L’économie est avant tout politique comme nous l’ont appris les grands classiques de l’économie Adam Smith, David Ricardo, Malthus, JB Say, Karl Marx et plus près de nous Joseph Schumpeter, Keynes et les institutionnalistes des années 2000.
En étant conscient que l’histoire fondement de la connaissance ne se découpe pas en morceaux, la compréhension des évènements du 5 octobre 2008 doit être replacée dans la dynamique historique. Octobre 1963, 5 octobre 2008, 5 octobre 2011, une même logique, la logique rentière achetant une paix sociale fictive et éphémère par la distribution de la rente. Comme en témoigne cette logique paradoxale depuis l’indépendance politique : plus le cours des hydrocarbures augmente, plus les réformes politiques institutionnelles et micro-économiques sont bloquées avec plus de corruption et un gaspillage croissant des ressources financières.
En cas de chute brutale du cours des hydrocarbures, il y a forte probabilité d’une véritable révolution sociale. Ne s’étant pas attaqué à l’origine du mal, le système rentier source. Les tensions sociales sporadiques non organisées qui se manifestent actuellement dans toutes les régions du pays, faute de réseaux sociaux crédibles entre l’Etat les citoyens, attestent de ce malaise.
La période de 1962 à 1979 où l’économie socialiste spécifique
C’est l’hymne à la liberté chantée en 1962 dans les rues de l’ensemble de l’Algérie indépendante, les espoirs suscités par le socialisme spécifique à l’algérienne, l’autogestion des domaines des colons qui devaient élever la production, restituer les paysans dans leur dignité, mais aussi les luttes de pouvoir entre l’intérieur et l’extérieur des différents clans. Le 19 juin 1965, le président "élu" auparavant est destitué et c’est le discours du sursaut révolutionnaire du fait que l’Algérie serait au bord de la faillite. Il fallait la redresser grâce à un pouvoir fort qui résisterait aux évènements et aux hommes, à travers trois axes : la révolution industrielle, la révolution agraire, et la révolution culturelle, en prenant comme base le plan économique du programme de Tripoli qui repose sur la dominance du secteur d’Etat, comme fer de relance de l’économie nationale, à travers les grosses sociétés nationales.
Ceux sont les discours triomphants de construction des usines les plus importantes du monde, du bienfait de la révolution agraire, garantie de l’indépendance alimentaire, de l’école et de la santé pour tous et de la promesse solennelle que nous deviendrons, horizon 1980, le Japon de l’Afrique, avec les lancements du plan triennal 1967-1969,du premier quadriennal 1970-1973 et du second quadriennal 1974-1977. Le système d’information, socio-éducatif participait à ces slogans idéologiques, comme façonnement des comportements. Nous assistions alors aux discours de la vertu des fameuses industries industrialisantes avec la priorité à l’industrie dite lourde et au niveau international l’Algérie, leader du nouvel ordre économique international dans sa lutte contre l’impérialisme, cause fondamentale du développement du sous-développement.
Et voilà qu’après la mort du Président après une longue maladie et une lutte de pouvoir qui se terminera par un compromis avec la venue d’un nouveau président, qu'en 1980, nous apprenons de la part des responsables politiques que cette expérience a échoué et que la période passée était une décennie rouge. Les nombreuses commissions, dont les résultats sont jetés dans les tiroirs après des exploitations politiques, contribueront à ces dénonciations. Du fait de la compression de la demande sociale durant la période précédente et surtout grâce au cours élevé du pétrole, les réalisations porteront sur les infrastructures, la construction de logements et l’importation de biens de consommation finale avec le programme anti-pénurie avec la construction sur tout le territoire national des souks fellahs.
L’Algérie ne connaît pas de crise économique selon les propos télévisés un d’ex-Premier ministre, qui touchait en ces moments les pays développés avec un baril en termes de parité de pouvoir d’achat 2010, équivalent à 70/80 dollars. C’est alors l’application mécanique des théories de l’organisation, en les fractionnant, car les grosses sociétés nationales ne seraient pas maîtrisables dans le temps et l'espace. En 1986, la population algérienne contemple l’effondrement du cours du pétrole, elle découvrent les listes d'attente et fait face aux interminables pénuries. Et voilà que nous avons un autre discours : les Algériens font trop d’enfants, ils ne travaillent pas assez. C’est à cette période que s’élaborent les premières ébauches de l’autonomie des entreprises publiques avec la restructuration organique.
On fait appel à la solidarité de l’émigration que l’on avait oubliée. Il s’ensuit l’effondrement du dinar dont on découvre par magie que la parité est en partie fonction du cours du dollar et du baril de pétrole et non au travail et à l’intelligence seules sources permanentes de la richesse. On loue alors les vertus du travail, de la terre, l’on dénonce les méfaits de l’urbanisation, du déséquilibre entre la ville et la campagne, et l’on redécouvre les vieux débats entre partisan de l’industrie lourde qui serait néfaste, les bienfaits de l’industrie légère et la priorité à l’agriculture dont on constate le niveau alarmant de la facture alimentaire. Et comme par enchantement, le pouvoir lance le slogan de "l’homme qu’il faut à la place qu’il faut et au moment qu’il faut."
La période historique de 1988 à 1999 : crise politique et économique
Octobre 1988, conséquence de la crise de 1986 qui a vu s’effondrer les recettes d’hydrocarbures de 2/3, contredit ces discours populistes, et c’est le début timide d’une presse libre et d’un multipartisme que l’on tente de maîtriser par l’éclosion de partis (une famille pouvant fonder un parti avec des subventions de l’Etat) avec la naissance d’une nouvelle Constitution en 1989 qui introduit des changements fondamentaux dans notre système politique qui avait un caractère monocratique depuis l’indépendance conférant ainsi à notre système politique un caractère pluraliste.
Elle était cependant porteuse d’une vision hybride de la société, dans la mesure où certains articles renvoyaient à des options politico-économiques et politico-idéologiques contradictoires traduisant un non-consensus sur la voie économique à suivre. Sur le plan économique, entre 1989-1990, c’est l’application des réformes avec l’autonomie de la Banque centrale, à travers la loi sur la monnaie et le crédit, la libéralisation du commerce extérieur, une tendance à l’autonomie des entreprises et l’appel, très timidement, à l’investissement privé national et international sous le slogan secteur privé, facteur complémentaire du secteur d’Etat. Après le socialisme spécifique, c’est l’économie de marché spécifique avec la dominance du secteur d’Etat soumis à la gestion privée. Effet de la crise économique, nous assistons à une crise politique sans précédent qui couvait déjà puisque un ex-chef de gouvernement qui agissait dans le cadre de la Constitution de 1976, amendée en 1989, s’est opposé au chef de l’Etat refusant de démissionner en invoquant la responsabilité politique de son gouvernement devant la seule Assemblée nationale, qui était au mains du FLN dont le président n’était autre que le même président. La crise fut accélérée par des élections législatives, coordonnées par un nouveau chef de gouvernement issu des hydrocarbures. Une explosion sociale s’ensuivit avec des élections remportées par le courant islamique dont l’aboutissement sera la démission de ce Président après plus d’une décennie de pouvoir.
Le procès est fait cette fois à la décennie noire de 1980/1990. Et c’est la liste interminable de chefs de gouvernement et de ministres, changement successif dû à la profonde crise qui secoue le pays. C’est la naissance du Haut Comité d’Etat (HCE), la venue d’un historique et figure charismatique qui donnera une première lueur d’espoir, présidera à peine six mois le HCE avant d'être assassiné, son remplacement par un autre membre du HCE, avec parallèlement, un Conseil consultatif faisant œuvre de parlement désigné. L’on rappellera comme chef de gouvernement Belaïd Abdessalem, le père de l’industrie lourde des années 1970, avait prôné l’économie de guerre. Son départ fut rapide du fait de la cessation de paiement. Lui succèdera un premier ministre membre du HCE, artisan du programme de Tripoli qui signera l’accord de rééchelonnement avec le FMI, démissionnant tout juste après, l’Algérie étant en cessation de paiement n’ayant pas de quoi acheter un kilo de farine.
Les accords avec le FMI verront une baisse drastique de la valeur du dinar (75% environ) avec l’accord pour le rééchelonnement de la dette en mai 1993 avec le Club de Paris (dette publique) et le Club de Londres (dette privée), accompagné d’un Programme d’ajustement structurel (PAS) entre l’Algérie, le FMI, la Banque mondiale (BIRD) et l’Union européenne afin de remédier aux déséquilibres de la balance des paiements, fortement affectée par la chute des cours des hydrocarbures et du poids de la dette extérieure. La période qui suit verra un chef d’Etat avec un parlement de transition à savoir le Conseil national de transition, une combinaison d’associations et de partis politiques désignés. Viendront les élections d’un Président, Liamine Zeroual, dont le discours sera axé sur le rassemblement, pour sortir le pays de la crise et une nouvelle Constitution (1996) qui va s’attacher à éliminer les éléments de dysfonctionnement de la Constitution de 1989 en encadrant de manière sévère les mutations que je viens de rappeler.
Elle crée la seconde Chambre, dite Conseil de la nation, et par le truchement de l’article 120, lui donne pratiquement le pouvoir de bloquer un texte de loi voté par la première chambre, l’APN. Mais fait nouveau et important, elle limite le mandat présidentiel à deux étalé sur cinq années. Mais nous sommes toujours dans la même ambiguïté politique en maintenant le caractère dual de l’Exécutif, (ni régime parlementaire, ni régime présidentiel) tout en consolidant le système de conseils existants dont l’institution d’un Haut conseil islamique et d’un Haut conseil de sécurité qui est présidé par le président de la République. C’est à cette période que naît le parti le Rassemblement national démocratique (RND) dont le fondement du discours est la lutte anti-terroriste ; il raflera presque tous les sièges en 8 mois d’existence tant à l’APN qu’au Sénat au détriment du FLN, ce qui provoquera par la suite des protestations interminables et une commission sur la fraude électorale dont les conclusions ne verront jamais le jour.
Les parlementaires du fait de la situation sécuritaire de l’époque, auront surtout pour souci de voter des rémunérations dépassant 15 fois le SMIG de l’époque alors que la misère se généralise, oubliant naturellement du fait de la généralisation des emplois rentes, qu’un parlementaire aussitôt sa mission terminée retourne à son travail d’origine et qu’une retraite automatique revient à afficher un mépris total pour une population meurtrie. Dans la foulée, la venue de deux chefs de gouvernement dont le premier, technicien, pratiquera le statut quo et le second l’application des accords du FMI qui aura à son actif le cadre macro-économique stabilisé mais avec des retombées sociales négatives du fait de la douleur de cet ajustement.
La période de 1999 à 2011 : la rente toujours la rente
Liamine Zeroual démissionne et des élections sont programmées le 8 avril 1999 avec l’élection d’un président qui promet de rétablir l’Algérie sur la scène internationale de relancer la croissance économique pour atténuer les tensions sociales et de mettre fin à l’effusion de sang. Il organise le référendum sur la réconciliation nationale avec un vote massif en faveur de la paix. Un chef de gouvernement est nommé après plus de 8 mois d’attente mais son mandat sera de courte durée, à peine une année, du fait des conflits de compétences. Ali Benflis, second chef de gouvernement lui succèdera, mais il démissionne, tout en se présentant comme candidat à la présidence avec comme conséquence une dualité dans les rangs du FLN dont il est tissu.
Il est remplacé par le secrétaire général du RND. Viennent ensuite les élections du 8 avril 2004 qui sont largement remportées par Abdelaziz Bouteflika avec trois chefs de gouvernement successifs : premièrement le secrétaire général du RND qui a été chargé des élections de 2004, puis le secrétaire général du FLN courant 2007, ce parti avec les élections successives étant devenu majoritaire tant au niveau de l’APN que du Sénat, avec peu de modifications dans la composante ministérielle puisque l’ancien chef de gouvernement n’a pu nommer aucun ministre entre mai 2006 et juin 2008, assistant d’ailleurs à la même composante à quelques variantes près depuis 10 années, idem pour les walis et les postes clefs de l’Etat. Puis à nouveau courant 2008 voilà le retour du secrétaire général du RND. Il sera chargé des élections d’avril 2009. C’est également durant cette période courant novembre 2008 qu’est amendée la Constitution non pas par référendum mais à la majorité des deux chambres. Les députes et sénateurs feront comme leurs prédécesseurs se faire voter un salaire de plus de 300.000 dinars par mois, plus de quatre fois le salaire d’un professeur d’université en fin de carrière. Cet amendement ne limite plus les mandats présidentiels, tout en supprimant le poste de chef de gouvernement en le remplaçant par celui de premier ministre consacrant un régime présidentiel.
Dans la foulée l’élection présidentielle s’est tenue le 9 avril 2009 où le président en exercice est réélu pour un nouveau mandat de cinq années (2009/2014) en promettant la création de trois millions d’emplois durant cette période et d’augmenter le pouvoir d’achat des Algériens. Mais fait nouveau, une crise mondiale sans précédent depuis la crise d’octobre 1929 est apparue en octobre 2008. Comme en 1986, courant 2008/2009 différents responsables politiques déclareront à la télévision officielle que la crise ne touche pas l’Algérie du fait de la non-connexion avec le système financier mondial, de la non convertibilité du dinar et de l’importance des réserves de change oubliant que les dépenses réelles, c'est-à-dire le plan de financement est largement tributaire du cours des hydrocarbures.
C’est également durant cette période où nous assisterons à deux politiques socio-économiques contradictoires : la période 2000/2004 où existe une volonté de libéralisation du moins à travers les textes juridiques avec l’accord signé pour une zone de libre-échange avec l’Europe applicable depuis le 1er septembre 2005, une nouvelle loi sur l’investissement, sur la privatisation, les lois sur l’électricité et le transport du gaz par canalisation et l’amendement de la loi sur les hydrocarbures autorisant l’investissement étranger sans limites.
Revirement durant la période 2006/2010, la loi des hydrocarbures est amendée, postulant pour ce segment que la Sonatrach sera majoritaire au moins de 51% tant à l’amont, à l’aval que pour les canalisations. La loi de finances complémentaire 2009 avalisée par les lois de finances 2010/2011 introduit la préférence nationale avec, pour le commerce, 70% pour les Algériens et 30% pour les étrangers ; et pour les autres secteurs 51% pour le national minimum et 49% pour les étrangers étendue en 2010 également aux banques. Dans ce cadre, le 11 juillet 2010 est adopté le décret présidentiel sur la réglementation des marchés publics, prévoyant une profonde révision de la réglementation en vigueur depuis près d'une décennie, la marge de préférence nationale passant de 15% à 25% dans les appels d’offres. Le texte prévoit aussi l'obligation de recours exclusif à l’appel d’offres national quand le besoin du service contractant est en mesure d’être satisfait par un produit ou une entreprise algérienne.
Abderrahmane Mebtoul
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