fait, ce raisonnement a quelque raison d’être face à la volonté des Américains de renforcer leur présence économique et militaire en Afrique du Nord en général et en Algérie en particulier. L’intensification des relations entre les États-Unis et l’Algérie remonte à la période de la présidence de Liamine Zéroual (1994-1998), mais la « lune de miel » a connu son apogée en 2003-2006 avec de très nombreuses visites bilatérales à tous les niveaux de l’État et de la société, les plus en vue étant celles de Donald Rumsfeld en février 2006 et de Dick Cheney en avril de la même année. La coopération énergétique entre les deux pays a été qualifiée de « très dense », les États-Unis étant devenus le premier client de l’Algérie avec des achats de plus de 11 milliards de dollars en 2005, presque exclusivement constitués d’hydrocarbures 9 .
Mais l’Algérie n’est qu’un des pays visés par les firmes américaines et les immenses réserves d’hydrocarbures non exploitées dans le Sahel semblent bien dicter à Washington sa stratégie sécuritaire dans cette région. Là plus clairement qu’ailleurs, la « Global War on Terror » que mène l’administration Bush apparaît indissociable de la recherche d’un accès garanti aux ressources énergétiques locales. Et pour l’assurer, le Pentagone a affirmé son objectif d’implanter rapidement en Afrique un commandement régional de l’armée américaine (Africom), qui permettrait le contrôle des armées locales.
C’est à la suite de l’enlèvement de touristes européens début 2003 dans le Sahara algérien par un commando présenté comme étant du GSPC que les Américains, en vertu de leur nouvelle conception géostratégique du « Grand Moyen-Orient », ont prévu que l’Algérie deviendrait un « État pivot ». Non seulement l’armée algérienne participe depuis à différentes manouvres militaires organisées par l’US Army et l’OTAN, mais l’existence d’une base militaire américaine secrète dans la région de Tamanrasset, malgré les démentis répétés des responsables politiques des deux pays, ne semble pas faire de doute 10 . Le pays a été aussi intégré à l’« Initiative Pan-Sahel », devenue début 2005 « Initiative transsaharienne de lutte contre le terrorisme (TSCTI) », destinée à inclure dans une stratégie militaire américaine des pays comme l’Algérie, le Tchad, le Mali, la Mauritanie, le Maroc, le Niger, le Sénégal, le Nigeria et la Tunisie. Les visées américaines ont été concrétisées en juin 2005 lors des exercices conjoints baptisés « Flintlock 2005 », dirigés par le commandement des forces américaines basé en Europe.
« Lutte antiterroriste » et « bonne gouvernance » sont les slogans de l’heure. L’action militaire se dotant de son équivalent politique, le pays a été inclus dans l’« Initiative de partenariat avec le Moyen-Orient » (MEPI), prévoyant notamment l’assistance aux réformes politiques, le renforcement du rôle des femmes, de la jeunesse et de la société civile. Coopération militaire et économique et programme d’assistance aux réformes politiques sont les deux faces d’une même médaille 11 .
Or, des neuf pays inclus dans la stratégie sahélienne, expliquait en juillet 2005 l’expert pétrolier algérien indépendant Hocine Malti, sept « possèdent des réserves plus ou moins importantes de pétrole. Le Nigeria possède des réserves prouvées de 31,5 milliards de barils, l’Algérie en a 11,8 milliards, celles du Tchad sont estimées, à ce jour, à 1 milliard (le pays en est à ses tout premiers débuts de l’aventure pétrolière), le Sénégal possède 700 millions de barils, la Tunisie 308 millions, le Niger 300 millions et la Mauritanie 200 millions. Tout autour de ces pays, on en trouve d’autres qui sont également riches en pétrole ; la Libye a des réserves prouvées de 39 milliards de barils, le Soudan en a 563 millions, tandis que le Sahara occidental a un sous-sol très prometteur 12 ».
Un GSPC épouvantail
La menace d’un GSPC non seulement actif en Algérie mais « étendant ses tentacules » aux confins du Sahara vers le Sud semblait donc depuis quelques années faire l’affaire de tous les pays concernés 13 . Du côté américain, cette menace constituait un prétexte rêvé pour justifier sa présence militaire dans la région. Du côté du pouvoir algérien, elle a justifié le développement de la coopération sécuritaire avec les États-Unis : celle-ci l’a considérablement aidé à sortir de son isolement des années 1990, à s’affranchir d’une France trop impliquée dans les trafics et manipulations algériennes, mais surtout à tourner la page des « années de sang », durant lesquelles les forces de l’ordre toutes composantes confondues ont commis des crimes contre l’humanité – dont les responsables se sont vus désormais absous de facto par la première puissance mondiale, car devenus un « modèle de la lutte efficace contre le terrorisme 14 ».
Mais alors, pourquoi le bizarre revirement depuis 2006 d’une partie de la presse algérienne face à la « menace du GSPC », à la veille d’attentats particulièrement meurtriers commis par ce dernier ? Pour répondre à cette question , il est indispensable de revenir d’abord sur la genèse de cette organisation, dont de nombreux indices concordants montrent qu’elle est en réalité un instrument du principal clan du pouvoir algérien – celui des chefs du DRS -, qui a été également le promoteur du rapprochement avec les États-Unis.
Bien sûr, cela n’exclut pas la persistance de petits groupes armés véritablement autonomes et se réclamant de l’islam pour combattre les forces de sécurité sous le « label GSPC », comme c’est sans doute le cas des « maquis » du Nord-Constantinois ou de l’Ouarsenis : même s’ils restent ultra-minoritaires, la situation sociale est si grave qu’il ne manque pas de jeunes désespérés pour choisir la lutte armée (tandis que beaucoup d’autres choisissent celle tout aussi aléatoire des harragas , les embarcations de fortune utilisées pour rejoindre l’Europe). Mais d’autres « maquis GSPC », notamment en Kabylie, s’ils attirent aussi – et de plus en plus ces derniers mois – des jeunes prêts à sacrifier leur vie, semblent plutôt relever du « modèle GIA » de la fin des années 1990, où des « émirs » agents du DRS entraînaient des inconscients dans des actions terroristes contre la population. Quant au nouveau terrorisme urbain attribué au GSPC, vu l’extraordinaire prégnance du quadrillage policier, il est tout simplement inconcevable qu’il ne soit pas un instrument du DRS. Et bien d’autres éléments attestent que la transformation progressive du GSPC en « branche armée » d’Al-Qaida en Algérie (puis au Maghreb) est le fruit d’une pure construction des « services » algériens.
Selon les « sources sécuritaires » régulièrement citées par la presse algérienne (à savoir le DRS, source de fait exclusive de toutes les informations sur le « terrorisme islamiste » en Algérie), le GSPC a acquis une dimension régionale sous l’impulsion d’Amari Saifi, dit « Abderrezak El-Para », qui aurait organisé la prise d’otage des touristes européens en janvier 2003. Or, Amari Saifi, ancien parachutiste et ex-garde du corps du général Khaled Nezzar, n’avait été jusque-là actif que dans l’est du pays, dans la région de Tébessa, où le GSPC était notamment impliqué dans d’immenses trafics de contrebande et de drogue au même titre que – en collusion avec ? – de hauts responsables du DRS 15 . À l’issue d’une cavale de vingt mois, dont près de huit avec des otages, il a été remis fin octobre 2004 aux autorités algériennes, qui depuis le maintiendraient incarcéré.
Pourtant, très curieusement, c’est « par contumace » qu’Amari Saifi a été condamné en juin 2005 à la réclusion à vie par le tribunal criminel près la cour d’Alger pour « création d’un groupe terroriste armé » 16 . Et, de façon plus rocambolesque encore, alors qu’il était toujours sensé être détenu dans une prison algérienne, il devait être à nouveau jugé pour le même motif en mars 2007 par le même tribunal – lors d’un procès finalement reporté -, mais toujours. par contumace ! Le motif absurde officiellement avancé pour cette étonnante mascarade judiciaire était que « les procédures judiciaires engagées dans le cadre de cette affaire ont débuté avant que Aderrezak le Para ne soit remis aux autorités algériennes et, donc, considéré comme étant en fuite 17 ». Le plus étrange dans cette affaire, c’est qu’aucun des États européens dont les ressortissants avaient été kidnappés n’a demandé son extradition ou tout au moins son audition. Lors d’une visite en Algérie en janvier 2007, le secrétaire d’État allemand à la Sécurité, August Hanning, déclarait ainsi dans une interview : « Nous ne le [Abderrezak al-Para] réclamons plus. D’après mes informations, il est entre les mains des autorités algériennes. Il est jugé et condamné pour des actes qu’il a commis en Algérie 18 . » Propos des plus surprenants, puisque El Para n’avait pas encore été jugé pour le rapt des trente-deux touristes (dont l’une a succombé pendant sa séquestration).
Cet épisode invraisemblable n’a été relevé par aucun des grands médias français et occidentaux. Il atteste pourtant, ainsi que nombre d’autres indices 19 , que le « Para » ne peut être qu’un agent du DRS, propulsé par ses chefs à la tête du GSPC. Les autres « figures emblématiques » de ce groupe pour le moins énigmatique sont tout aussi évocatrices : Nabil Sahraoui, « émir » supposé du GSPC jusqu’à sa neutralisation en juin 2004, aurait fait partie des éléments du GIA ayant organisé la fameuse évasion de 1 200 détenus de la prison Tazoult en mars 1994, opération réputée avoir été commanditée par le DRS à la fois pour liquider des islamistes et pour infiltrer les maquis 20 . Selon le communiqué militaire faisant état de la mort de l’émir en juin 2004, plusieurs de ses adjoints les plus importants auraient eux aussi été tués en même temps que lui 21 . Or, huit mois plus tard, la presse algérienne annonçait que l’un de ces lieutenants tués, Abdelmalek Droukdel, aurait été désigné comme successeur de Nabil Sahraoui à la tête du GSPC 22 . En mai 2005, la même presse annonçait à nouveau l’élimination de Droukdel 23 . Peu après, il était à nouveau « ressuscité » à la tête du GSPC, poste qu’il occuperait toujours à ce jour. Ce cirque médiatique, qui ne sert qu’à alimenter la confusion, rappelle évidemment les cas des « émirs nationaux » du GIA Djamel Zitouni et Antar Zouabri, eux aussi tués et ressuscités plusieurs fois selon les « sources sécuritaires » et dont on a appris depuis qu’ils étaient des agents du DRS 24 .
Autre coïncidence remarquable : le 4 juin 2005, c’est à deux jours des manouvres militaires « Flintlock » déjà évoquées, organisées dans le Sahel sous l’égide le l’US Army, que la caserne mauritanienne de Lemgheity, proche de la frontière avec l’Algérie, est attaquée par un commando présumé du GSPC. C’est le baptême du feu d’un certain Mokhtar Belmokhtar, présenté comme l’« émir » de la zone Sud, affilié à Al-Qaida. L’attaque du groupe armé a lieu dans la région même où, du 6 au 26 juin 2005, participeront aux exercices près de 3 000 soldats de huit pays africains, dont l’Algérie. Ce n’est certainement pas un hasard si la caserne de Lemgheity est située dans une zone censée receler d’importantes réserves de pétrole : dans le bassin de Taoudenni, les sociétés pétrolières se concurrencent pour l’obtention des droits, en particulier l’australienne Woodside et la française Total 25 .
Selon la presse algérienne de l’époque, toutes ces opérations seraient le fait du GSPC, groupe ayant pris en 1998 la succession des GIA après s’en être distancié en raison des massacres que ceux-ci commettaient contre des civils. Il est vrai que la majorité des actions attribuées au GSPC ont été dirigées contre des patrouilles militaires, des gardes communaux ou des miliciens. Mais, tandis que médias et politiques algériens s’entendent pour annoncer régulièrement la quasi déconfiture du groupe en raison des défections et des coups portés contre lui par l’armée 26 , c’est à partir du printemps 2006 que se répètent les annonces du ralliement du GSPC à Al-Qaida – toujours selon des « sources sécuritaires » ou selon des sites Web du GSPC, à l’authenticité invérifiable – et que des attentats spectaculaires à la bombe se multiplient contre des commissariats et des brigades de gendarmerie, mais aussi contre des cibles civiles.
C’est ce qui conduisait la revue Risques Internationaux à écrire en décembre 2006 : « Hier comme aujourd’hui, la plupart des groupes affiliés au GSPC ont été infiltrés par le DRS. Le commandement du GSPC, bien connu du DRS selon les déserteurs des services algériens, évolue sans inquiétude, surtout dans la Mitidja Est, à Mizrana, à Khemis Khechena et à Boumerdès. Longtemps, la plupart des réunions des membres influents du GSPC ont été organisées à Sid Ali Bounab, un lieu bien connu du DRS, mais rien n’a été fait pour décapiter ce groupe armé, bien au contraire. Selon l’un de nos interlocuteurs : “Ce qui se passe actuellement en Algérie, notamment la multiplication des attentats, des embuscades dirigées contre les militaires, est révélateur des objectifs et des intentions du DRS. La provocation opérée par le DRS est maintenant en route pour ramener l’Algérie aux sanglantes années 1990″ 27 . »
L’affiliation du GSPC à Al-Qaida est scellée par les propos filmés d’Ayman Adh-Dhawahiri, réputé être le numéro deux de cette dernière, qui à l’occasion du 11 septembre 2006, déclare l’union entre les deux organisations. Laquelle sera suivie, le 24 janvier 2007, de l’annonce du changement de dénomination du GSPC en « Organisation d’Al-Qaida au pays du Maghreb islamique ».
L’hégémonie des chefs du DRS ébranlée
À quelles logiques répond cette instrumentalisation d’un tel groupe terroriste par les chefs du DRS ? Avant de tenter de répondre à cette question, il est important de rappeler que, depuis les années 1980, la réalité du pouvoir en Algérie est aux mains des généraux qui contrôlent l’armée et les services secrets (Sécurité militaire, devenue DRS en 1990) et que le président et les civils du gouvernement ne constituent qu’une façade pseudo-démocratique, sans pouvoir réel. Depuis cette période, les généraux membres de cette « coupole » étaient affiliés à différents clans aux contours variables. Parfois opposés entre eux dans de sourdes luttes pour le contrôle des richesses du pays, ils n’ont toutefois jamais remis en cause leur unité, comme en a témoigné de 1992 à 1998 leur engagement sans faille dans la « sale guerre » d’« éradication de l’islamisme », conduite en réalité contre l’immense majorité de la société 28 .
Or, et c’est là un point essentiel dont sont à juste titre convaincus la plupart des Algériens, il s’est agi d’une guerre très singulière, marquée par l’instrumentalisation de la violence islamiste par les chefs du DRS. Contrôlant dès 1995 l’essentiel des fameux GIA (grâce à des « émirs » retournés ou des agents infiltrés), ils les ont utilisés à la fois pour terroriser la population et pour adresser, par massacres de civils interposés, des « messages » à leurs adversaires au sein du pouvoir qu’ils cherchaient à affaiblir. Ce fut le cas lors des années 1996-1998 : les grands massacres perpétrés par les « groupes islamiques de l’armée » servirent alors à déstabiliser le clan du président Liamine Zéroual 29 .
Après la démission contrainte de ce dernier, l’intensité du « terrorisme islamiste » a brutalement diminué, car les conflits internes au sein du pouvoir se sont beaucoup apaisés : de nombreux éléments indiquent en effet que le clan contrôlé par le chef du DRS, le général de corps d’armée Mohamed « Tewfik » Médiène (67 ans), et son adjoint le général-major Smaïl Lamari, l’a alors durablement emporté. À ce jour, ces deux hommes occupent toujours leur poste depuis. septembre 1990 (près de dix-sept ans !), alors que la plupart des autres chefs de l’armée ont été mis à l’écart 30 . Et au début des années 2000, ils ont verrouillé les postes clés du DRS en y maintenant ou y plaçant leurs hommes, dont certains ont été à la pointe de la « gestion » de la torture et de la terreur au cours des années de la « sale guerre ». Pour n’en citer que quelques-uns : la DCSA (Direction centrale de la sécurité de l’armée) est désormais dirigée par le général Mhenna Djebbar, dont la terrible réputation à la tête du CTRI de Blida (principal centre de torture du DRS) de 1990 à 2001 lui permet de « tenir » les officiers de l’ANP ; le général Athmane « Bachir » Tartag, ancien chef d’un autre centre de torture, le CPMI, de 1990 à 2001, a lui aussi été promu ; et le général Rachid Laalali, alias « Attafi », dirige toujours la DDSE (Direction de la documentation et de la sécurité extérieure), chargée notamment de la gestion de l’action psychologique et de la désinformation, en Algérie comme à l’étranger.
C’est aussi sous le contrôle étroit du chef du DRS que le président Bouteflika a été « élu » en avril 1999 et « réélu » cinq ans plus tard. C’est également sous leur contrôle que s’est opérée la stratégie de rapprochement avec les États-Unis (au détriment de la France), stratégie qui a permis à ces deux généraux et à leurs affidés de réaliser de fructueuses affaires secrètes avec certains grands groupes pétroliers américains. Et ce sont aussi – rappelons-le – les convergences d’intérêts entre les deux pays en matière de lutte contre le terrorisme qui ont permis à l’Algérie de sortir de son isolement.
Mais, depuis 2006, il semble bien que cette hégémonie des généraux du « clan Tewfik » se soit fragilisée. Sur le plan interne, ils n’ont pu atteindre leur objectif d’une « sortie de crise » qui aurait permis d’instaurer durablement un nouveau mode de pouvoir et de « gouvernance sociale », leur assurant à la fois l’impunité de leurs crimes contre l’humanité commis au cours des années 1990, une relative paix sociale et la certitude de maintenir (à leur profit et à celui de leurs enfants) le pillage organisé des ressources naturelles du pays (notamment par le biais des commissions occultes sur les échanges commerciaux).
Certes, l’« autoamnistie » organisée par les textes d’application (adoptés en février 2006) de la « Charte pour la paix et la réconciliation nationale » a assuré provisoirement l’impunité des chefs de l’armée : elle a été admise sans contestation par la « communauté internationale », alors même qu’elle viole ouvertement tous les textes de droit international en la matière et la Constitution algérienne elle-même 31 . Mais cette impunité reste fragile, dès lors que des familles des victimes – à l’image des « folles de Mai » argentines – continuent à se mobiliser pour la vérité et la justice, malgré toutes les persécutions et manipulations. Quant au front social, l’échec est absolu : la dégradation des conditions de vie d’une grande majorité d’Algériens est telle que les émeutes sont devenues quasi quotidiennes depuis 2003 ; et le maintien d’un « terrorisme résiduel » du GSPC pour y faire face en terrorisant les populations ne semble plus suffire.
La stabilité économique enfin, garante des rentes de la corruption, n’est pas plus assurée : l’économie réelle est sinistrée, en dehors du secteur des hydrocarbures, où se concentrent les investissements étrangers. Et de ce point de vue – c’est là l’élément nouveau et essentiel -, l’intérêt de l’alliance stratégique avec les États-Unis pour les généraux de la coupole militaire (et leurs alliés civils), tous clans confondus, s’est nettement amoindri et celle-ci a été remise en cause.
Remise en cause de l’alliance stratégique avec les États-Unis
La première raison de ce tournant est l’explosion des prix des hydrocarbures, qui ont augmenté de façon vertigineuse les ressources de l’Algérie, laquelle dispose désormais de quelque 100 milliards de dollars de réserves de change. L’énormité de ce « gâteau » a exacerbé l’appétit des clans de la coupole : certains d’entre eux, à l’évidence liés aux réseaux de la « Françalgérie » et utilisant la figure déclinante du président Bouteflika (plus marionnette que jamais) ont commencé à contester la domination du « clan Tewfik ». Seconde raison : tous les clans ont pris en compte la nouvelle donne que représentent les débâcles américaines en Irak, en Afghanistan et au Liban, le refus de pays comme le Venezuela ou l’Iran de se plier aux règles du gendarme mondial, ainsi que la montée en puissance de la Russie et la Chine ; autant d’éléments qui montrent que la subordination à la politique américaine n’est pas nécessairement la seule option possible.
D’où, au terme de rudes débats, le revirement des « décideurs » de l’ombre, actée par le gouvernement en juillet 2006, par rapport à la « loi sur les hydrocarbures » adoptée en avril 2005. Celle-ci était considérée par nombre d’observateurs comme une véritable braderie des richesses naturelles nationales : elle prévoyait d’accorder aux grandes compagnies pétrolières, américaines en particulier, des avantages considérables, allant jusqu’à abandonner en pratique la propriété du sous-sol au plus offrant. Hocine Malti s’interrogeait alors fort justement sur l’annulation (très mal accueillie à Washington) des clauses les plus litigieuses de cette loi : « Quel a été le rôle de la mafia politico-financière dans cet embrouillamini ? Il se dit, dans les milieux d’affaires, qu’à partir du moment où la loi 05-07 garantissait aux entreprises étrangères une participation minimum de 70 % sur toute parcelle qu’elles convoiteraient, le rôle des parrains algériens, ceux qui depuis très longtemps déjà ont fait main basse sur le secteur pétrolier, ceux qui considèrent ce secteur comme leur propriété personnelle, ceux qui ne permettent la participation des sociétés lambda ou oméga que si elles viennent “cracher à leur bassinet”, ces parrains verraient leurs rôles s’amenuiser considérablement, voire disparaître totalement. Ils auraient alors, sous couvert de patriotisme économique, mené campagne pour un retour au système qui leur a permis d’introduire en Algérie telle ou telle compagnie pétrolière et accumuler ainsi des fortunes considérables 32 . »
Et sur le plan militaire également, ces « décideurs » ont commencé à prendre leurs distances par rapport à la superpuissance mondiale. Les spéculations autour de l’aménagement officiel d’une base militaire américaine ou de l’OTAN ont ainsi été coupées court avec le refus clair du ministre des Affaires étrangères – exprimé à la radio algérienne le 3 mars et réitéré quelques jours plus tard devant le général Raymond Hénault, président du Comité militaire de l’Alliance atlantique. Cette déclaration ne contredit pas nécessairement la réalité de l’existence d’une telle base. Mais elle montre que ceux qui tirent les ficelles du gouvernement cherchent désormais majoritairement à se démarquer – au moins verbalement – d’une orientation clairement proaméricaine. Cette position concorde avec le rejet exprimé d’une intégration de l’Algérie au projet de mise en place d’un commandement général en Afrique (Africom) prévu pour septembre 2007. (L’Algérie n’aurait, selon une déclaration du ministère de la Défense, envoyé qu’un cadre supérieur de l’armée – et non pas son chef d’état-major – à la rencontre organisée début mars à Dakar par le commandement en chef des forces américaines en Europe 33 .)
Enfin, depuis 2005, on a assisté à un spectaculaire resserrement des relations avec la Russie, redevenue sur le plan militaire, avec le dernier contrat d’achats d’armes d’un montant de 15 milliards de dollars, le premier partenaire stratégique de l’Algérie 34 . Un scandale (non médiatisé celui-là) a par ailleurs contribué au resserrement des relations militaires avec la Russie, au détriment des États-Unis : au cours de l’été 2006, les services de renseignement militaire russes ont révélé aux chefs du DRS le trucage par les services américains des systèmes de communications sophistiqués achetés aux États-Unis par la firme Brown & Roots Condor pour le compte de l’état-major général. Selon le journaliste indépendant Madjid Laribi, qui a révélé l’affaire, ces « valises de commandement » permettant de sécuriser et contrôler toutes les communications militaires étaient en réalité « connectées en permanence sur les systèmes d’intelligence électronique américains et israéliens 35 » !
Mais le rapprochement avec la Russie – discrètement approuvé par la France – est également manifeste sur le plan économique : les grandes compagnies pétrolières et gazières russes (Gazprom, Lukoil, Rosneft, Stroytransgaz…) ont développé (ou projettent de le faire) des partenariats avec la Sonatrach pour l’exploitation des hydrocarbures algériens, jusque-là chasse (presque) gardée des firmes américaines 36 . Et le projet d’une « OPEP du gaz » autour d’une alliance algéro-russe a défrayé la chronique ces derniers mois (notamment lors de la réunion du Forum des pays exportateurs de gaz qui s’est tenue à Doha en avril 2007), même s’il reste encore à concrétiser 37 .
L’exacerbation de la lutte des clans
Ce contexte explique l’exacerbation au sein du pouvoir algérien des luttes de clans pour le partage des richesses. Depuis 2006, elle s’est manifestée de nombreuses manières. En témoigne par exemple la ténébreuse « affaire Zendjabil » – restée évidemment sans suite -, qui a défrayé la chronique algéroise à l’automne 2006. À la suite de la reddition de ce « baron de la drogue » responsable d’importants trafics dans l’Oranais, on verra ainsi, chose extraordinaire, la journaliste Salima Tlemçani – réputée proche du général Tewfik et, plus récemment, du chef de la police, Ali Tounsi – mettre en cause dans El Watan l ‘ancien chef de la 2 e région militaire, le puissant Kamel Abderrahmane, comme étant le véritable commanditaire de ces trafics 38 .
Mais c’est bien le GSPC, ou du moins l’étiquette commode qu’il représente, qui a été depuis 2006 l’instrument privilégié des « messages » plus ou moins sanglants que s’adressent les différents clans du pouvoir, renouant ainsi avec les « habitudes » de gestion de crise des années 1990, sans qu’il soit toujours possible de discerner quel clan est derrière telle ou telle action – celui du général Tewfik disposant sans aucun doute d’une longueur d’avance grâce au contrôle qu’il exerce de longue date sur les « troupes » du GSPC.
Un cas exemplaire est celui de l’attentat commis le 10 décembre 2006 à Bouchaoui (près d ‘ Alger) contre un bus transportant des travailleurs de la société Brown Root & Condor (BRC). Le lieu (ultra-sécurisé) et les circonstances de cette attaque indiquent que ses commanditaires sont à chercher ailleurs que dans les maquis de Boumerdès (fief prétendu du GSPC). Créée en 1994, BRC est une joint-venture entre Sonatrach (51 %) et l’américaine Kellogg Brown & Root (49 %, filiale « engineering » de Halliburton), dans laquelle serait fortement impliqué le haut commandement du DRS. Elle faisait parler d’elle dans la presse depuis quelques mois par le biais de fuites orchestrées par des proches de la présidence à propos de surfacturations de ses prestations : « Elle s’est vue octroyer les plus importants projets sans soumissionner, comme le stipule la loi, à des appels d’offres. C’est ainsi que BRC s’est vu adjugé illégalement la plupart des marchés, qui ne sont pas des moindres, de la Sonatrach, de la Défense nationale, du ministère de l’Énergie et des Mines et autres projets industriels et immobiliers puisque la société en question fait tout en Algérie 39 . »
L’attentat du 10 décembre a été revendiqué par le GSPC – qui a même diffusé sur Internet une vidéo de l’action. Mais s’agit-il bien du « vrai GSPC », celui contrôlé par les hommes du général Tewfik ? Certains journaux ont répercuté sans distance cette revendication. Mais elle a été curieusement mise en doute par d’autres, comme El Watan sous la plume de la même Salima Tlemçani : « Cet attentat a suscité de nombreuses interrogations sur les circonstances troublantes dans lesquelles il a eu lieu. L’objectif recherché à travers cette attaque est visiblement l’impact médiatique qu’elle engendrera, notamment sur le plan international. La société BRC, faut-il le rappeler, fut, cet été, au centre d’un grand scandale ayant alimenté la presse nationale. Une action en justice a été engagée, sur instruction de la présidence, au parquet de Bir Mourad Raïs. La décision a été prise après les conclusions de deux missions de contrôle, l’une de l’inspection des finances et l’autre de la cour des comptes. L’instruction judiciaire sur cette affaire se poursuit toujours, mais rien n’a filtré officiellement. Autant de raisons qui font craindre que l’attentat puisse porter l’empreinte de la mafia politico-financière 40 . »
Conséquence de ces luttes intestines : il est depuis question de dissoudre la BRC et en mars 2007, son président aurait été inculpé d’« intelligence avec une puissance étrangère » et incarcéré à la prison militaire de Blida 41 – sachant qu’il s’agit là d’un proche du général Tewfik, on mesure la dimension du conflit. Les tenants et les aboutissants de l’affaire BRC sont loin d’être élucidés. Mais sa médiatisation surprenante et l’attentat dont la firme a été l’objet doivent être vus comme un symptôme de la crise du pouvoir : ce bastion notoire du « clan Tewfik » n’est plus invulnérable.
C’est aussi que, aux facteurs structurels de sa fragilisation que l’on vient d’évoquer, s’en ajoute un autre plus conjoncturel, mais pas moins décisif : la maladie du président Bouteflika. Depuis son hospitalisation au Val de Grâce en novembre 2005, sa santé est fragile et sa survie incertaine. D’où la préoccupation, depuis lors, de ses mentors militaires de lui trouver un successeur à même d’assurer la crédibilité de leur façade civile, essentielle à leurs yeux. La solution est loin d’être évidente et constitue une autre source des conflits au sein des clans de la « coupole » militaire : qui sera demain la nouvelle « marionnette » à même de garantir leurs intérêts face à la communauté internationale, tout en disposant d’un semblant de crédibilité au plan interne ?
« Tout changer pour que rien de change » ?
C’est à la lumière de cette succession d’événements que doivent être analysés les attentats du 11 avril et le rôle qu’y aurait joué le GSPC. La multiplication, dans les jours qui ont suivi, de déclarations inhabituelles de certains responsables politiques et d’« articles codés » souvent contradictoires dans une presse algérienne toujours étroitement contrôlée par les différents « cercles du pouvoir » témoigne à tout le moins, par leur caractère exceptionnel, que ces attentats constituent une phase aiguë de la lutte des clans au sommet. Et qu’ils ont été commandités, pour atteindre comme à l’habitude plusieurs objectifs à la fois dans un jeu complexe de billard à moult bandes, par l’un des clans du pouvoir – très probablement par celui qui reste le plus puissant, même s’il est affaibli, celui du général Tewfik.
Premier indice de la manipulation : le rôle prétendu des trois « kamikazes » qui auraient conduit les véhicules piégés. Quelques heures après les attentats, un communiqué d’Al-Qaida au Maghreb les revendiquait et diffusait les photos de ces « kamikazes ». Mais six jours plus tard, le ministre de l’Intérieur, Yazid Zerhouni, proche de Bouteflika, déclarait : « La piste du kamikaze qui a visé notamment le Palais du gouvernement n’est pas plausible. [.] Moi, je pense qu’on les a chargés d’une mission et puis on les a fait exploser pour ne laisser aucune trace 42 . »
Il en veut pour preuve que les « kamikazes » n’auraient aucun lien avec la religion (selon la presse, cela vise surtout Merouane Boudina, responsable de l’attaque du Palais du gouvernement) et qu’un mécanisme de commande à distance aurait été trouvé dans la voiture ayant servi dans l’attentat du Palais du gouvernement (où se trouvent les bureaux du ministre Zerhouni lui-même et du chef de gouvernement Abdelaziz Belkhadem, successeur possible de Bouteflika, tous les deux directement visés 43 ). Le second « kamikaze », Mouloud Ben Chihab, aurait été identifié comme « disparu » (sous-entendu : enlevé par le DRS) en 1995 44 . Enfin, « l’un des trois kamikazes présentés par l’organisation El-Qaïda du Maghreb islamique [.] comme étant les auteurs des attentats suicides [.], Abou Doudjana en l’occurrence, était un compagnon d’Amari Saifi, alias Abderrazak El Para, “émir” de la zone 9 de cette organisation terroriste 45 ». Peu de temps après, comme pour discréditer les cercles à l’origine de ces informations, l’opinion publique apprend que « des sources sécuritaires en relation avec les enquêtes sur les explosions du 11 avril dans la capitale, ont exclu l’identification des deux kamikazes qui ont fait exploser le commissariat de Bab Ezzouar 46 ».
Le « message » délivré par toutes ces informations, peut-être exactes mais impossibles à vérifier, est en tout cas aisément décodable par les habitués du sérail algérien : c’est le DRS qui est derrière les attentats du 11 avril. Ce qui est très probablement la vérité, distillée notamment par. les chefs du DRS eux-mêmes, pour « signer » leur crime aux yeux de leurs adversaires au sein de la coupole.
Autre indice évident de la manipulation : les manifestations « populaires » organisées dans tout le pays par le pouvoir le 18 avril 2007 et annoncées dès la veille comme le fruit de « calculs politiques inavoués 47 ». Soigneusement encadrées, en présence d’une grande partie des barons civils inféodés aux décideurs militaires, ces manifestations aux mots d’ordres convenus (« Non au terrorisme ! », « Oui à la réconciliation ! ») ont été présentées comme un hommage (empoisonné) à la « politique du président Bouteflika », objet d’une terrible « agression » de l’étranger.
Cette confusion est tout à fait typique des situations troubles de recomposition « à l’algérienne » des alliances sur fond de violences orchestrées. À maints égards, l’opération du 11 avril rappelle celle des émeutes sauvagement réprimées d’octobre 1988, fruit d’une manipulation particulièrement tordue du clan du général Larbi Belkheir pour assurer son hégémonie 48 . L’objectif de cette manouvre, on le sait aujourd’hui, était clair : donner un « coup de pied dans la fourmilière » du système, afin de « tout changer pour que rien de change ». Elle rappelle aussi la période particulièrement douloureuse des massacres de populations civiles des années 1996-1998, qui a permis au commandement militaire de l’époque d’exclure définitivement toute solution pacifique, comme celle préconisée par les partis d’opposition réunis autour de la plate-forme de Rome de janvier 1995. Par leur retentissement médiatique, tout en sacrifiant à nouveau cyniquement des vies innocentes, les attentats du 11 avril semblent bien relever de la même logique, même si le « succès » de cette opération est loin d’être assuré, tant le « système » est à bout de souffle.
la video bien sûr!!!!