Le personnel navigant commercial d’Air Algérie poursuit sa grève et estime que les responsables de la compagnie souhaitent le pourrissement de la situation. La direction générale de la compagnie a procédé au licenciement des meneurs du mouvement.
Irane Belkhedim - Alger (Le Soir) - «C’est la troisième nuit que nous allons passer dans le centre des opérations aériennes. Nous maintenons notre mouvement car la direction générale ne veut pas nous écouter», confie un jeune steward qui refuse de décliner son identité, craignant les représailles de l’administration. Des représailles qui ne se sont pas fait attendre puisque les grévistes affirment que la direction des ressources humaines d’Air Algérie a établi une première liste de 23 personnes «les meneurs du mouvement » licenciés. «On veut nous couper la tête, les pressions et le harcèlement sont là, mais c’est de bonne guerre et nous gérons la situation telle qu’elle se présente. L’on estime que plus d’une centaine d’autres personnes seront sanctionnées. Cette liste a été établie par l’ancien directeur du personnel navigant commercial parti à la retraite», explique Yacine Hamamouche, l’un des délégués des PNC. Les grévistes, ceux qui ont quitté le centre des opérations aériennes, se sont vu retirer leurs badges, donc leurs autorisations de circuler librement dans la zone aéroportuaire. Des licenciements et des réquisitions dans les aéroports d’Oran, de Constantine, d’Annaba et d’Alger, précise Yacine Hamamouche. «Depuis le début de la grève, lundi passé, aucun responsable ne s’est déplacé pour discuter avec nous. Nous sommes pourtant ouverts à toute proposition. Ce sont les responsables qui veulent le pourrissement. Aux syndicats qui ont joué les intermédiaires, le P-dg d’Air Algérie a fait savoir qu’il ne souhaite pas discuter avec Yacine Hamamouche. Mais je suis mandaté par les travailleurs», affirme le délégué du collectif des PNC.
L’administration confirme les licenciements
Intervenant hier sur les ondes de la Radio Chaîne 3, le président-directeur général de la compagnie, Mohamed-Salah Boultif, confirme le licenciement des meneurs de la protestation, exhortant les grévistes à reprendre leur travail, toutefois, il ne donne aucun chiffre. Pour de plus amples informations, nous tentons de contacter la direction générale d'Air Algérie sans résultat. L’on nous recommande d’appeler la cellule de communication. Le téléphone sonne dans le vide. Visiblement absent, le chargé de la communication n’a pas été en mesure de répondre.
Les discussions avec les responsables n’ont pas abouti
Alors que le personnel navigant commercial entame son troisième jour de grève, les deux parties ne sont parvenues à aucun accord. Yacine Hamamouche explique que la veille du débrayage (10 juillet), les délégués des PNC ont tenu une rencontre avec des responsables de la direction générale de la compagnie, les deux parties se sont entendues de s’accorder un échéancier de six mois voire plus pour régler tous les problèmes. «Deux heures plus tard, nous rencontrons une seconde fois ces mêmes responsables pour nous confirmer ces résultats, ils nous ont appris que ce n’était pas possible et qu’Air Algérie n’a pas les moyens !». La décision de recourir à la grève a été prise tard dans la nuit après une assemblée générale inopinée. «Les responsables auraient pu calmer les choses s’ils étaient venus nous voir le 11 juillet à 8 h du matin, pourquoi ne sont-ils pas venus ?», souligne Yacine Hamamouche. Ce mouvement, indiquent les grévistes, n’est encadré par aucun des deux syndicats (UGTA ou autonome).
Marasme général du personnel navigant
Ils sont près de 400 employés à se rassembler depuis lundi au centre des opérations ariennes à l’aéroport international d’Alger. Des hôtesses, des stewards et des chefs de cabine qui dorment à même le sol, sur des draps ou des tapis qu’ils ont ramenés de chez eux. «Mardi, trois hôtesses se sont évanouies, elles ont eu un malaise dû à la canicule», confie un steward qui précise que les climatiseurs qui rafraîchissaient cette grande salle de deux étages ont été coupés, une manière de décourager les protestataires qui sont venus de plusieurs wilayas (Oran, Annaba et Constantine). «Ils se sont déplacés avec leurs propres moyens. Ils ont eu des pressions de la part de la direction et sont venus chercher refuge ici, pour plus de sécurité», souligne Yacine Hamamouche, qui ajoute que deux autres stagiaires ont eu un malaise. «Ils ont été exploités par la direction. Ils ont travaillé de 5h du matin à 21h. Ils ont été usés et je pèse mes mots», dit-il.
Vive tension à l’aéroport d’Alger
Au troisième jour de grève, le trafic aérien restait fortement perturbé. Sur les 135 vols programmés, seuls 35 ont pu être assurés. Deux vols sur les quarante programmés ont décollé d’Alger, les autres vols vers l'étranger ont été annulés. Pour gérer la situation, une cellule de crise a été mise en place pour procéder au rapatriement de ressortissants algériens résidant à l'étranger, notamment en France, bloqués dans les aéroports en attente d'embarquement. En effet, hier, des milliers de personnes qui comptaient venir passer leurs vacances en Algérie ont été bloquées en France. Certains se sont réveillés les yeux rougis dans les aérogares français pour apprendre, à leur grande déception, qu’ils ne peuvent décoller, note le journaliste de l’AFP. Air Algérie a annulé ses vols depuis Paris, Marseille et Lyon.
Le bateau pour remplacer l’avion
Les passagers bloqués dans des aéroports algériens et européens ont commencé à être pris en charge par l'Entreprise nationale de transport maritime de voyageurs (ENTMV), a assuré son P-dg, M. Ahcene Grairia. Mardi 116 voyageurs ont été transportés de Barcelone vers Alger via Palma de Majorque. Trente autres arriveront à Oran à bord du navire Ariadne, en partance d'Alicante. «La compagnie peut prendre en charge jeudi entre 500 et 600 passagers d'Oran vers le port d'Alicante, en Espagne et qui devraient embarquer sur le car-ferry Ariadne». M. Grairia a ajouté que 450 autres voyageurs vont être pris en charge jeudi à partir du port français de Marseille vers Alger. «La priorité sera accordée aux familles. L'ENTMV continuera à transporter les passagers d'Air Algérie, jusqu'à la fin de la grève tant qu'il y a des places disponibles», a-t-il soutenu.
I. B.
Le RCD dénonce
Dans un communiqué parvenu à notre rédaction, le député de l’émigration sous la bannière du RCD, le Dr Rafik Hassani, a souligné le devoir contractuel de la compagnie nationale Air Algérie de trouver la solution adéquate pour transporter les passagers cloués au sol à cause de la grève du personnel navigant depuis déjà trois jours. L’élu a ainsi contesté l’argument des responsables de la compagnie et du gouvernement arguant que la saison estivale rend la chose moins aisée. «Que l’on ne nous dise pas le contraire : l’Algérie a su mobiliser en un rien de temps les moyens de transporter au Soudan des dizaines de milliers de jeunes pour un match de football. Mais, il est vrai, il y avait une arrière-pensée politique», rappelle- t-il.
L. H.
Le PT s’indigne
Le Parti des travailleurs (PT) exprime son «indignation» contre la décision de la direction générale d’Air Algérie de procéder à des licenciements de «meneurs». Qualifiant les revendications socioprofessionnelles du personnel commercial navigant de «légitimes», le bureau politique du PT estime que «la terreur et le déni de droits ne sauraient constituer la réponse appropriée». Voire le PT en appelle au président de la République pour dégager l’enveloppe financière nécessaire à l’augmentation des salaires de 100%. De même, il appelle la direction générale d’Air Algérie à annuler les décisions de licenciements et ouvrir des négociations sérieuses.
C. B.