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  • Ahmed MAHIOU : «La justice algérienne n’est pas indépendante»

     

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    Ahmed Mahiou. Professeur en droit international

    «La justice algérienne n’est pas indépendante»

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    El Watan le 13.12.12

    - Vous évoquez dans une conférence le déséquilibre des pouvoirs après la révision constitutionnelle de 2008. En quoi les pouvoirs ont été déséquilibrés ? Quelles répercussions a pu avoir cette situation sur le fonctionnement de l’Etat ?
    Quand je parlais de déséquilibre instauré par la révision de la Constitution, je parlais du déséquilibre au sein du pouvoir exécutif. Il était dualiste dans la Constitution de 1989, il y avait le chef de l’Etat qui exerçait les pouvoirs les plus importants et il y avait aussi le chef du gouvernement qui avait les siens. Ce dernier définissait la politique du gouvernement, bien sûr avec l’aval du chef de l’Etat. Il présentait son programme en tant que chef du gouvernement à l’Assemblée populaire nationale devant laquelle il est responsable. On a donc mis fin à ce système. On peut comprendre les raisons pour lesquelles on remet en cause un système en préférant avoir l’option que le chef de l’Etat n’a pas à partager le pouvoir exécutif, pour avoir une vision unitaire du pouvoir exécutif et non pas une vision dualiste, dans laquelle le chef du gouvernement est issu de la majorité parlementaire. Si on renonce à ce dualisme de l’Exécutif, je ne vois pas l’intérêt finalement d’avoir un Premier ministre, ne vaut-il pas mieux à ce moment-là aller vers un régime présidentiel purement et simplement, où il n’y a que des ministres et où le chef de l’Etat est à la fois avec ses attributs aussi chef de gouvernement.

    Ce qui va poser dans ce cas un nouveau problème de déséquilibre entre le chef de l’Etat et le Parlement. Soit donc, on va vers le régime présidentiel et le meilleur modèle est le système américain, et dans ce cas, il y a deux pouvoirs indépendants, il n’y a pas d’action de l’un sur l’autre, comme dans un régime parlementaire. Vous savez que dans un régime parlementaire, le chef du gouvernement est désigné au sein de l’Assemblée nationale et dans cette Assemblée il faut avoir une majorité. Et si on ne l’a pas, on perd la fonction de Premier ministre. Dans un régime présidentiel, il n’y a pas une telle responsabilité. Le Président est là, et il n’y a pas de moyens d’action du Parlement à son égard. Et inversement, il faudra faire la même chose, à ce moment, il ne faut pas que le Président ait des pouvoirs d’action à l’égard du Parlement. Or, actuellement dans le système algérien, le Président a le pouvoir de dissolution. S’il n’est pas satisfait du fonctionnement de l’Assemblée nationale, il peut la dissoudre autant qu’il veut. On peut rester dans l’ambiguïté entre un régime présidentiel et un régime parlementaire, mais ce n’est pas toujours facile de trouver un bon équilibre. Dans les deux systèmes, c’est possible que l’on puisse en trouver un, mais il faut peut-être choisir entre les deux. Je ne crois pas que l’Algérie soit mûre pour un régime parlementaire, le Président n’a pratiquement aucune fonction, cela ne correspond pas à l’histoire de l’Algérie, ni à la situation actuelle. Pour qu’il y ait un régime parlementaire, il faut qu’il y ait de vrais partis politiques. Le problème n° 1 du système politique algérien est que les partis politiques sont réduits en miettes. Il y avait un certain moment de partis dominants ou le FLN avec l’aide d’un autre parti  arrivait à constituer une majorité. Mais avec l’émiettement de tous les partis, y compris le FLN lui-même, on ne peut pas avoir de Parlement qui puisse remplir sa fonction. Donc, on n’arrivera pas à dégager une majorité pour avoir un gouvernement qui va bien sûr agir sous le contrôle de l’Assemblée nationale. C’est à tout cet ensemble d’éléments auxquels il faut réfléchir calmement pour voir quel est le système qui peut s’adapter à l’Algérie. Avec en perspective de ne pas penser à résoudre les problème immédiats tels que le prolongement des mandats du Président. Il faut réfléchir à un système politique à long terme qui va, comme on l’a dit à l’époque, survivre aux hommes. Ça n’a pas été fait.

     

    - Pour revenir à la révision de la Constitution qui a supprimé la limitation des mandats présidentiels, ils disent que cela n’a pas touché au grand équilibre…
    C’est faux : supposant qu’il y ait des élections franches et loyales qui vont dégager une majorité différente, c’est le chef l’Etat qui désigne le Premier ministre et il n’est pas obligé de le prendre dans la majorité, contrairement à l’ancienne Constitution. Supposons que la majorité va refuser, il va dissoudre l’Assemblée, et si c’est la même majorité qui est renvoyée, il faut qu’il parte, qu’il démissionne ça veut dire qu’il a été désavoué. L’ancienne Constitution permettait de résoudre ce problème. Dans l’actuelle, le système est un peu bloqué. Pour qu’il fonctionne, il faut que la majorité soit toujours d’accord avec le chef de l’Etat. Et c’est là où je dis qu’on a déséquilibré le système. Par exemple, on ne peut pas faire avec notre système actuel une sorte de cohabitation comme en  France. François Mitterrand a cohabité avec une majorité de droite. Jaque Chirac l’a fait avec une majorité socialiste. Certains pensaient qu’il y avait un vice de forme dans la Constitution française, mais cela a permis un certain équilibre du système. Nous, maintenant avec cette réforme de 2008, nous ne pouvons plus avoir ce système-là, et cela pourrait conduire à un blocage.

     

    - Lorsqu’il y a eu cette révision en 2008, ses partisans n’arrêtaient pas de dire que cela n’est pas une atteinte à la démocratie et au principe d’alternance…
    Ce n’est pas une atteinte, mais je dis tout simplement que si on veut appliquer le système démocratique et le principe de l’alternance, il faut limiter les mandats. Je ne suis pas contre qu’un Président revienne après avoir fait l’impasse sur un mandat pour postuler à la présidence de la République, mais pour assurer l’alternance, il est bon de limiter à deux mandats. Comme c’est le cas en Russie. Le président Poutine a régné pendant deux mandats, puis il est parti pour laisser sa place à son Premier ministre. Il y a une forme un peu perverse à laquelle on débouche : on donne l’illusion qu’il y a alternance, mais en fait, c’est une fausse alternance. Il y a une alternance de personnes, mais il n’y a pas d’alternance de projets politiques. Alors comment trouver la possibilité autant que faire ce peu, c’est-à-dire comment assurer à la fois l’alternance des personnes et de projets politiques en même temps ?

     

    - On s’apprête à une nouvelle révision de la Constitution dont on ne connaît pas encore les contours, mais quelles sont les choses qu’on pourrait réformer dans la prochaine Constitution ?
    Le premier problème est celui que je viens d’évoquer : comment faire pour qu’il y ait un équilibre des pouvoirs ? La démocratie suppose une alternance au pouvoir. Ce n’est pas un parti politique aussi efficace soit-il qui reste éternellement au pouvoir. Il faut donc prévoir par-delà la Constitution dans la vie politique et dans les lois qui l’organisent, un système permettant une alternance, à travers une concurrence loyale des projets politiques, c’est une  bonne chose pour n’importe quel pays. C’est cela la démocratie. Ce n’est pas une forme de parti unique, ou bien un projet unique sous une apparence démocratique. Le deuxième point : la Constitution, il faut en assurer le respect et la conformité. Il faut qu’il y ait un vrai Conseil constitutionnel. Et un Conseil constitutionnel indépendant des pouvoirs. Ce n’est pas le cas en Algérie. Donc, d’une part avoir un vrai Conseil constitutionnel, qui est en même temps ouvert aux recours des citoyens pour qu’ils puissent contester la conformité d’une loi devant les tribunaux algériens. Si je suis poursuivi en justice parce que je n’ai pas respecté la loi, j’aimerais pouvoir dire qu’on applique une loi qui ne respecte pas la Constitution. Et j’aimerais bien qu’il y ait un organe que l’on puisse saisir. Ce n’est pas à moi-même de saisir le Conseil constitutionnel, je soulève un problème de non constitutionnalité d’une loi, c’est au tribunal lui-même de dire qu’il y a un problème de constitutionnalité et de le renvoyer devant le Conseil constitutionnel. Evidemment avec des filtres pour éviter d’encombrer l’institution et que toute personne qui est poursuivie pour avoir violé la loi peut pouvoir invoquer la non-conformité avec la Constitution. Il faut que le juge lui-même s’autosaisisse s’il voit que la requête est sérieuse.

     

    - Vous avez fait des propositions de dispositions constitutionnelles sur l’enseignement et le secteur économique,  pensez-vous que sans cela le pays va continuer à s’empêtrer dans les blocages ?
    Oui, par-delà l’enseignement, et l’économie c’est l’ensemble des secteurs de la vie en Algérie qui sont concernés. Il faut que la bureaucratie cesse de faire sa loi, de retarder tous les projets, de tout bloquer. Qu’elle cesse d’être une source de rente et de corruption. Dès que quelqu’un détient le pouvoir, il veut le rentabiliser, c’est-à-dire le monnayer. Cela devient plus dramatique et s’accentue. L’ensemble des textes qu’on a adoptés ne sont pas appliqués sérieusement. Parce que d’une part, on a une accumulation de textes inutiles : on n’as pas besoin de trente-six mille textes pour combattre la corruption. Ce dont on a besoin, c’est l’application des textes par des organes qui soient indépendants du pouvoir. C’est-à-dire une justice indépendante. La justice en Algérie, j’ai le regret de le dire n’est pas indépendante. Certes, elle ne se mêle pas de tous les procès qu’il y a tous les jours devant les tribunaux ; l’indépendance de la justice se juge aux affaires sensibles. Des affaires qui peuvent toucher les domaines sensibles ou les politiques sont impliqués, ou des personnes haut placées sont impliquées. Une justice indépendante est celle qui dans ces cas-là statue de manière indépendante. Il ne peut y avoir de respect de la loi s’il n’y a pas d’organes capables de sanctionner et qui soient indépendants de toutes formes de pouvoir et de pressions, politiques, économiques ou sociaux.

     

    - Concernant la profusion de partis politiques…
    Oui, avoir 36 partis ce n’est pas sérieux. Jamais un régime est démocratique parce qu’il y a un nombre incroyable de partis politiques. Une démocratie, c’est quand il existe quelques partis politiques sérieux, ayant des projets économiques, des projets de société qui s’affrontent devant les électeurs et qui, à l’issue des élections loyales, on détermine celui qui a obtenu l’aval, soit en ayant la majorité ou contribuer par le système d’alliance pour dégager une majorité. On ne fait pas pousser les partis politiques comme des champignons au lendemain de la pluie. Ils apparaissent et ils disparaissent, l’on ne sait même pas pourquoi. Il faut avoir quatre, cinq partis sérieux porteurs d’un projet et se présenter devant le peuple qui aura à choisir.

    Said Rabia