Par : Mustapha Hammouche
La perspective de l’abstention commence à faire perdre patience aux défenseurs du statu quo. Farouk Ksentini suggérait, hier, de sanctionner les abstentionnistes. Il ne s’agit pas, dit-il, de couper des têtes — encore heureux ! —, “mais bien de trouver des sanctions appropriées à ce comportement négatif”.
Celui qui, depuis des années, s’occupe de s’assurer que les anciens terroristes échappent bien à toute poursuite judiciaire, à tout zèle sécuritaire ou bureaucratique et qu’ils perçoivent bien leur pension, préconise que l’État sévisse contre ceux qui, le 10 mai prochain, iront à la pêche. Aux terroristes les empressements officiels, aux abstentionnistes la menace.
Pointer ainsi à la répression d’État une catégorie d’Algériens pour son attitude politique constitue une offense solennelle à l’idée de droits de l’Homme, dont le principe est de ne jamais être sanctionné pour sa position politique. Et venant d’un président d’une institution à vocation de défense des droits humains !
Me Ksentini trouve l’abstention “inadmissible” dans un pays où plus d’un million de martyrs ont donné leur vie “pour arracher ce droit de vote”.
On ignorait que le pouvoir avait bien intégré que le droit de vote, parce que les moudjahidine se sont sacrifiés pour ce droit aussi, constituait un acquis constitutif de l’Indépendance nationale. Il restera à Ksentini de nous expliquer pourquoi, à certaines échéances, les superviseurs de nos consciences ont fait mieux que Naegelin. Et c’est le pouvoir qui convient de la pratique de la fraude, puisque l’Assemblée nationale a installé une commission parlementaire d’enquête dont les conclusions ont été… enterrées. Il n’a jamais été question de sanctionner les fraudeurs chez notre gardien de nos droits humains, mais voilà qu’il faille punir ceux qui mettent leur voix hors de portée de leur manipulation ! Il vrai que la rareté des votants doit poser un problème aux faiseurs de résultats, ne serait-ce que parce que la télévision unique n’aura pas de files d’attente à filmer. Bien qu’on l’ait vu réaliser d’autres prouesses cinématographiques.
Mais, Ksentini, baissant parfois la garde, nous donne lui-même une raison de ne pas voter : “Les programmes des partis algériens sont des suites de mots et de promesses irréalisables”, dit-il. Pourquoi, maître, voudriez-vous infliger à vos concitoyens la torture de voter pour un personnel éligible au discours creux ou fantaisiste ? Que le pouvoir veuille pactiser avec la médiocrité, qui ne contestera pas sa prépondérance, au lieu d’ouvrir la vie publique à la compétition des meilleurs, mais qui risquent de réprouver son hégémonie, grand bien lui fasse. Mais des citoyens ont le droit de dire “sans nous”.
L’exemple de la douzaine de pays où le vote est obligatoire a peut-être inspiré l’avocat. Mais le premier État, la Belgique, qui l’institua, à la fin du 19e siècle, l’a fait pour obliger les employeurs à libérer le personnel pour le vote. Certains, comme la Grèce et les pays d’Amérique latine, l’ont fait parce que c’étaient des dictatures. Au demeurant, aucun de ces pays ne sanctionne plus, dans les faits, l’abstention.
La mesure du retard politique est là : dans cette volonté de copier, en 2012, une loi de Belgique de 1894 ou de la... Bolivie de 1952 !