Zineb Azouz, 22 novembre 2011
En 1874, en voulant ridiculiser Claude Monet qui venait de peindre sa toile « Impression, soleil levant », un artiste inventa un mot : l’impressionnisme. Depuis, ce dernier est, devenu l’intitulé d’une grande école d’art, de musique et même de littérature.
Le journalisme dont l’Etat et ses compléments restent les principaux fournisseurs de ressources, a-t-il les moyens de dépasser le négationnisme, le complotisme et autres concepts chargés de mission ?
Liberté d’expression ou choix de répression
Charlie Dodo, au nom de la liberté d’expression et sans doute en vue de célébrer à sa façon ce que les uns ont appelé le printemps arabe et les autres l’hiver islamiste, a choisi une fois de plus de tester le sens de l’humour de ces masses dites de musulmans qui, à chaque fois qu’on daigne leur accorder la parole semblent décevoir et choquer au plus haut point, à peine en effet débarrassés de leurs dictateurs, c’est l’étendard du croissant qu’ils voudraient tous brandir, donnant l’impression à chaque fois de mordre la main qui les aurait abreuvé de liberté.
La fausse intelligence journalistique aura eu l’effet exactement inverse, on pourrait dire « encore ! »
Qu’il s’agisse de Gaza avec Hamas, de la Tunisie avec Ennahda ou de la Libye avec le fameux CNT né pourtant à Londres, et selon BHL à Jérusalem, tout nous est présenté avec les mêmes esquisses, les mêmes raccourcis et les mêmes analyses des anciens colonisateurs parlant de leurs anciens indigènes, comportement justifié vis-à-vis des dictateurs en face, mais les peuples finissent par se lasser et deviennent allergiques.
Ces peuples musulmans ou islamiques, possèdent-ils la faculté de rire, d’avoir de l’humour, sont ils au fond comme tout le “monde” ? Derrière cette question, c’est une autre interrogation qui nous est adressée : Ces peuples méritent-ils la liberté ? Le monde libre n’aurait-il pas mieux fait de continuer à s’accommoder avec des tyrans qui avaient le mérite de torturer, affamer, pendre, humilier, violer, spolier, mais jamais, en apparence, au nom de la Charia ?
Des millions de musulmans sont ainsi soumis à un test suprême, une sorte de baptême initiatique pour faire partie du cercle très fermé des peuples éclairés, civilisés, décomplexés et affranchis. Pour ce faire, ils doivent prouver qu’ils sont capables de passer outre leurs sacralités, leur foi, leurs observances, leurs différences, leurs déférences, leurs traditions, leurs pudeurs et se montrer à tout prix réceptifs à la culture des blagues et des caricatures qui montrent entre autre un prophète tantôt en guignol de BD, tantôt en petit “terro” mais à chaque fois avec le faciès de l’arabe, bougnoule du coin, je serais tentée de dire qu’à ce jeu la tête de Sarkozy aurait fait l’affaire, sauf qu’il est le chancre des idées et illuminations de Charlie.
Faut-il savoir gré à Charlie Dodo de nous avoir remis au goût du jour, à sa manière, et sans l’avoir prémédité, puisque justement il ne fallait surtout pas parler des faits marquants de l’actualité sanguinaire, des barbaries et des primitivismes que le saccage de son local et le piratage de son site ont failli nous faire oublier. Au passage, est ce bien utile de rappeler que les présumés auteurs de ces actes, à l’évidence déplorables (et condamnables), ont été désignés, identifiés et pointés avant même l’ouverture de la moindre enquête.
Et donc, au moment où l’Otan venait à peine de finir de LAPIDER près des 70 000 civils Libyens par ses missiles ultra précis et ses frappes chirurgicales, au moment où le monde libre se félicitait des supplices (presque) cannibalesques affligés au prisonnier Kadhafi, les belles plumes et les bonnes consciences voudraient qu’on rit de la Charia et du prophète Mohamed alors que ce sont les “Mohamed” du CNT de Sarkozy et de l’Otan qui, les premiers ont tenu à vociférer ces canulars attrape-mouches tels les exégètes du dernier acte d’une pièce tragicomique.
Bien sûr, la nébuleuse islamiste de France a à priori réagi et agi politiquement et dignement, bien (encore) mieux que ne l’espéraient tous les pavloviens de l’information, les philosophes auto proclamés, les ministres pédophiles et les adulateurs de la guerre des civilisations, ceux qui pensent que nous sommes assez stupides pour croire à leurs cris de vierges effarouchées face à cette néo montée islamiste aux portes de l’Europe.
Ne dit-on pas : « Ne faites pas rire au point de prêter à rire. » ? Je serais, moi, tentée de dire : « Ne faites pas pleurer au point de prêter à rire. », les dépositaires des fausses valeurs qui ont changé de camps et d’alliés depuis un bout de temps ont omis de le signaler à leurs peuples et aux révoltés arabes.
L’islamisme : cette boîte de pandore
Après avoir rationalisé la torture dans les Guantanamo, Abou Ghraib et autres zones du monde, humanisé les frappes des avions de l’Otan, désacralisé le droit international, voilà qu’on cherche comme à l’époque des croisés à standardiser les modes de pensées en se créant de nouveaux ennemis, aussi bien parmi les penseurs que parmi les journalistes, il ne s’agit pas des islamistes, non ! Car ces derniers ne sont censés ni écrire ni réfléchir, mais de ceux que l’on stigmatise en leur assignant l’estampille de “ complotistes”. Décrivant ces nouveaux ennemis par une panoplie de termes aussi creux que clinquants grâce à une sorte de panachage abondant d’“ istes”, négationniste, révisionniste, islamiste mais surtout anti-sioniste, ce lexique est ainsi devenu le fer de lance et l’argument imparable pour stopper net, opposer une fin de non recevoir et censurer tous ceux qui osent et se risquent un tant soit peu sur le terrain de la critique, de la désapprobation ou même du simple et légitime questionnement.
Malgré tous ces quadrillages, ratissages et autres précautions d’usage, les médias des bons axes donnent l’impression pourtant de patauger dans la contradiction et la paranoïa depuis que les Tunisiens en réponse à Ben Ali, ont avant tout d’abord massivement voté et que le CNT nourri à s’en gaver de BHL et Sarkozy, affiche comme programme la Charia.
Tentant de faire oublier à l’opinion le bel amour que filait la crème de leur intelligentsia avec le dictateur Tunisien à qui ils avaient eu l’atticisme et l’intelligence de proposer leurs forces spéciales et leur savoir faire pour “calmer” les manifestants, c’est la victoire du parti Ennahada qui est mise en avant et non pas celle du scrutin populaire auquel les Tunisiens ont massivement participé avec des taux de très loin dépassant ceux qui élisent actuellement les dirigeants du monde démocratique. Quand le Tunisien s’exprime et vote, c’est le musulman qu’on montre et qu’on stigmatise et non pas le citoyen qui pense et choisit.
Et toujours afin de mieux maquiller leur rôle abject dans la guerre en Libye, une guerre qui a permis entre autres à tous les barbouzes de la Françafrique de se refaire une virginité, ces plumes mercenaires font semblant aujourd’hui de pleurer sur le sort des femmes dans ces pays tombés en apparence, sous la coupe des méchants islamistes.
Le choix politique partout dans la zone méditerranéenne, et on ne le rappellera jamais assez, est d’abord de dire non à la propagande coloniale malsaine et à la dictature de ses vassaux. Ce qui est faussement présenté aujourd’hui comme une victoire des islamistes en est l’expression, Il n’est nullement dit que les musulmans qui votent pour les partis dits islamistes approuvent toutes les visions de l’islamisme partisan.
C’est sur le terrain et nulle part ailleurs que peut avoir lieu le jugement à l’acte et l’effort de modernisation des peuples de cette région et certainement pas auprès de ceux qui pensent que la démocratie doit présenter des garanties de résultats de scrutin à l’avance et s’en contenter pour prétendre à l’émancipation et à la modernité.
Bien sûr, dans ce ramage on oublie de dire au monde à quel point au fond, l’islamisme dont il est question ici et qui suscite tant d’effroi s’accommode très souvent avec le pouvoir des militaires, la présence policière et les oukases des banques. Pire, les islamistes jihadistes, ces fous de dieu, barbares, misogynes et surtout anti-occident, comme on se targuait à nous les présenter il y a si peu de temps, n’ont-ils pas été en Libye, les hommes de main disciplinés et obéissants de l’Otan et des services spéciaux sur place ?
Faut-il en rire ou en pleurer ? La Tunisie post Ben Ali s’est bel et bien empressée d’applaudir l’intervention de l’Otan et de reconnaître l’autorité du CNT qu’aucun Libyen, n’en déplaise aux “bonnes consciences” et autres flagorneurs de circonstance, n’a jamais mandaté pour le représenter et encore moins pour gérer les milliards de dollars de son pays ; et ce n’est pas le parti dit “islamiste” majoritaire aux législatives qui va revenir sur ces positions ni même rappeler, que la Charia interdit de lyncher les prisonniers de guerre. Ainsi en Egypte où le Conseil Supérieur des Forces Armées (SCAF) continue de diriger le pays d’une main de fer, les journalistes de service, et à défaut d’avoir pu couvrir une guerre des religions dans cette zone ou la moindre lapidation phantasmatique, ne trouvent pas mieux que de plébisciter des sites comme celui de cette jeune Egyptienne qui pose nue sur son blog pour protester contre l’intolérance de sa société, et qui pourtant, à ce jour, n’a subi aucune pression, alors qu’au même moment, le supplicié Essam Ali Atta Ali (1), condamné à deux ans de prison par la justice militaire le 25 Février, est décédé suite aux tortures sauvages auxquelles il a été soumis, son calvaire et les photos qui vont avec n’ont pas place dans les scénarios en vogue.
De même, le blogueur égyptien de longue date Alaa Abdel Fattah emprisonné pour avoir refusé de se soumettre à l’interrogatoire d’un procureur militaire ou sa soeur Mona Seif, membre fondateur du groupe “Non aux procès militaires contre les groupes de citoyens” ne feront pas partie de celles et ceux pour lesquels on voudrait s’inquiéter, ceux capables d’alimenter malgré eux, le sensationnel trempé dans la sauce islamiste.
Depuis hier on tire à balles réelles sur les manifestants de la place Tahrir, bilan : trente trois morts. Les Egyptiens ne veulent plus des militaires à la tête des institutions du pays, donnant encore tort aux stratèges américains et les élections prévues fin Novembre et donnant les Ikhwan El Mouslimine (les frères musulmans) favoris, n’ont pas suffi à convaincre les âmes libres et les consciences affranchies qui ont compris la diablerie et le passe-passe qu’on leur réserve. Bien sûr, nulle part il n’a été question de condamner ces crimes commis par le gouvernement de transition sous la botte des services de sécurité et plus exactement du SCAF dirigé par le maréchal Hussein Tantaoui qui a été pendant pas moins de vingt ans ministre de la défense de Moubarak. A tout seigneur, tout honneur, et force est de constater qu’encore une fois les victimes ne se valent pas et le sang versé des innocents n’est pas toujours de couleur rouge par ici. La partialité, les partis pris, les intérêts et les retours d’ascenseurs - comme c’est le cas pour le Bahrein ou Ghaza, où l’on assassine à huis clos - ont encore une fois aveuglé le monde libre qui ne se gène pas d’appliquer la politique des deux poids deux mesures quand bon lui semble. Les services de sécurité en Egypte qui continuent de tuer et de torturer ne risquent ni la CPI ni même la une des journaux fanes de démocratie et droits de l’homme qui adorent en ce moment nous conter les crimes des dictateurs une fois déchus ainsi que leurs pianos à queue et les singes protégés trouvés dans leurs palais saccagés. Et ainsi les mêmes qui ont tué sous Moubarak sévissent de plus belle dans l’Egypte dite libérée et ce n’est pas l’Otan qui risque de s’émouvoir outre mesure pour ces méticuleux insatiables qui continuent d’exiger le changement du régime et qui, à l’évidence ne se sont pas contenté du spectacle de Moubarak derrière des barreaux et en civière.
Au lendemain des dits printemps arabes, l’Occident ne donnera droit de cité et de parole qu’à ceux qui savent pleurer dans les jupons des présentateurs seulement, leurs craintes du modèle islamiste venu profiter, paraît-il, du vent de liberté pour rétablir la polygamie, pourchasser les homosexuels et éradiquer les mères célibataires. Encore des sujets sérieux, sensibles, voire parfois dramatiques auxquels toutes les sociétés sont confrontées, sans qu’aucune n’ait jamais trouvé le standard de la béatitude, des sujets qu’on continue à nous étaler avec désinvolture, ignorance, arrogance et mépris, prétendant à chaque fois que le pire est chez les autres et que l’archétype de l’homme moderne, équilibré, libéré et nageant dans la cohérence et la cohésion se trouve à quelques pas des plateaux de télévision, des imprimeries à grands tirages ou même à l’Hôtel Carlton à Lille.
Cette façon de faire se vend bien et rend bien des services, malgré, et il faut le dire, l’émergence de masses de plus en plus indignées qui ne rêvent elles aussi, que de faire leur révolution contre le diktat de Bruxelles et autres Bilderberg, des masses qui ne croient plus ni aux hommes politiques noyés dans les scandales, ni à la science infuse des experts de tout genre au service des banksters et des grands groupes, ni bien sûr aux médias du mensonge et de la complaisance.
Il n’y aura pas de meilleure stratégie pour discréditer les vents de révolte et les peuples arabes avec, que d’offrir au monde l’image d’une société sournoise et imperceptible qui se révolte pour instaurer l’archaïsme.
Ceux qui ont pour mission de maquiller des alliances contre nature, ont tout intérêt, et même sont dans l’obligation de continuer d’agiter le monstre islamique aux populations occidentales, de décrédibiliser les révoltes, voire même, d’imposer aux peuples arabes un islamisme des plus arrangeants, un islamisme évoluant sur un curseur limité à gauche par le modèle Turc et à droite par le spécimen Wahabite des pays du Golfe, offrant ses territoires aux missiles de l’Otan et/ou des USA, au libre échange incluant Israël, limitant au maximum ses marchés à la chine et ne remettant jamais en cause la suprématie du Dollar comme seule monnaie d’échange et de change (si tant est cette billetterie en est une).
On l’aura compris, des régimes ainsi balisés et tamisés peuvent se draper de tous les islamismes qu’ils veulent, pour peu qu’ils ne gênent ni les intérêts, ni les rentes ni les modèles de consommations.
Il appartiendra aux peuples de doubler de vigilance pour sauver leur liberté et leur dignité, la liberté reste un combat au quotidien.
1. Egypte: heurts place Tahrir après la mort d'un homme torturé en prison : http://www.lepoint.fr/monde/egypte-heurts-place-tahrirapres-la-mort-d-un-homme-torture-en-prison-28-10-2011-1390529_24.php
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Gangstérisme médiatique, Charlie Dodo et autres salmigondis