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andalou

  • Western andalou


    Par Arezki Metref
    arezkimetref@free.fr

    A 35 km au nord d’Almeria l’andalouse, des vallons désolés s’étendent au pied des montagnes de la Sierra de Los Fibras. Collines pelées, calcinées, canyons aux parois déchiquetées, rios secs dont il ne reste que le lit, épineux rabougris trônant frileusement au bord de ramblas (ravins) crevassant un relief à un tel point uniforme que l’on ne distingue pas la roche de la végétation, chaleur sèche et pesante, soleil de plomb. Bienvenue dans le désert le plus aride de l’Europe occidentale ! Sont-ce donc les troupes berbères de Tarik Ibn Zyad qui, en occupant cette partie de l’Ibérie, ont cru utile de prendre avec eux un morceau de désert qui leur rappellerait un peu leurs paysages natals ? Ponctué de villages blancs lovés dans les anfractuosités de la roche, le désert étale son aridité jusqu’à la mer où il se jette tout habillé d’ocre.
    A 9h du matin, ce 13 août, il fait déjà dans les 36 degrés Celsius. La journée promet d’être chaude mais quelle journée ne l’est pas dans ce désert ? Le pistolero roumain, tout de noir vêtu, des bottes au chapeau, gilet compris, ferait un bon truand dans un western spaghetti. Il se protège de l’enfer du ciel en s’abritant dans une dérisoire guérite à l’entrée de Leone-Western, un parmi les quelques complexes de décors de cinémas, devenant parc d’attractions entre deux tournages de série B., éparpillés à travers le désert de Tabernas. Sur une butte, des tipis blancs suggèrent un village indien. Leone-Western emprunte son nom au roi italien du western-spaghetti Sergio Leone. Dans les années 1960, Leone y a tourné, en partie, ses classiques, Pour une poignée de dollars, l’impérissable Le Bon, la Brute et le Truand et le film-manifeste Il était une fois dans l’Ouest.
    L’entrée ressemble à celle d’un fort. Grand portail en bois, miradors sur les coins. Dès qu’on pénètre dans le village en carton-pâte, on tombe sur une potence. La corde n’attend que le cou du gibier qu’on acheminera, entravé, depuis le bureau du shérif à quelques pas de là. Un touriste sur deux, en moyenne, se fait prendre en photo, en pendu. Des hauts parleurs éparpillés à travers le village diffusent en boucle la musique d’Ennio Morricone. Ça accroît l’impression d’y être. Le bureau du shérif, ouvert à la visite comme tout le reste, est une pièce en bois occupée par deux ou trois cellules aux grilles ouvertes. Une machine à écrire traîne, sûrement depuis un bon demi-siècle, dans la poussière. A l’étage, un espace vide troué d’une fenêtre qui donne d’un côté sur le village mexicain, avec ses maisons basses et blanches et son église éclatante et trapue, et de l’autre sur un éperon rocheux.
    Le saloon est sombre. Un type à la barbe sale des bandidos, déglingué à la téquila, sert du café aux visiteurs. Pause dans la visite. Le shérif, celui qui va jouer le rôle tout à l’heure dans le spectacle prévu pour que les touristes en aient pour leur argent, parade l’étoile plaquée au paletot. Manteau long à la Clint Eastwood, bottes équipées d’éperons, le foulard de rigueur, un pistolet dans chaque main, il est dans son rôle. Arrive Léon. Il n’a jamais dit son nom mais on l’appellera comme ça. Septuagénaire légèrement bedonnant, il est habillé en barman de western. Pantalon noir collant, chemise sans col beige et gilet en daim noir, Léon est un frappé de western. On se salue, un peu en français et un peu en arabe. Léon est né et a grandi à Belcourt. «J’ai fréquenté l’école de la rue Alfred de Musset, juste à côté du cinéma du même nom». Léon est du genre à raconter sa vie sans frein, comme s’il racontait un de ces westerns dont il raffole. «J’ai quitté l’Algérie à l’indépendance, comme la plupart des pieds-noirs. J’ai atterri à Port-de-Bouc, dans la région de Marseille. J’ai été soudeur toute ma vie jusqu’à la retraite que j’ai eue il y a quelques années. De tout temps, j’ai été attiré par le cinéma. J’ai été pris comme figurant dans quelques films français. Je n’ai jamais rien possédé qu’un camping car. Il m’a été utile lorsque j’ai décidé de venir vivre à proximité de ces décors de western. Il m’a servi de demeure pendant deux ans. J’ai dégotté un boulot ici, à Leone Western. Il y avait une Equatorienne qui bossait dans ce même saloon. Nous nous sommes mariés et nous avons pris un appartement à Almeria. Je suis heureux.»
    Léon fourmille d’anecdotes sur le cinéma, les tournages dans le coin. «Tu vois la planche à laver dans la cour. Elle ne te dit rien ? C’est celle que Claudia Cardinal utilise dans «Il était une fois dans l’Ouest». Contourne la West Bank et tu tomberas sur une surprise». Là, deux engins de guerre rouillent au soleil du désert. Je reconnais le marron au premier coup d’œil. C’est celui que pilote Mel Gibson dans Mad Max, film tourné aussi en partie dans ce désert qui n’a pas servi de décor qu’à des westerns mais aussi à des films comme Laurence d’Arabie ou Indiana Jones.
    «Ya bougalb, jure Léon, je suis crevé. Je me suis réveillé très tôt hier. Nous étions plus de 2 000 à postuler pour une figuration pour le prochain film de Ridley Scott, tourné évidemment par ici, une autre version de Moïse».
    Je traîne dans ce décor en carton pâte, retrouvant intactes les sensations éprouvées lorsque, adolescent, je me laissais captiver par l’univers aride et flamboyant des westerns-spaghettis. J’avais beau avoir conscience que le cinéma n’était que du cinéma, et que les paysages étaient des décors et les personnages des acteurs, je me laissais prendre. Que je découvre aujourd’hui à Léone Western que les dimensions des décors sont infiniment plus réduites que je ne pouvais le soupçonner ne change à rien à l’affaire.
    A midi et demi, voilà le spectacle. Tout se passe dans le saloon où un cow-boy se fait agresser par deux truands en habit d’époque avec une intrusion brève du shérif. Coups de feu, morts, téquila à gogo. Le public de touristes est partagé entre le fou rire et la frayeur d’être si proche des armes à feu qui claquent. Le cinéma, c’est de l’illusion. Mais la réalité qui essaye d’imiter l’illusion du cinéma, c’est l’illusion de l’illusion. Et puis, comment ne pas y penser, tout cela se passe à deux heures de Grenade, donc d’une autre histoire.
    A. M.