Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

boumerdès

  • Boumerdès, dix ans après

    Par : Mustapha Hammouche

    Le soir du 21 mai 2003, le séisme de Boumerdès tuait brutalement 1 391 personnes, en blessait plus de 3 000, mais laissait aussi derrière lui, par milliers, orphelins, veuves et veufs.
    Tandis que le lendemain, le petit matin dévoilait progressivement l’ampleur des dégâts, l’affliction se propageait, épousant le mouvement de propagation sismique. Dans la wilaya et les zones limitrophes des wilayas voisines, tout un peuple grouillait, incrédule et terrifié. Les militaires, gendarmes, policiers, pompiers, personnels de santé qui se répandirent sur le terrain restaient interdits devant l’étendue du gâchis.
    À l’évidence, en matière de catastrophe naturelle, l’État n’avait ni doctrine d’intervention ni moyens de réaction. C’est peut-être l’engagement humain, cette espèce de don de soi qui se manifeste en certaines circonstances, qui dut compenser le déficit public en termes d’anticipation, d’organisation et d’équipement. On le mesurait à l’intensité du mouvement de secours. Et à ce terrible paradoxe d’une population gagnée par l’affliction paralysante, mais aussi animée par une disponibilité solidaire.
    Avant que n’affluèrent du pays, puis de l’étranger, les aides et les bonnes volontés, c’était déjà le spectacle émouvant d’une peine massivement partagée. Le souvenir marquant de ces hommes, jeunes pour la plupart, qui sortaient le matin, chaque matin, pour aller “aider”, participant, durant de longues heures et pendant plusieurs jours, aux recherches de survivants et de cadavres sous les gravats. Ils allaient “aider”, comme ils disaient alors. Des journées de déblayage manuel, d’abord avant, puis pendant que les engins entraient en action.
    Dans ce contexte de chaos général et de déroutes individuelles, les morts n’eurent pas toujours droit à des obsèques accomplies ou à des hommages personnalisés, mais la dignité des gens faisait que l’empathie prenait le dessus sur la douleur ou l’hébétement : l’attitude générale constituait un hommage pour toutes ces victimes.
    Bien sûr, le cataclysme donna lieu aussi à la manifestation du versant noir de l’âme humaine. Celui-ci trouva les agents utiles à son expression, des bandes d’amateurs de vandalisme et de chapardage aux prédateurs politiques venus exhiber la charité de leurs sectes. Le séisme constitua aussi une occasion pour les braconniers de l’aide sociale et humanitaire que notre système à su faire proliférer : probablement rameutés par des proches administratifs, il en vint d’un peu partout pour se mettre en situation de “sinistré” dans la zone endeuillée, en attendant la distribution de logements notamment. L’aspect urbain de Boumerdès, de ses villages et de sa côte en particulier, en fut transfiguré. La Nationale 24, sur le long de la wilaya, s’est transformée en succession d’agglomérats de “chalets” et d’ensembles type HLM. L’aspect environnemental est détérioré par l’anarchie urbanistique et même sa sociologie a subi une soudaine transformation.
    Dix ans après, Boumerdès, jusque-là épargnée du fait même qu’elle était oubliée du Far West foncier, n’est plus qu’une “nouvelle frontière” de la fièvre immobilière nationale. Un des effets le plus regrettable est peut-être dans cette normalisation culturelle et environnementale que la région a subie. En plus des insondables drames humains qui continuent sûrement à éprouver de nombreuses familles.


    M. H.
    musthammouche@yahoo.fr