Yves Bonnet, ex-ponte de la DST, cuisiné par la PJ. Il est soupçonné d'avoir trempé dans une affaire de faux conservateurs.
Dans les services spéciaux, on appelle ça un «débriefing» en règle.
Mais, à la brigade financière, ce n'est qu'une «garde à vue». Yves Bonnet, directeur de la Direction de la surveillance du territoire (DST) de novembre 1982 à juillet 1985, n'a pas dû voir la différence. Il a été interrogé, hier et avant-hier, par la PJ durant près de quarante heures sur ses liens avec un groupe d'hommes d'affaires mis en examen pour escroquerie. Une fine équipe qui voulait vendre des sachets de granulés capables de multiplier par dix la longévité des aliments. Le nom de code de cette «opération» était «Conserver 21». Un mot clef qui cachait en réalité la reprise frauduleuse d'un ancien brevet un «absorbeur d'éthylène», dont les vertus conservatrices sont déjà largement connues et utilisées.
L'initiateur du projet, Bruce Denis Allet, 35 ans, avait un casier judiciaire très chargé, assorti de plusieurs passages à Fleury-Mérogis. Son bras droit, Jean-Michel Beaudoin, ancien directeur de cabinet d'Yvon Briant au Centre national des indépendants (CNI), avait un curriculum plus politique. Il avait même été chargé de mission à la mairie de Paris. En deux ans d'existence, les différentes sociétés de Conserver ont fonctionné comme une «pompe à finances», absorbant plus de 80 millions de francs. Un aubaine pour Allet, interdit bancaire jusqu'en 2004, malgré un joli train de vie et même un yacht amarré à Cannes.
Les granulés, quant à eux, n'ont jamais vu le jour à échelle industrielle. En février, le parquet de Paris a ouvert une information judiciaire pour «escroquerie, faux et usage de faux et abus de biens sociaux», mais aussi «blanchiment». La juge Laurence Vichnievsky chargée du dossier s'est aperçue qu'un juge belge avait été simultanément saisi à Bruxelles, compte tenu de l'état de cessation de paiement des entités créées là-bas.
Jean-Michel Beaudoin avait connu Yves Bonnet en marge d'une association réputée active en barbouzerie: l'Association pour le développement des relations franco-arabes (Adraf). Pour Conserver, l'appui n'était pas négligeable. Car l'ancien patron du contre-espionnage est en plus entré en politique en 1993. Préfet honoraire, Bonnet s'est fait élire député de la Manche sous l'étiquette UDF un siège perdu aujourd'hui , puis conseiller général de Cherbourg en 1994. Son entourage assure qu'il a été séduit par le produit, et son ancien suppléant a précisé, hier, qu'il avait envisagé, de bonne foi, l'implantation d'une usine de granulés sur le port de Cherbourg. Bonnet est-il allé plus loin? Paris-Match, qui a consacré plus de dix pages au «produit miracle», fait allusion à un déjeuner organisé «en grande pompe» au restaurant de l'Assemblée nationale, autour d'Yves Bonnet, le 19 mars 1996, pour «célébrer la signature d'un contrat de commandes américaines» à venir. Le magazine signale aussi la nomination du frère de l'ancien patron du contre-espionnage, Pierre Bonnet, au poste de «directeur général du groupe Conserver». Pierre Bonnet était également placé en garde à vue, depuis mercredi.
La promotion des granulés est très étudiée. Allet présente des simulations de la résistance des fruits et légumes, avec ou sans Conserver, devant huissier. De nombreux financiers n'y voient goutte. «Quand on a ouvert les armoires, j'étais sur le cul, raconte l'un d'eux. Les fraises des bois, les côtelettes d'agneau étaient parfaitement conservées. Un conseiller culinaire nous les a aussitôt préparées. Je me suis immédiatement offert comme distributeur.» L'investisseur obtient sa place dans le dispositif, et fait aussitôt des essais autour de lui. «Des fois, ça marchait, des fois ça ne marchait pas.» Mais les tests effectués dans la grande distribution sont carrément «un échec».
L'un des associés s'aperçoit que le brevet détenu par Bruce Allet n'est qu'un «recopiage mot pour mot» d'un brevet Ardant, déposé en 1983. Le groupe n'est pas à ça près: une nouvelle version est établie, avec un volet «emballage» des granulés tout à fait spécifique. «Il y a forcément de l'argent quelque part», explique l'homme d'affaires. Vraisemblablement au Luxembourg, où une société off-shore a déjà été repérée. Pour sa défense, Bruce Allet aurait indiqué qu'Yves Bonnet et Jean-Michel Beaudoin utilisaient la structure pour des opérations de services spéciaux. Mais le tuyau est peut-être avarié.
http://www.lequotidienalgerie.org/2011/09/18/quand-on-parle-de-barbouze-on-apercoit-sa-queue/ excellent article
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